05-13/05/2017 – Conférence – Possibilité d’une révélation

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Conférence de Maurice Zundel en l’église saint Séverin à Paris, en 1951. Non édité; les titres sont ajoutés.

Une révélation garantie authentique

La Chrétienté, et une Chrétienté divisée comme celle d’aujourd’hui, se réclame d’une révélation garantie par une incarnation divine. Et il se trouve que les membres épars de cette Chrétienté, orthodoxes, protestants ou catholiques, cherchent également dans cette Révélation une caution de leurs positions propres et séparées. Voilà donc déjà un exemple de révélation qui n’arrive pas à rassembler ceux qui se réclament d’elle.

Ce n’est pas la seule qui se donne comme révélée : nous avons les Vedas et toutes les doctrines influencées par le Védisme ou le Bouddhisme et en particulier, venant après le Christ, l’Islam. Chacun de ces groupes présente des livres sacrés, c’est-à-dire des textes indiscutables puisqu’ils ont la sanction divine.

Nous voyons près de nous quelqu’un comme Simone Weil nous présenter une espèce de syncrétisme où le Christianisme se retrouve partout, dans Homère, chez les Grecs, partout et nulle part. Ou d’autres nous montrer un Christ avant le Christ présentant tous les caractères du Christ. Ailleurs, nous verrons des hommes éminents en milieu chrétien tenir des propos comme celui-ci : « Je crois à l’enfer, mais il n’y a personne dedans », propos qui ressemblent à un tour de passe-passe, ce qui signifie qu’on ne prend pas très au sérieux la Révélation et l’absolu qu’elle représente.

Comment discerner, entre toutes ces révélations, celle qui présente les meilleures garanties d’authenticité ? Par les miracles, dira-t-on. Mais faut-il discerner la Révélation par les miracles ou inversement ? Nous nous trouvons devant des révélations qui s’opposent les unes aux autres ou devant des miracles qui se réfèrent à une doctrine qui doit les discerner.

Révélation et doctrine

En face de cette situation se pose la question : une révélation divine peut-elle être une doctrine ? Peut-elle prendre forme d’enseignement venu du ciel ? C’est là un problème très grave. Nous verrons par exemple le Coran, où traditions orales et légendes sont mêlées, corriger la Bible en se servant pour cela d’allusions bibliques évidentes qui sont en opposition avec la Bible. Les partisans du Coran disent évidemment que c’est le Coran qui a raison : c’est lui qui corrige la Bible.

La Révélation comme doctrine et enseignement pose donc de graves problèmes. La Révélation contient-elle des vérités naturelles accessibles à la science humaine ? Le Coran dira que Dieu s’est adressé au Prophète pour résoudre tout problème et enseigner toute vérité. S’il en est ainsi, il sera interdit de mettre en question un enseignement venu du ciel. La recherche humaine est bloquée ; elle ne peut que justifier la doctrine venue du ciel.

D’autre part, s’il s’agit non plus de vérités naturelles accessibles à la raison et à la science humaine, mais de mystères divins proprement dits ou bien ces mystères seront exprimés dans un langage incompréhensible et nous serons mis en face d’une incompréhension que Dieu atteste et devant laquelle il nous demande de nous soumettre : aucune clarté, langage incompréhensible, et il nous faut souscrire à des propositions qui ne signifient rien pour nous ; ou bien ces mystères seront traduits dans un langage accessible à notre intelligence – et alors il faudra faire la part de notre intelligence parce que, en s’adaptant à nous, il trahit ce qu’il doit enseigner : la Révélation sera donc incomplète puisqu’elle est traduite dans un langage nécessairement incomplet, inadéquat. Notre adhésion est donc conditionnelle, nous ne sommes pas liés complètement. De toutes manières, qu’il s’agisse de mystères divins ou de vérités accessibles à la raison humaine, la Révélation ne pourra jamais se communiquer qu’à travers un langage humain.

La part de contingence du langage humain

Et ce langage humain qui sert de truchement, de véhicule, est nécessairement le langage d’une époque, c’est-à-dire qu’il est chargé d’horizons temporels, géographiques, culturels, moraux, sociaux, économiques. Il est un horizon de problèmes, un véhicule de questions et de réponses qui sont conformes à une situation historique particulière. Nous avons la façon de poser un problème dans une époque qui ne sera pas la même qu’à une autre époque. Il y aura des données analogiques, mais il y aura toujours du singulier, du concret, du contingent venant de la situation historique et le langage sera chargé d’adhérences qui traduisent cette situation concrète et contingente.

Comment faire le départ entre ce qui relève du langage et ce que ce même langage laisse filtrer d’éternité ?

Pascal, ce grand génie qui nous dépasse infiniment, ne pouvait lire une Bible que dans l’horizon du 17ème siècle où l’on n’avait à peu près rien découvert dans le domaine comparatif. Pour Pascal, la Bible était vérité unique, singulière, incomparable. Aucun texte ne permettait de juger le langage biblique : on ne connaissait rien des civilisations babyloniennes, sumériennes, égyptiennes. La Bible se présentait comme un texte absolu et l’on était incapable de discuter dans son langage la part de vérité éternelle et la part de contingence.

Prenons un exemple au chapitre XV du Livre de Samuel. Nous voyons Samuel intimer à Saül, de la part de Dieu, l’ordre de combattre contre les Amalécites et de les vouer à l’anathème, c’est-à-dire de sacrifier tout ce qui est vivant. Il est difficile de concevoir, dans notre perspective à nous, un ordre de Dieu conçu dans ces termes. Or nous trouvons dans l’histoire de Mescha, roi des Moabites, une de ces peuplades ennemies d’Israël, exactement les mêmes mots : l’ordre donné à Mescha de la part du dieu Camosch de faire campagne contre Israël et de le vouer à l’anathème. Et Mescha se vante d’y avoir réussi et d’avoir apporté les trophées de sa victoire à son dieu. Les deux récits emploient exactement les mêmes mots. Nous avons donc là une manière de parler commune à tous les peuples de cette époque qui se mettent en campagne sur l’ordre de leurs dieux et leur attribuent le mérite de la victoire. On disait que c’était le dieu qui avait terrassé les ennemis.

Révélation, une conclusion apophatique

La Révélation ne peut pas être dans son essence une doctrine venue du ciel, ni un enseignement divin. Elle n’est pas un catalogue de propositions concernant le monde et son origine, l’homme, son origine et sa fin ; elle n’est pas une science de l’histoire ou de la morale.

Ce sont là des manières de parler universellement répandues dans le monde sémitique, qui donnent ici la mesure des niveaux historiques. Nous pouvons faire cette comparaison parce que nous avons des documents. Ces figures de langage sont à prendre comme des manières de parler et non comme des révélations divines.

Un autre exemple est celui de Galilée, où nous voyons la Bible invoquée pour maintenir une erreur. On a vu dans les textes un enseignement qui ne s’y trouvait pas. Exemple encore du procès de Jésus-Christ condamné au nom de Moïse et des textes sacrés.

Toutes ces difficultés suggèrent une conclusion, c’est que la Révélation ne peut pas être dans son essence une doctrine venue du ciel, ni un enseignement divin. Elle n’est pas un catalogue de propositions concernant le monde et son origine, l’homme, son origine et sa fin. Elle n’est pas une science de l’histoire ou de la morale, ni non plus une collection de renseignements sur l’au-delà.

La révélation ne peut être qu’une incarnation

Toute révélation ne peut être qu’une incarnation, c’est-à-dire le rayonnement, dans une vie humaine transfigurée et transparente à Dieu, de l’intimité divine.

Que sera la Révélation ? Nous en aurons une intuition si nous nous rappelons que Lacordaire allait s’asseoir aux pieds du curé d’Ars pour écouter ses catéchismes. Si Lacordaire y allait, ce n’est pas pour demander au curé d’Ars des enseignements ou des renseignements, ce n’est pas aux mots de son catéchisme qu’il s’arrêtait. Il en possédait les trésors, il était infiniment plus savant dans l’art de présenter les choses. Mais il se sentait bien loin de la hauteur du curé d’Ars, car il y voyait une lumière de vie et ce qu’il cherchait dans cette âme, c’était cette lumière de vie, le rayonnement d’une Présence, le jour de la Présence et de l’intimité divines transparaissant dans une humanité transparente et transfigurée. En entendant les exposés du curé d’Ars, il entendait une vérité au-delà des mots, qui est un jour ineffable, sans limites, un jour qui se lève dans notre intimité, lorsque notre intimité vient au contact de l’intimité divine. C’était pour Lacordaire une révélation vivante, comme toute révélation, c’est-à-dire une incarnation.

Toute révélation ne peut être qu’une incarnation, c’est-à-dire le rayonnement dans une vie humaine transfigurée et transparente à Dieu. Nous atteignons notre propre intimité, nous devenons des personnes quand nous entrons en contact avec l’intimité divine. Voilà une conclusion importante : la révélation ne peut prendre forme que d’incarnation, de présence dans une vie transparente, dans une personne réellement accomplie au moins dans son ordre et pour son temps, qui nous rende sensible le rayonnement de l’intimité divine.

Rencontre avec la Présence

Dans cette rencontre, il y a des degrés. Elle est intermittente. Il y a des degrés dans l’incarnation qui s’accomplit en nous, en toute humanité qui atteint à elle-même, qu’il s’agisse des artistes, des prophètes ou des saints.

L’homme est un mystère. Il y a en lui une distance infinie de soi à soi. Nous savons d’expérience que nous ne pouvons nous atteindre nous-même qu’en décollant de nous-même dans ce dialogue intérieur qui nous met en nous-même face à un Autre. Nous n’accédons à nous-même que sous l’égide de cette Présence à laquelle on donnera le nom que l’on voudra, c’est-à-dire que, s’il y a l’homme au sens propre, il y a Dieu. C’est la seule Présence réelle : c:’est la même chose de découvrir l’homme et de découvrir Dieu, d’atteindre à son humanité et de rencontrer Dieu.

Dans cette rencontre, il y a des degrés. Elle est intermittente. Nous ne sommes des hommes que par intervalles : nous accédons de temps en temps à notre humanité, nous rencontrons de temps en temps cette Présence en nous où se découvre la personne humaine. Il y a des degrés dans l’incarnation qui s’accomplit en nous, en toute humanité qui atteint à elle-même, qu’il s’agisse des artistes, des prophètes ou des saints, avant ou après le Christ, dans le Christ ou en dehors de lui, si quelque chose peut être en dehors de lui.

Que ce soit au sein du Judaïsme, du Brahmanisme ou du Bouddhisme, du Christianisme ou de l’Islam, où que ce soit, il n’y a révélation que dans la mesure où il y a rayonnement de cette Présence divine et où luit le jour de cette intimité dans laquelle se révèle pour nous toute vérité.

La vérité versus deux images de l’enfer

Le jour de la Présence divine comporte des ombres, les ombres des expressions humaines, les limites des situations historiques. Il ne garantit ni ne consacre ni les images, ni les idées auxquelles le prophète recourt pour décrire son expérience. Le prophète nous assure simplement du sérieux avec lequel il s’engage dans sa parole, mais il ne garantit pas la vérité des expressions dont il se sert. Ainsi Lacordaire n’était pas dupe du catéchisme du curé d’Ars. Par exemple, le curé d’Ars parlait beaucoup de l’enfer et dans des termes que je ne saurais répéter. Mais qu’entendait-il par l’enfer ? Il y croyait pour les âmes, c’était pour lui le symbole de sa vocation, il se sentait l’otage de cette population menacée par l’enfer de perdition. L’enfer, c’était pour lui le poids de cette charge accablante : il devait mourir pour sauver ce peuple de l’enfer et il recourt à son symbolisme pour représenter ce dont il vivait. Chez lui, comme chez Sœur Josefa dont les vêtements sentaient le brûlé quand elle revenait de ses visions en enfer, celui-ci répondait chez eux au sens d’une justice éternelle : on ne s’encanaille pas impunément.

Nous trouvons dans une tragédie de Shakespeare un personnage qui nous donne une saisissante image de l’enfer : c’est Lady Macbeth dans la scène où elle devient folle : elle se frotte les mains pour effacer les taches de sang qui les souillent. Tous les assassinats qu’elle a commis pour accéder au trône, tout cela est sur ses mains et en se frottant les mains elle dit : « Va-t’en, maudite tache, va-t’en ! » Elle porte en elle-même la malédiction d’une attitude qu’elle a choisie, dans laquelle elle demeure, où elle a engagé toute sa vie et tout elle-même. Cette malédiction lui semble venir du dehors, ses actes tombent sur elle, lui tombent sur le crâne parce qu’elle a perdu son dedans et s’est identifiée avec son ambition. Elle est toute entière dehors. Elle reste une âme, c’est-à-dire une exigence d’intériorité et elle devient folle parce qu’elle ne peut pas être à la fois dedans et dehors. L’enfer est en elle, c’est elle qui l’a construit, c’est elle qui l’entretient. Le monde entier conspire contre elle parce qu’elle est désorbitée d’avec elle-même et que le monde entier est désaccordé d’avec elle, non parce que quelque chose a été inventé pour la punir, mais parce qu’il est normal qu’étant hors de soi, elle ne puisse plus rentrer dans l’harmonie.

Deux mises en perspective

Qu’il y ait une justice éternelle, cela revient à dire qu’il y a une responsabilité infinie, une liberté qu’il faut prendre au sérieux. Elle engage infiniment l’infini et ce sens de la responsabilité, de la liberté peut être mis en perspective de différentes manières : il y a l’Eden, l’épisode du fruit défendu, l’exclusion du paradis terrestre, le déluge, le soufre et le feu sur Sodome et Gomorrhe, les anathèmes contre les peuples, la géhenne de feu. Il y a la fresque magnifique du Jugement Dernier de Michel-Ange à la Sixtine. Il y a le message de la Salette et celui de Fatima. C’est une mise en perspective identique qui affirme la même chose : justice éternelle, responsabilité, liberté.

Une autre mise en perspective qui est la Passion éternelle de Dieu, l’univers conçu comme mariage d’amour : la Création en est les fiançailles où le « oui » de la Création est attendu, où le « oui » de Dieu demeure inefficace s’il n’est pas scellé par le « oui » de la Création, jusqu’à la perspective de la Croix qui, au centre de l’histoire, exprime l’ultime amour de Dieu.

Mais vous pouvez envisager une autre mise en perspective : la Passion éternelle de Dieu, l’univers conçu comme mariage d’amour : la Création en est les fiançailles où le « oui » de la Création est attendu, où le « oui » de Dieu demeure inefficace s’il n’est pas scellé par le « oui » de la Création, jusqu’à la perspective de la Croix qui, au centre de l’histoire, exprime l’ultime amour de Dieu. Il y a les stigmates de saint François d’Assise, croix vivante qui apporte l’évangile des blessures d’amour d’un Dieu qui ne peut qu’aimer. Il y a, au grand portail de Notre Dame, une représentation du Jugement dernier : nous voyons le Christ montrant ses plaies ; ce n’est pas le jugement de l’homme par Dieu, mais celui de Dieu par l’homme. Dieu est jugé, condamné, crucifié par l’homme : il meurt pour ceux qui ne l’aiment pas. Alors l’enfer, c’est l’enfer de Dieu, c’est Dieu qui est victime. C’est effroyable ! C’est un mystère d’amour, mystère déchirant dont François d’Assise a pleuré jusqu’à en perdre la vue parce qu’il avait connu cette brûlure d’amour en brûlant son cœur au cœur même de Dieu. C’est Dieu victime, Dieu qu’il faut sauver. C’est la même affirmation de justice éternelle, mais c’est Dieu qui en fait les frais. C’est la responsabilité infinie, car nous sommes responsables de la vie de Dieu. C’est la liberté, car nous arbitrons le destin de Dieu dans l’univers.

Voici donc deux mises en perspective qui correspondent à la même intuition fondamentale, qui veulent la présenter toutes deux, qui sont analogiques, mais ne se tiennent pas au même niveau d’expression. Le curé d’Ars y a mis assurément plus d’amour, mais son expression est bien différente de celle d’un enfer conçu comme la crucifixion de Dieu qui fait appel à notre générosité pour détacher Dieu de la Croix, pour protéger Dieu contre lui-même, conception qui répond seule aux intuitions de notre conscience libérée d’un certain langage qui reflète par trop les limites de l’histoire et de l’esprit humain.

D’autres mises en perspective

Dieu trônant sur les Séraphins, entouré de la cour céleste qui chante le Sanctus… Ou la majesté de Dieu se reflétant dans la fragilité d’un petit enfant. Combien il est plus profond de concevoir la grandeur de Dieu dans la fragilité d’un petit enfant !

On retrouvera de même diverses mises en perspective pour suggérer la grandeur de Dieu. Nous voyons dans Isaïe, au récit de sa vocation, Dieu trônant sur les Séraphins, entouré de la cour céleste qui chante le Sanctus. Dieu est représenté comme le maître absolu, tout puissant. Il siffle comme des chiens les peuples qui viennent exécuter ses vengeances contre Israël. Métaphore splendide que celle du Dieu qui siffle comme des mouches les peuples qui lui sont soumis !

Mais voici une autre mise en perspective : la majesté de Dieu se reflétant dans la fragilité d’un petit enfant. Combien il est plus profond de concevoir la grandeur de Dieu dans la fragilité d’un petit enfant ! Et pourtant ces deux images sont analogues, mais elles sont à des niveaux différents. Elles veulent signifier la grandeur de Dieu à travers le langage humain.

Chacun peut lire des livres qui parlent de la vie éternelle : Au diapason du ciel ou La ronde des élus. Ils sont fort charmants, mais leur ciel ressemble fort à un ciel fabriqué avec des bouts de notre histoire. Nous projetons dans le ciel quelque chose que nous avons vécu, une heure privilégiée de notre existence et nous disons que c’est le ciel, comme cette religieuse qui barrait sur son calendrier les jours qui la séparaient de son entrée au paradis et qui se voyait au ciel rendant visite à ses amis. Son ciel ressemblait beaucoup à son couvent et je n’avais aucune envie d’y aller !

À une jeune femme qui venait de perdre sa mère et qui me parlait du ciel, je répondais : « Le ciel, mais il est au bout de vos doigts, dans votre main ! Vous pouvez atteindre à travers cette main tout l’ineffable de l’homme, tout son mystère. La vie n’est pas moins mystérieuse que la mort. La vie continue, la vie profonde. Nous ne pouvons communiquer vraiment entre vivants qu’à travers la même Présence. Il n’y a qu’un seul truchement de la tendresse humaine, un seul lien, un seul échange, un seul secret ineffable, une seule présence réelle : la vie éternelle est au-dedans de vous. Elle est la voie de notre vie et toute intimité humaine est l’échange déjà de la vie éternelle et la mort ne change rien à ces dispositions qui concernent le mystère de la personne sous le signe d’une rencontre divine. »

L’intimité divine redresse le sens du message

Le jour de l’intimité divine, cette Présence qui transparaît dans le prophète ou dans le saint ou dans l’artiste, ce jour de l’intimité divine redresse l’intention contenue dans le message.

Toutes ces mises en perspective sont légitimes dans la mesure où elles servent leur propos qui est d’annoncer une expérience décisive : le jour de l’intimité divine, cette Présence qui transparaît dans le prophète ou dans le saint ou dans l’artiste, ce jour de l’intimité divine redresse l’intention contenue dans le message. Par exemple, l’anathème qui est une chose horrible pouvait cependant, à l’époque de la justice collective – justice dont nous gardons encore cruellement le sentiment dans nos guerres contemporaines – avoir le sens de la justice vraie, pouvait se colorer avec sincérité du sens de la justice, pouvait comporter une profonde pureté d’intention. La révélation peut passer par-là, comme le soleil passe par la boue, en redressant l’intention, en garantissant le sérieux de l’expression, mais non sa vérité contingente.

Dans cet autre exemple que nous offre le sacrifice d’Abraham, nous n’allons pas penser que Dieu lui a demandé d’immoler son fils, mais nous avons là un épisode qui cherche à être l’expression d’un don total. Ce Bédouin qui cherche le don total est inspiré par Dieu. Comment va se faire ce don total pour un Sémite nomade, chef de tribu ? Sa grande richesse, c’est son fils qui perpétue sa race, qui est l’éternité de la tribu, le fils de la femme aimée, le grand trésor. Et on est à l’époque des sacrifices humains, plaie que les prophètes ne cesseront de dénoncer. Dans l’horizon du temps, le don total, ce sera le sacrifice de cet enfant unique sur lequel repose tout l’avenir. Et, quand viendra le moment de l’immoler, l’éclair de la révélation se fera jour : « Non ! Interdiction d’immoler ! » Ca, c’est Dieu, c’est le mouvement de Dieu. Nous avons l’histoire d’un don total dans l’acte d’un horizon humain. De même pour Jephté, parce qu’il voit dans le sacrifice humain le don le plus grand.

De même encore l’épisode des épées en saint Luc, au soir de l’agonie. Le Christ demande à ses fidèles s’ils ont des épées, voulant leur signifier par-là d’avoir leur âme à la pointe de l’épée. Les apôtres prennent les mots à la lettre et lui présentent deux épées.

Et le Christ, avec un humour tragique, leur dit : « C’est assez ! » (Luc 22:38) Au Jardin, il leur dira : « Celui qui se servira de l’épée périra par l’épée. » (Mat. 26 :52)

À un autre endroit, quand le Christ chasse les vendeurs du Temple, qu’est-ce que cela veut dire ? Imaginons la scène comme une boucherie où l’on immole des taureaux, des agneaux, des pigeons pour baigner l’autel de leur sang. C’est une chose horrible, dégoûtante, mais qui peut devenir le symbole de la piété et, à ce titre, être une espèce de sacrement. On se dépouille de ses richesses, de ses troupeaux et on les offre à Dieu, en hommage. Mais si tout se réduit à une boucherie, à un marché, à un office de change, ce n’est plus tenable, c’est un déshonneur pour Dieu, pour l’esprit. Le Christ, en sa piété tout intérieure, en est blessé à mort. Il disperse cette racaille dans son zèle brûlant pour le Dieu Esprit dont il évoquera à la Samaritaine les mystères de source éternelle au plus profond de l’âme humaine.

La Révélation, c’est le Christ lui-même

La Parole du Christ n’est pas sa révélation, mais sa personne. La Révélation, c’est le Christ lui-même. Il est le Révélateur et la Révélation. En lui éclate le jour de l’intimité divine.

Ces mises en perspective sont légitimes dans la mesure où elles servent leur propos. Elles sont limitées dans la mesure où elles demeurent chargées des adhérences d’une époque et des limites d’une conscience. Elles ne nous interdisent pas de voir dans l’action des personnages bibliques une intention profondément religieuse, à travers laquelle peut se faire jour cette intimité divine qui n’éprouve aucunement ces limites et transparaît au travers d’elle, pour acheminer l’esprit vers quelque chose de plus parfait et de plus universel.

Le Christ est sans illusion sur ces perspectives : « On ne peut pas mettre du vin nouveau dans des outres vieilles » (Mat. 9:17; Marc 2:22; Luc 5:37). Ce qu’il y aurait d’essentiel à dire ne pourra être dit. Le Christ ne le pourra pas : « J’ai encore beaucoup d’autres choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant. » (Jean 16:12) La Parole du Christ n’est pas sa révélation, mais sa personne. La Révélation, c’est le Christ lui-même. Il est le Révélateur et la Révélation. En lui éclate le jour de l’intimité divine dans la transparence d’une humanité sans être propre, révélation qui ne pourra pas entrer dans des mots, qui ne sera pas contenue dans un enseignement, révélation inséparable et indétachable de sa personne, Révélation qui est sa Présence même.

le Christianisme est une vie réellement vécue à faire émerger d’un conditionnement historique

Le Christianisme est essentiellement une histoire, c’est une vie réellement vécue. Ce conditionnement historique ne lie pas le Christ. Il n’est pas lié à ses paroles, à l’Évangile écrit.

Ceci est d’une importance essentielle : il y a un conditionnement historique sans lequel il n’y aurait pas d’Histoire et le Christianisme est essentiellement une histoire, c’est une vie réellement vécue. Ce conditionnement historique ne lie pas le Christ. Il n’est pas lié à ses paroles, à l’Évangile écrit. L’Évangile écrit, si précieux qu’il soit, représente pour une part ce que le Christ a dit en effet, mais dans un certain langage, à une certaine époque, à des gens d’une certaine culture et avant l’événement décisif qui devait être pour lui sa propre mort. Tout ce qui est avant cette mort est une introduction, une attente précieuse, nécessaire, mais comportant un conditionnement historique. Le Christ parle l’araméen. Il ne peut pas parler à des juifs sans référence à la Bible qui est leur culture. Il n’est pas engagé dans toutes ses paroles comme si chacune d’elles épuisait sa pensée.

Prenons en exemple la parabole de l’ami que l’on dérange et qui répond : « laisse-moi la paix ! » L’autre insiste jusqu’à ce que son ami se lève par lassitude. Jésus dit ensuite : « Faites cela avec Dieu ». Est-ce à dire que Dieu est endormi et se lasse et ne nous répond que pour échapper à nos supplications ? Non, bien sûr ! Le Christ veut dire : « Mettez autant d’insistance dans les affaires de l’esprit que dans les choses matérielles et vous aurez le résultat imprévu et imprévisible à la mesure de Dieu quand vous aurez obtenu cela même que vous ne saviez pas. »

Un autre exemple est celui de ce brigand de montagne qui trouve par hasard une image de la Vierge. C’est un voleur de grand chemin, une âme sans sensibilité ni à l’homme ni à Dieu. Il est frappé par les mots : « Notre Dame du Perpétuel Secours », ébloui par le mot de secours perpétuel. Est-il possible qu’il y ait un secours qui soit perpétuel ? Il est brûlé par ce mot et commence à prier. Et, de prière en prière, il fait une ascension splendide et arrive finalement à un amour brûlant de Dieu, à une contrition parfaite. Il est bouleversé par l’amour de Dieu et se jette dans ses bras.

C’est l’Esprit lui-même qui a le secret de la divine pédagogie et conduit les âmes jusqu’à l’amour gratuit où l’on aime Dieu parce qu’il est l’Amour.

Avec Jésus, Il y a une histoire qui devient un mystère, un événement intérieur

Il ne faut donc pas prendre chaque texte de l’Évangile comme un texte absolu. Les flammes éternelles, Jésus en parlera en même temps que de son identité avec le prochain : « Allez, maudits, au feu éternel… J’avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger… » (Mat. 25:41) Il nous suggère par-là de voir les flammes éternelles dans leur perspective essentielle. Nous chantons le Dies Irae, et l’on ne peut le faire sans émotion. Ce n’est cependant qu’un poème, une mise en perspective et pas une doctrine ni un enseignement. C’est un tableau comme celui de Michel-Ange à la Sixtine. Le Christ ne peut pas réformer toutes les conceptions à la fois. Il n’est pas un philosophe : « Admettons votre Dies irae, semble-t-il nous dire, mais vous serez jugés sur l’amour parce que j‘avais faim et vous ne m’avez pas donné à manger… » (Mat. 25:35)

Oui, il y a différentes mises en perspective. Et je ne connais pour moi d’autre enfer que cette crucifixion éternelle de Dieu, que vous pouvez vous représenter comme vous voulez, du moment qu’elle est vraie pour vous, à condition que tout cela ne soit pas une simple représentation, mais un sacrement.

Le Christ des Évangiles, c’est le Christ de l’histoire, qui a vécu, qui est réel. Mais, parce qu’il a une signification qui dépasse l’histoire tout en l’embrassant, en la portant parce qu’il devient la Personne même de notre vie intérieure, il devient pour les apôtres, de plus en plus, un Christ regardé du dedans.

Jésus n’est pas lié même à l’Évangile écrit qui représente une sédimentation d’une histoire conditionnée par le terroir où il s’accomplit et qui présente des variations évidentes dans les différents textes qui nous en sont parvenus. Les Évangiles, tels que nous les avons, surtout les Synoptiques comparés à saint Jean, nous rendent sensible ce passage si émouvant de l’histoire au mystère. Il y a une histoire qui devient un mystère, un événement intérieur. Il y a un Christ avec lequel on a vécu qui devient vie de notre vie. A la Pentecôte, on le découvre vivant en soi : une histoire devient un mystère. Saint Paul n’avait pas connu le Christ de l’histoire, mais le Christ dans son mystère. Il ne garde de sa vie qu’un nombre très petit d’événements parce que le Christ de saint Paul, c’est le Christ du mystère. Le Christ des Synoptiques et celui de saint Jean, c’est le Christ de l’histoire, qui a vécu, qui est réel. Mais, parce qu’il a une signification qui dépasse l’histoire tout en l’embrassant, en la portant parce qu’il devient la Personne même de notre vie intérieure, il devient pour les apôtres, de plus en plus, un Christ regardé du dedans.

Ceci est sensible dans le virement de perspective que l’on constate en lisant le jugement de Jésus-Christ en saint Jean et en saint Matthieu. En saint Matthieu, on sent l’atmosphère juive du procès, les données juives, le messianisme, les prophéties de Daniel. Jésus est condamné comme blasphémateur, livré par les Juifs aux Romains. En saint Jean, le centre du procès de Jésus, c’est le dialogue avec Pilate portant sur la Vérité : « mon royaume n’est pas de ce monde… Je suis venu rendre témoignage à la Vérité. Quiconque est de la Vérité écoute ma voix. » (Jean 18:36-37) Ce procès n’est plus seulement sur la scène de l’histoire, mais sur la scène de la conscience universelle. C’est au centre de toute conscience qu’il s’accomplit. C’est une mise en demeure de la Vérité et de l’Amour adressé à chacun de nous. Il est clair que cette transformation de perspective nous montre de plus en plus l’histoire du Christ devenant le mystère du Christ.

La Révélation chrétienne n’est accessible qu’à la conversion, la nouvelle naissance

La Révélation chrétienne ne sera accessible qu’à une conversion. Il ne s’agira pas d’entendre un texte, de réciter une doctrine, mais de changer de vie, de « naître de nouveau. »

Et c’est pourquoi la Révélation chrétienne ne sera accessible qu’à une conversion. Il ne s’agira pas d’entendre un texte, de réciter une doctrine, mais de changer de vie, de « naître de nouveau ». La perspective de saint Jean est déjà dans son Prologue une perspective mystique. Il s’agit de la Lumière qui vient, qui est là, qui visite les siens et qui n’est pas régie par les siens. Cette Révélation qui est une personne, qui est le jour de l’intimité divine dans la transparence de l’humanité du Christ est accessible à une intimité qui s’ouvre et devient lumière dans cette Lumière. Y accéder autrement, ce serait ramener Dieu à une chose extérieure à soi, à une proposition qu’on peut prendre du dehors alors que c’est une vie qu’il faut vivre du dedans. Toute la vie de l’Église, qui est la Présence réelle du Christ, ne se fera que par conversion. La Révélation chrétienne en témoignera : « Je suis Jésus que tu persécutes » (Actes 22:8). Le Christianisme n’est pas un discours de Jésus ou sur Jésus, c’est Jésus lui-même qui demeure sous le voile d’un sacrement collectif qui est l’Église.

L’Église se découvre par une conversion intérieure

Qu’est-ce que l’Église et comment la trouver ? Personne n’en sait rien, personne ne peut vous dire qui est l’Église, ni où est l’Église. Il n’y a que vous qui puissiez le découvrir par une conversion intérieure, parce qu’il ne s’agit pas de doctrine mais de sacrement.

Qu’est-ce que l’Église et comment la trouver ? Une seule réponse : personne n’en sait rien, personne ne peut vous dire qui est l’Église, ni où est l’Église. Il n’y a que vous qui puissiez le découvrir par une conversion intérieure, parce qu’il ne s’agit pas de doctrine mais de sacrement. Tout ce que dit l’Église n’est pas autre chose que la présentation de cette intimité divine à laquelle on n’accède que par conversion de notre intérieur.

Regardons Pierre à Césarée : Pierre confesse le Christ, reconnaît le Christ comme celui qu’on attend. Et au prétoire, il nie l’avoir jamais connu. Il est l’Église et il est l’antéchrist. Le même Pierre peut être le Christ quand il disparaît dans le Christ. Quand il se sépare de lui, il est antéchrist. Et les membres de l’Église peuvent être chaque fois le Christ ou l’antéchrist. C’est la foi qui va discerner et personne ne peut nous dire : c’est ici ou c’est là.

Quand le Pape nous parle, pour prendre les choses concrètes, il est l’Église, mais il l’est simplement en tant que chef de l’Église, comme signe, comme sacrement d’un message qu’on ne peut assimiler que par la foi, exactement comme le prêtre qui donne la communion n’est pas plus proche de Dieu pour cela que la petite vieille illettrée qui reçoit la communion de ses mains. Il est là comme un signe qui s’efface devant l’unique.

L’Église, c’est nous en tant que nous ne sommes pas nous. Quand c’est nous, ce n’est plus lui. Comment le Pape peut-il être l’Église, si ce n’est comme la dernière bonne femme illettrée dans l’agenouillement de son amour ? Et quand le Pape me dirait face à face : « Cela est ainsi », il faudrait encore que je découvre le sens de cela et je ne puis le faire que dans un dialogue d’amour avec le Christ.

La différence de Dieu, c’est de n’en avoir point

Le dogme-sacrement, la doctrine chrétienne est une confidence du cœur de Dieu, un éclair à travers tous les termes de notre pensée, de notre action et nous devons toujours nous garder de limiter Dieu à nos horizons bornés et à nos défaillances intellectuelles ou morales.

De même que dans la communion, dans le dialogue avec le Seigneur, personne ne peut s’interposer, de même dans la confidence qui nous parvient par le truchement du dogme, personne ne peut nous dire le sens de cette intimité qu’avec des mots qui sont à leur tour des sacrements, qu’il faudra découvrir pour atteindre au cœur de Dieu qui se communique. Dans toute confidence, le confident prend le pas sur la confidence. Le dogme-sacrement, la doctrine chrétienne est une confidence du cœur de Dieu, un éclair à travers tous les termes de notre pensée, de notre action et nous devons toujours nous garder de limiter Dieu à nos horizons bornés et à nos défaillances intellectuelles ou morales.

Quand saurons-nous enfin que nous avons atteint à ce palier ? Fénelon en donne le critère : « La différence de Dieu, c’est de n’en avoir point. » (Le Traité de l’existence de Dieu)

Le chêne n’est pas le roseau, ni le loup l’agneau : les termes de notre expérience sensible sont différents les uns des autres parce que limités dans leur nature et enfermés dans leurs frontières. Dieu est distinct de tout par cela qu’il n’a pas de frontières. C’est cela la différence du Christ et celle de l’Eglise. Nous y atteignons quand nous savons décoller de nous, de notre temps, de nos actions, en sachant qu’il y a au-delà de tous ces horizons quelque chose qui demeure, qui transfigure nos limites Nous savons que c’est lui quand ce n’est plus nous, quand nous nous sommes entièrement perdus de vue et sommes devenus universels. Le dogme est critique, c’est son essence même, c’est-à-dire qu’il doit définir, écarter, élaguer tout ce qui compromettrait dans une expression quelconque la plénitude de cet espace sans frontière dont « la différence de Dieu, c’est de n’en avoir point. »

La Révélation est une Présence réelle, universelle

J’ai eu en Juillet dernier, au Caire, une conversation avec un jeune Musulman rayonnant de vie intérieure, de pureté. Je me disais : « Mais que puis-je lui apporter ? Il est bien plus chrétien que moi. Il ne s’agit pas de le convertir, mais d’être assez dépouillé de mes propres limites pour que le Christ apparaisse en moi comme la vie de sa vie. » Personne n’est en dehors du Christ, personne n’est en dehors de l’Église. Tout le monde est dedans, à moins de s’en exclure par un refus d’amour conscient et volontaire. Il ne s’agit donc pas d’apporter une nouvelle formule qui ne servirait à rien, mais d’être cette présence universelle « dont la différence est de n’en avoir point », où chacun, en la respirant, se sent délivré de ses limites et de ses frontières. C’est la seule catholicité concevable.

C’est tout le Christianisme de s’identifier avec le Christ, d’être lui à travers nous. La Révélation n’est ni une doctrine ni un enseignement. Des tonnes de discours n’ont jamais converti personne, n’ont jamais fait le bien.

Vous voyez que, dans cette perspective, la Révélation demeure comme une Présence réelle. C’est tout le Christianisme de s’identifier avec le Christ, d’être lui à travers nous. La Révélation n’est ni une doctrine ni un enseignement. Des tonnes de discours n’ont jamais converti personne, n’ont jamais fait le bien. Des tonnes de discours n’ont jamais converti une âme.

Il n’y a que l’intimité lumineuse d’un prophète, d’un saint, du Christ qui puisse atteindre notre intimité. Notre intimité ne peut s’illuminer qu’au contact d’une intimité lumière et non par des idées, sauf si les idées portent l’intimité et deviennent sacrement. Elles ne sont plus des mots, mais des confidences qui portent une Présence qui est Lumière. Les mots ne sont que des véhicules. La Révélation ne comporte donc pas nécessairement des idées nouvelles, ni des idées sublimes. Elle est dans une Présence qui nous délivre de nos frontières et nous rend universels.

Ce jour de l’intimité divine transparaissant dans une humanité transparaissante et transfigurée, c’est la même chose que l’amour, car c’est là où l’amour se déploie : c’est là où se trouve l’Amour que Dieu est.

La Révélation, nous pouvons la saisir au moment où un êtr e est devenu universel, sinon la Révélation risque pour nous de rester un idéal figé dans des concepts, réduit à notre propre dénominateur. Il n’y a pas de pire idéal que le Dieu de l’Évangile pris du dehors.

Nous avons près de nous l’exemple de quelqu’un qui l’avait pris du dedans, le Père Kolbe, franciscain. Il se sentait chargé du monde entier et allait de la Pologne au Japon, du Japon aux Indes, à la recherche des âmes. Sa charité était plus rapide encore que ses actes. Il était consumé du désir de sauver le monde entier. Il est fait prisonnier dans un camp en 1940-41. Un jour, le chef de camp désigne dix hommes qui doivent mourir en représailles parce qu’ils ont favorisé l’évasion de plusieurs de leurs camarades. Le Père Kolbe demande à mourir à la place d’un père de famille qui sanglotait en pensant à sa femme et à ses enfants. Il meurt avec les autres en les faisant chanter jusqu’à ce qu’ils s’oublient et que leur mort s’exhale dans un chant d’amour. C’est cela être catholique dans le sens vrai, universel, sans frontière, donné à tous et à chacun comme Dieu, qui est un cœur donné à tous et à chacun. C’est tout le Christianisme, toute la Révélation communiant dans ce cœur donné jusqu’à la mort de la Croix, dans la désespérance d’une agonie qui contenait toutes les agonies.

Ce cœur qui est tout Dieu, car Dieu est tout cœur, rien d’autre qu’un Amour infini, un Amour « dont la différence est de n’en avoir point ».