05/11/08 L’Immaculée-Conception, un mystère d’une brûlante actualité.

Homélie donnée par M. Zundel au mont des Cats pour la fête de l’Immaculée Conception le 8 décembre 1971. 1ère partie.

« Saint Paul représente la Création gémissant dans les douleurs de l’enfantement, attendant la révélation de la gloire du Fils de Dieu, soumise à la vanité malgré elle, ne répondant donc pas aux intentions de Dieu.

Il y a de la part de l’apôtre un constat d’échec : la Création ne répond pas aux dessein de Dieu. Dieu voulait autre chose et il y a eu un obs­tacle, il y a eu un immense refus d’amour. La Création devait être une histoire à deux, une histoire nuptiale, une histoire d’amour, elle ne devait pas s’imposer à la créature. La Création, c’était le don de Dieu, c’était le don de Son intimité, c’était le don de Sa liberté à l’univers et, dans cet univers, tout spécialement aux créatures douées d’intelligence, c’était à elles à fermer l’anneau d’or des fiançailles éternelles, c’était à elles à prononcer ce oui sans lequel le « oui » de Dieu ne pouvait aboutir.

Le vrai monde n’est pas encore. Comme disait Rimbaud : « Nous ne sommes pas au monde, la vraie vie est absente !  » Le vrai monde est en avant de nous, comme notre propre existence est en avant de nous. Le monde qui nous concerne, le monde de l’esprit, le monde spirituel, le monde proprement humain, le monde inviolable dans sa dignité, le monde sacré, le monde qu’un petit enfant porte dans le secret de son coeur mais sans le savoir, le monde que nous avons tous à développer, à porter, à assumer, enfin à créer avec Dieu, c’est un monde qui n’est pas encore, un monde que nous avons à créer en nous créant nous-même.

Car nous avons à nous créer dans notre dimension proprement humaine, à nous créer dans ce domaine où éclate notre responsabilité, où notre vie peut devenir une réponse à l’Amour infini de Dieu.

Et quel sens aurait l’univers s’il n’était pas cette réponse d’amour ? Toutes les forces aveugles, inconscientes, féroces, qui sont à l’oeuvre dans l’uni­vers matériel déchu, toutes les forces qui grouillent dans notre inconscient, cet inconscient où se récapitule toute l’évolution matérielle de l’univers, tout cet océan de forces, d’énergies indomptées, indisciplinées, tout ce monde n’est qu’un matériau pour construire la cathédrale de la lumière et de l’amour.

Dieu est Amour, il faut que le monde le devienne. Dieu est liberté, il faut que cette liberté circule dans toutes les fibres de la matière, il faut que la Création toute entière devienne l’ostensoir de Dieu. Et ce monde n’est pas ! il doit être, mais il ne peut être que si nous en rece­vons le modèle, que si nous sommes initiés à la création qui nous incombe, que si nous la voyons se réaliser dans la perfection, dans une humanité qui assume tout l’univers en nous assumant au plus intime de nous-même.

Et c’est justement dans le Christ que va éclater cette nouvelle création ! c’est dans le Christ, le nouvel Adam qui va introduire dans le monde le sens même du geste créateur en le réalisant en plénitude. Jésus va réaliser dans Sa vie une liberté absolue, cette liberté qui est Dieu même, cette liberté qui est la subsistance du Verbe, cette liberté qui fait que Dieu décolle éternellement au sein de la Trinité, décolle de Lui-même en l’éternelle communion d’amour des trois Personnes où toute la Vie Divine ne cesse de circuler dans une totale désappropriation.

Et justement l’Humanité de Notre Seigneur est enracinée dans cette pauvreté suressentielle. L’Humanité de Notre Seigneur, c’est une humanité totalement libre, totalement universelle, parce qu’elle subsiste dans le Verbe, parce qu’elle est prise toute entière dans cette relation qui fait de la Personne du Fils éternellement une offrande au Père. En Jésus, le monde fait un nouveau départ, en Jésus, le monde retrouve son origine, en Jésus, la liberté prend un sens, un sens créateur, un sens infini, un sens universel, en Jésus, la liberté apparaît comme une libération totale de soi-même, en Jésus, notre humanité est révélée à elle-même.

Nous savons ce que nous avons à accomplir, nous savons que nous avons à introduire dans cet univers une liberté infinie en nous libérant d’abord de nous-même, car se créer, finalement, c’est se vider de soi-même, c’est faire de tout soi-même un espace de lumière et d’amour où la Vie divine puisse se répandre et se communiquer au monde entier.

Jésus Christ nous sauve précisément de nous-mêmes, Jésus Christ nous délivre de nos limites parce qu’il n’a pas de limites, Jésus Christ, au-dedans de nous, est le ferment d’une libération qui fera de chacun de nous un bien commun, un bien universel que le monde entier est intéressé à défendre, mais, bien sûr, cette oeuvre de Jésus Christ, elle est loin d’être accomplie dans sa plénitude. Nous ne sommes qu’au commencement et le christianisme, vu à travers sa brève durée de quelques deux mille ans, peut apparaître comme un échec.

Et cependant il y a une réussite parfaite, il y a un accomplissement total, c’est celui que nous célébrons aujourd’hui. Il y a cette première chrétienne qui est le premier fruit de la Rédemption, qui est la Très Sainte Vierge Marie, née du Christ avant que le Christ ne naisse d’elle : « Vergine Madré, filia del tuo filio », « Vierge Mère, fille de ton fils », comme dit admirablement Dante au dernier chant de la divine Comédie.

Si le monde recommence en Jésus, s’il fait un nouveau départ, si il reçoit à travers Lui toute sa noblesse et toute sa beauté, c’est précisément parce que, en Jésus, la vie ne jaillit pas de la chair et du sang, elle n’est pas le fruit d’une prolifération inconsciente, elle n’est pas le fruit de la convoitise ! en Jésus, la vie est virginale, en Jésus, la vie naît de l’Esprit, de la liberté de l’Amour. En Jésus, la vie est toute neuve. En Jésus, la vie est trans­parente. En Jésus, la vie révèle la candeur de la Lumière éternelle.

Jésus, en effet, est Celui qui tient toutes les générations dans les mains de Son Amour. Il n’est pas un maillon dans la chaîne, Il n’est pas un individu parmi les milliards qui se succèdent les uns aux autres, c’est Lui qui tient toute la chaîne, qui n’est pas dans l’espace, c’est Lui qui rachète l’espèce de ses limites, qui l’arrache à la mort, qui l’introduit dans l’immortalité, c’est Lui qui rend contemporaines toutes les généra­tions, c’est Lui qui nous rassemble dans l’unité de Son Amour, c’est Lui qui nous fait naître de Sa virginité.

Un univers vierge, c’est un univers de personnes, un univers qui a son centre à l’intérieur, un univers où chacun, dans la mesure où il entre dans le jeu de l’éternel Amour, où chacun devient un créateur indispen­sable, irremplaçable, parce qu’à travers lui, à travers sa singularité, la splendeur, la beauté de Dieu se prismatise sous un aspect unique : en Jésus, tout commence et Jésus naît précisément de l’Esprit, Il naît « hors série », Il naît de la contemplation de Marie, Il naît de ce vide qu’il a fait en elle-même dès le premier instant de son existence. » (à suivre)