04-15/06/2017- Conférence – Révélation de Dieu comme présence intérieure

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Conférence de Maurice Zundel au Cénacle de Paris le 28 janvier 1967. Publié dans « Au miroir de l’Évangile »

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

L’expérience libératrice de Dieu

L’expérience de Dieu, cette expérience libératrice, est aussi et toujours – dans la mesure où elle se produit, où elle se réalise authentiquement –, est toujours aussi une révélation. Je veux dire que l’homme libéré, de lui-même, crée un espace de lumière et d’amour et il exerce sur les autres une contagion bienheureuse qui est déjà une révélation, d’ailleurs indispensable : sans cette révélation, toutes les autres seraient vaines.

Il n’y a pas de neutralité, en effet, dans la présence humaine : une présence humaine est une action, c’est une action essentielle : on peut dire que toute notre action tient à notre présence. Vous entrez dans une chambre, vous y déterminez un certain courant, bien, du moins bon ou mauvais, créateur ou destructeur, mais il n’y a pas de neutralité. Notre présence est nécessairement un centre de rayonnement, lumineux ou ténébreux, selon le choix que vous faites de vous-même.

Il est donc certain que la présence libératrice, de cette expérience où l’homme atteint à lui-même, dans cette rencontre avec la beauté toujours antique et toujours nouvelle qui l’attend au plus intime de lui-même, une telle expérience est nécessairement un foyer de lumière qui atteint les autres, qui peut rayonner sur toute l’humanité et sur tout l’univers.

Révélation et incarnation

Cette révélation a immédiatement, on peut dire par identité, le caractère d’une incarnation, c’est-à-dire que Dieu ne s’annonce pas ici sous la forme d’un discours, sous la forme d’un système philosophique, d’une explication du monde ou même d’une règle de vie, il se révèle comme une Présence et vous sentez tout ce qu’il y a, dans ce mot de Présence, de richesse.

Les isolés qui n’ont personne, qui sont réduits à un dialogue avec leurs quatre murs, sont dans une situation dangereuse, parce que il est impossible de dialoguer avec des murs. On ne peut devenir quelqu’un que pour quelqu’un. La Présence, c’est la suprême richesse que l’on puisse communiquer, si elle est une présence réelle, c’est-à-dire si elle est vraiment un présent, un cadeau, un don de soi. Et c’est sous cette forme de Présence que Dieu se révèle, essentiellement, selon le degré même où la transparence humaine lui permet de se manifester.

Il y a donc une sorte d’identité entre l’expérience, ou autre expérience libératrice, révélation et incarnation. Il n’y aura jamais pour finir de révélation authentique, s’il n’y a pas une expérience libératrice. Tant parce que Dieu s’atteste, spirituellement, il s’atteste en notre esprit, il s’atteste en notre vie, comme la condition même de ce dialogue, où de quelque chose on devient quelqu’un. On est donc sûr, a priori, que là où il n’y a pas une telle expérience libératrice, il ne peut pas y avoir de révélation.

Révélation sacrement et relations échange de Dieu

Cette expérience libératrice servant de critère, et une révélation, qui se donne pour telle, sera immédiatement testée, éprouvée et appréciée selon le degré de sa puissance libératrice. Si elle n’irradie pas, dans notre intimité comme un ferment qui nous entraîne à la désappropriation de nous-même, à cette pauvreté selon l’esprit qui est la première béatitude, elle perd tout contact avec nous et nous sommes incapables de la prendre au sérieux.

Dieu n’est pas seulement en nous, il est aussi entre nous… Les relations humaines authentiques se nouent dans l’échange de Dieu, dans l’échange de cette Présence infinie qui est intérieure et qui est tout Dieu.

Cependant, la Révélation ne se borne pas à cette révélation que nous sommes tous les uns pour les autres. Dans la mesure où nous sommes libérés, la Révélation peut prendre un aspect sacramentel, c’est-à-dire répondre à une mission, particulière, à une mission parfaitement définie qui s’adresse à une humanité prise collectivement. Car Dieu n’est pas seulement la respiration de notre vie personnelle, il n’est pas seulement l’espace où notre liberté naît à elle-même, il est aussi un lien essentiel entre nous. Dans une formule extrêmement brève, Dieu n’est pas seulement en nous, il est aussi entre nous. D’ailleurs, ceci situe le niveau même des relations humaines authentiques.

Les relations humaines authentiques se nouent, précisément, dans l’échange de Dieu, dans l’échange de cette Présence infinie qui est intérieure et qui est tout Dieu.

Il n’y a pas, donc, de conflit et de contradiction entre une vie spirituelle qui se définit par l’intériorité et une révélation qui établit une communication, en quelque sorte publique, au sein d’une collectivité. Dieu est intérieur, tellement intérieur que saint Augustin, précisément, le distingue de lui-même comme un intus : « Tu étais dedans » (tu eras intus) ; « tu étais dedans (et ego foris) et moi j’étais dehors ». Cette expression est extrêmement éclairante. Dieu est dedans, un pur dedans, une pure intimité, il n’a pas de dehors, il nous appelle donc nécessairement, quand c’est lui qui nous appelle, à une intériorisation qui est d’autant plus profonde que la révélation est, elle-même, plus pure.

Mais si révélation il y a, j’entends révélation sacramentelle, révélation formelle et explicite, révélation adressée à une collectivité, il reste que le critère sera toujours, l’expérience libératrice.

Selon l’histoire, la religion est une expression collective avant de prendre une expression personnelle

Bien sûr que cette expérience libératrice, elle comporte d’innombrables degrés et d’autant plus que la vie humaine, a été d’abord, une vie de groupe. L’humanité a vécu d’abord collectivement, avant de vivre personnellement. Vous avez encore des sociétés primitives, qui sont régies par des coutumes extrêmement rigoureuses, qui donnent aux membres du clan, au chef du clan, le droit de vie et de mort sur les membres du clan. Une fille qui a perdu son honneur sera simplement sacrifiée et mise à mort, parce qu’elle a enfreint les lois du clan. Dans ces collectivités primitives où la vie personnelle ne trouve pas à s’exprimer d’une manière explicite, elle est sans doute vécue, confusément, par tous et par chacun, mais c’est la vie collective qui l’emporte et chaque individu est informé, est régi, est gouverné, même dans sa conscience, par les revendications, les usages et les traditions du clan.

C’est pourquoi la religion prendra normalement, selon le rythme de l’histoire, une expression collective, avant de prendre une expression personnelle. Je veux dire, il y aura toujours des individualités qui émergeront, qui constitueront des têtes de pont d’une religion parfaite, qui annonceront un avenir plus spirituel.

L’ensemble sera gouverné par une relation collective dont naturellement le sens ultime, dont la signification dernière sera, bien sûr, l’expérience libératrice. Nous sommes, évidemment, très, très imparfaitement au courant de l’histoire de la Révélation parce que, à mesure que la paléontologie progresse, l’humanité, ou du moins, l’histoire de l’humanité recule.

S’il y a eu des hommes, il y a un million d’années ou davantage, il est évident que une tradition, une révélation comme la révélation biblique, représente quelque chose d’extrêmement récent. On pouvait penser, au 17ème siècle, que la Bible était le plus vieux livre du monde, que il nous amenait aux origines, qu’en quelques enjambées, on passait de Jésus-Christ au premier homme. Aujourd’hui, on sait que cette période est extrêmement étendue, elle se distend d’ailleurs toujours davantage et on peut pas s’imaginer que cette humanité ait vécu dans un no man’s land pendant des centaines de milliers d’années, qu’elle ait été privée de toute lumière touchant Dieu et qu’il ne se soit pas produit quelque révélation.

La tradition biblique

Mais, puisque nous sommes greffés, nous, sur le tronc biblique, c’est cette religion biblique qui doit faire d’abord l’objet de notre considération et ce que nous en dirons pourra s’appliquer à n’importe quelle révélation dont nous pourrons découvrir, un jour, des traces, dans une documentation qui nous échappe encore.

La tradition biblique, nous avons la chance de la posséder dans un document unique et merveilleux qui s’appelle la Bible. Nous pouvons donc en suivre l’évolution et les progrès ; mais, tout en lisant la Bible avec le plus grand respect, encore faut-il que nous sachions ce qu’il y faut chercher. Et ce qu’il y faut chercher, évidemment, c’est une Présence, c’est cette Présence là qui luit au plus profond de nous-même, quand nous avons le bonheur de passer du dehors au-dedans, et que nous sommes confrontés, dans le silence de nous-même, avec ce visage imprimé dans nos cœurs.

C’est donc cette Présence qui constitue LA Révélation, et rien d’autre. Si nous ne cherchons pas, sous les mots, une Présence, si nous ne traitons pas la Bible comme le sacrement, comme l’ostensoir d’une Présence, nous n’y comprendrons rien, et nous achopperons à toutes les limites qui éclatent dans les textes et qui sont le fait de l’homme et non pas de Dieu.

Le film pédagogique

Une image d’ailleurs extrêmement simple peut illustrer cette affirmation : supposez que vous preniez, au magnétophone, l’éducation, je veux dire le dialogue d’une mère éduquant son enfant, depuis le premier jour de son existence visible. Il est évident que il y a dans ce film pédagogique, qui va se dérouler entre la mère et l’enfant, d’innombrables étapes jusqu’à ce qu’on arrive au dialogue de la mère avec son enfant adulte.

Si l’on enregistrait cette pédagogie ou les étapes de cette pédagogie, on noterait naturellement un progrès dans les paroles de la mère, conforme au progrès dans le développement de l’enfant, et personne ne s’aviserait de vouloir juger la mère, à partir du commencement du film dans son adaptation aux balbutiements de son petit enfant.

La mère emploiera un vocabulaire adapté, elle recourra à des images, elle se proportionnera aux nécessités d’une découverte qui doit être différente pour chaque enfant et il serait absurde de juger des connaissances de la mère et de la profondeur de son âme, uniquement par les paroles qu’elle adresse à son enfant. Tout le monde comprend a priori que cette adaptation est nécessaire, mais qu’elle est pédagogique, qu’elle ne préjuge nullement des facultés de la mère et de ses connaissances, que toutes les limites en sont déterminées par les nécessités mêmes d’une pédagogie qui s’adapte au sujet qui en est le bénéficiaire.

C’est à la fin du film qu’on s’apercevra si la mère a réussi ou non son éducation. Et si elle l’a réussie, on trouvera entre la mère et son enfant devenu adulte, un dialogue d’adultes à égalité, dans une entière liberté où chacun, alors, exprimera ce qu’il pense, sans avoir besoin de paraboles, parce que il a à faire à un adulte.

Des sommets et des creux

Il en faut dire exactement de même de la Bible. Il s’agit là d’un film pédagogique qui s’adapte, naturellement, aux différentes étapes d’une éducation collective, qui est lente, difficile, hérissée d’obstacles, et qui est toujours d’ailleurs, essentiellement limitée par les limites, les limites mêmes de ceux qui en sont les instruments.

Quand vous lisez l’Exode, vous vous trouvez en face de la vision de l’Horeb. Vous avez ce tête-à-tête de Moïse avec le Buisson Ardent, vous avez les paroles : « Je suis ce que je suis », qui sont précisément l’expression même de l’ineffable : « Ne cherche pas à formuler, ne cherche pas à savoir, je suis ce que je suis » et, immédiatement après, vous avez – j’ai presque honte de vous le rappeler, tellement cela vous est connu – vous avez presque immédiatement après, Moïse poursuivi par le Seigneur qui veut le faire mourir, qui veut le faire mourir alors que pourtant le Seigneur l’a mandaté, formellement, pour être son représentant auprès du Pharaon, afin de délivrer les Hébreux captifs des Egyptiens.

Donc Moïse, revenant du pays de Madian avec le dessein d’exécuter un ordre qu’il croit divin, est poursuivi par le Seigneur qui veut le faire mourir et il faut que sa femme circoncise son fils et oigne Moïse du sang de la circoncision de son fils, pour que Moïse, enfin, échappe à la poursuite de Dieu et soit épargné grâce, justement, au contrepoids sanglant auquel a eu recours la sagesse et la prudence de sa femme.

Il est évident que nous ne sommes pas là sur le même plan, que la vision de l’Horeb est un sommet et que ce récit touchant la maladie de Moïse et cette menace de mort qui pèse sur lui est une interprétation, courante, mais nullement sublime de ce fait que la maladie, et en particulier la maladie qui mène à la mort, peut être un châtiment divin. C’est ainsi que la maladie de Moïse est interprétée par sa femme qui veut par un sacrifice, apaiser la colère de Dieu et détourner de son mari le châtiment.

Mais, bien sûr, tout le monde sent qu’en tournant la page, on change de niveau, parce que la Révélation comporte des moments décisifs, des sommets, et retombe dans des creux, et dans les ombres et dans les ténèbres, parce que le sujet humain n’a pas atteint un niveau plus élevé.

Le mot de « Parole de Dieu »

Nous ne pouvons lire la Bible sainement qu’en recherchant, sous le texte, cette Présence qui se fait jour difficilement, douloureusement, sous ce vêtement de pauvreté qui est le langage humain d’une époque donnée, où les lumières humaines sont des ténèbres par rapport à ce qu’on apprendra plus tard d’une révélation plus parfaite.

Justement, parce que la Révélation est une incarnation, parce que la Présence divine ne peut se manifester qu’à travers une présence humaine, les limites de cette présence humaine limitent aussi le rayonnement de Dieu. Et il n’y a pas de doute, n’est-ce pas, que si nous pouvons nous heurter, à tous les tournants de la Bible, à des situations qui nous choquent et nous scandalisent, parce que nous y trouvons l’expression de haines, de ressentiments, d’orgueil, de mépris, et pour l’étranger, d’exclusion pour tous ceux qui ne sont pas de la race et n’appartiennent pas au peuple élu, nous n’avons pas la moindre hésitation : toutes ces limitations viennent de l’homme, qui est l’instrument de la Révélation et non pas de Dieu, et donc elles ne nous engagent aucunement.

Au contraire, nous ne pouvons lire la Bible sainement qu’en nous en dégageant et en recherchant, sous le texte, cette Présence qui se fait jour difficilement, douloureusement, sous ce vêtement de pauvreté qui est le langage humain, d’une époque donnée où les lumières humaines sont des ténèbres par rapport à ce que on apprendra plus tard d’une révélation plus parfaite. Il ne faut donc pas s’hypnotiser sur le mot de Parole de Dieu.

Aujourd’hui, on parle, à chaque instant, de la liturgie de la parole. Ou on expose de magnifiques Bibles dans les églises, que personne ne lit d’ailleurs ! Il est bien clair que on est tenté, on est tenté de prétériter ces nuances essentielles, et à force de vouloir mettre le peuple en face de la parole de Dieu, on risque de le scandaliser dans la mesure où, au moins, il y a dans l’assemblée des gens qui réfléchissent, parce que cette parole de Dieu leur apparaîtra singulièrement inférieure, à certains moments, à tout ce qu’ils sont capables de concevoir eux-mêmes dans la pureté de leur conscience.

Des guerres peu évangéliques

Il est bien évident que lorsque, nous lisons que le Seigneur envoie des gens au massacre, qu’il leur ordonne péremptoirement de faire la politique de la terre brûlée, de ne laisser subsister rien de vivant dans un territoire ennemi, nous ne pouvons pas nous sentir dans le climat évangélique de l’agonie de Jésus-Christ. Il s’agit là d’une conception de la guerre, qui était courante à l’époque où l’on voyait, dans la guerre, un acte auquel les dieux sont mêlés et où le Dieu le plus puissant est celui qui donne la victoire, en reconnaissance de quoi, on lui sacrifie tout le butin. Au lieu de s’approprier le butin, dans un esprit de lucre, on détruit tout ce que l’on pourrait retirer d’une victoire, en l’honneur de la divinité qui a donné la victoire.

C’est une conception évidemment peu évangélique, très répandue jusqu’à nos jours, mais qui n’engage ni Dieu, ni nous.

Et ainsi de suite, à chaque instant, on peut trouver dans la Bible des imprécations, des demandes de destruction de l’ennemi qui correspondent à un instinct de justice que nous reconnaissons bien en nous, mais qui évidemment, demeure très en dessous de ce que l’Evangile nous enseigne.

Nature des dictées divines

Dieu a été victime en quelque sorte – et il l’est toujours – il a été victime de la Révélation, dans la mesure justement, où cette Révélation passe nécessairement par un médiateur humain. C’est dans la mesure où ces médiateurs étaient imparfaits et limités que la parole de Dieu a été, aussi, limitée dans son expression.

Il m’est arrivé de rencontrer, à plusieurs reprises, des gens qui écrivent sous la dictée de Dieu, hommes ou femmes, qui écrivent sous la dictée de Dieu, et qui puisent le meilleur de leur vie spirituelle dans cette dictée divine. J’en ai lu des pages et des pages. J’en ai entendu des pages et des pages et c’est généralement très bien.

C’est, en effet, le meilleur de la personne qui s’exprime ; mais il est facile aussi, lorsque cette dictée divine s’étend sur des années, des années, de voir que les intentions divines, aussi, sont différentes, parce que l’histoire du scribe, l’histoire de la personne qui écrit, se transforme, qu’elle n’aime pas les mêmes gens, qu’elle ne met pas sa confiance dans les mêmes guides, et alors que elle avait été, à un moment donné, dans un enthousiasme dithyrambique, au sujet de tel conducteur spirituel, une fois qu’elle l’a abandonné, elle passe à autre chose ou à quelqu’un d’autre qui reçoit sa confiance et qui devient pour elle – ou pour lui – le truchement de la révélation divine ; ou du moins, celui qui doit décider si elle est vraiment authentique ou non.

Il est donc éclatant que l’histoire de la personne, si cette personne n’est pas au sommet de la sainteté, affecte le message divin, quel qu’il soit, et il n’y a aucun doute que c’est le cas des écrivains bibliques. Leurs limites ont affecté l’expression de la Révélation, lui ont imprimé un tour, et une allure et un niveau pédagogiques, d’ailleurs indispensables. Il fallait commencer par le commencement et nous ne pouvons donc pas, et nous ne devons pas prendre chaque parole de la Bible comme un absolu qui bouche l’horizon et qui nous donne le dernier mot des secrets de la divinité. Et on l’a très souvent oublié.

Le récit de la Genèse et la constatation du mal

Il est éclatant, n’est-ce pas, éclatant pour nous, que le récit de la Genèse touchant ce que l’on appelle le péché originel, que ce récit ne peut pas être retenu par des chrétiens, sans une modification essentielle.

Il est, de toute évidence, que le récit de la Genèse qui vous présente un maître tout-puissant, réalisant un monde dont il n’a aucun besoin d’ailleurs, et y suscitant des présences humaines qu’il a tirées du limon de la terre, en leur insufflant un esprit de vie, qui les a placées au centre d’un jardin merveilleux, en leur interdisant l’usage de certains fruits, précisément pour affirmer sa domination sur eux, qui d’ailleurs, leur annonce le châtiment le plus grave en cas de transgression et qui leur inflige, effectivement, ce châtiment, après la transgression, il est évident que ce Dieu-là n’a pas le même visage que le Christ en agonie, que le Christ en agonie n’apparaît nullement comme un maître qui donne des ordres, qui annonce des sanctions et qui les applique.

Il apparaît comme la victime du mal. Le mal prend un sens, essentiellement différent, en face du Christ en agonie et en face du Dieu de la Genèse. Dans la Genèse, le mal est une désobéissance à une règle extérieure à l’homme, promulguée par une puissance qui est en dehors de l’homme. Dans le jardin de l’agonie, le mal est une blessure d’amour faite à Quelqu’un qui en meurt, pour celui-là même qui la lui inflige.

C’est à un niveau tellement différent, que tout le problème change d’aspect, et qu’on voit bien finalement que, sous ce titre ou plutôt cette rubrique de péché originel, ce qui est essentiel, c’est la proclamation de l’innocence de Dieu. Il est victime du mal, depuis le commencement du monde jusqu’à la fin et qu’il s’agit précisément d’épargner, si d’ailleurs, on a le bonheur de l’avoir rencontré.

La Bible : depuis là où en est l’homme

Il ne faut donc pas faire de la Bible un fétiche et une amulette : la Bible est un sacrement. C’est là son sens le plus profond. C’est un signe qui communique, si nous le lisons dans les dispositions intérieures et sous le regard du Seigneur et dans le silence le plus profond de nous-même, un sacrement où nous trouverons, sous la limite même de la lettre, la plénitude de la même Présence, toujours identique avec elle-même et que rien, dans notre cœur, ne peut limiter, sinon notre cœur lui-même.

Ne cherchons pas des explications au visage de Dieu dans certaines pages de l’Ancien Testament, qui sont insoutenables et qui nous scandalisent à bon droit, ne cherchons pas des explications, sauf que cela : Dieu n’y est tout simplement pour rien. Dieu y est parfaitement victime, parce que ce film pédagogique requiert, étant donnée l’épaisseur de l’intelligence humaine, « la dureté de la nuque », comme dit la Bible, « la dureté de la nuque de l’homme », cette pédagogie doit s’adapter et descendre, souvent très bas, pour prendre l’homme, là où il est, afin de le faire monter plus haut.

La particularité du livre de Job

La Révélation parfaite ne pourra s’accomplir que au niveau et à travers une humanité parfaite. Mais, tant que cette humanité parfaite n’est pas apparue, la Révélation ne saurait être parfaite, précisément parce que, la Révélation porte finalement, sur une Présence, et non pas sur une doctrine, sur un système ou sur une explication du monde.

La connaissance nuptiale tire toute sa lumière de l’échange des intimités qui s’enracinent l’une dans l’autre, et justement, la connaissance de Dieu, nous l’avons déjà insinué, la connaissance de Dieu est une connaissance nuptiale. Il fallait donc un engagement suprême, unique, indépassable, pour que la révélation éclatât dans le plein midi de sa lumière.

Il y aura donc un décalage entre l’Ancien et le Nouveau Testament qui est inévitable, parce que Dieu n’y a pas le même visage, étant donné que l’humanité n’est pas encore assez transparente pour communiquer cette lumière.

Il y a cependant un livre, qui est particulièrement émouvant : c’est le livre de Job. Entre tous les livres, parce que c’est le livre biblique qui nous rend sensible, dans un poète altissime, dont nous ne savons pas le nom, d’ailleurs, puisque personne ne connaît l’auteur du livre de Job, nous avons, dans ce poète immense, la conscience que la révélation de son époque ne suffit pas. C’est un homme qui, se posant le problème du mal avec une acuité indépassable et magnifique, c’est un homme qui ne trouve pas, dans la révélation de son temps, une réponse adéquate et qui le dit, dans ce cri éternel qui gardera toujours sa nouveauté : dans cette révolte, dans ce rugissement de Job, il y a le cri de l’homme scandalisé par le mal et qui ne trouve pas de réponse en un Dieu qui est présenté comme une puissance extérieure à lui-même, qui lui clôt la bouche par des arguments massifs, mais qui ne se révèle pas à lui comme l’amour, comme l’amour qui participe, comme l’amour engagé, comme l’amour victime et qui en meurt.

Le Nouveau Testament lui aussi comporte des niveaux très différents

Il y a dans l’Évangile des limites, des choses qui nous choquent, parce qu’elles ne sont plus dans la perspective que le Christ nous a ouverte…, et que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la nouveauté du visage de Dieu, révélé dans la personne et dans la vie du Christ.

Il faudra attendre le Nouveau Testament ; et le Nouveau Testament lui-même, il ne faut pas le prendre, comme étant d’une seule coulée. Le Nouveau Testament comporte, lui aussi, des niveaux très différents. Le Nouveau Testament est, lui aussi, à sa manière, un film pédagogique. Il est impossible de lire l’Évangile sans s’apercevoir que il y a des niveaux différents.

Je vous cite, parce que c’est immédiatement repérable, ce fait que la Passion du Christ en saint Jean ne parle pas du Christ revenant sur les nuées du ciel, expression tout à fait biblique, appartenant, en tous cas, aux traditions de l’apocalyptique juive, depuis Daniel, au moins. Le récit de la passion selon saint Jean ouvre une échappée merveilleuse sur le caractère universel de la souffrance du Christ, dans ce court dialogue avec Pilate, où Jésus affirme qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.

Ici, l’imagerie juive a cédé la place à une perspective beaucoup plus universelle, puisque la vérité concerne toute conscience humaine. Jésus ne parle plus du Fils de l’Homme revenant sur les nuées du ciel, en reprenant les termes de Daniel : il s’adresse à un romain, à un homme qu’il aborde sous son aspect d’humanité, et à travers lui, il annonce ce message universel qui nous émeut tellement et qui fait justement, de ce drame unique dans l’histoire, une des étapes les plus essentielles dans la révélation de la vérité. Il y a donc des niveaux dans le Nouveau Testament.

Lorsque on lit l’Évangile dans ces textes continus que l’on donne maintenant à l’usage, au moins comme une permission, lorsque on voit cet Évangile découpé et à la suite, on se rend compte que ces fragments n’ont pas la même valeur spirituelle.

Et il y a des jours où on ne peut pas les lire, parce que ils ne sont pas en situation. On sent qu’il ne répondra pas à un auditoire qui n’a pas entendu ce qui avait été lu, la veille ou l’avant-veille, et qui sera lu le surlendemain. Parce que le Nouveau Testament est, lui aussi, un film pédagogique.

Notre Seigneur, d’ailleurs, nous en avertit, lorsque il explique pourquoi il parle en paraboles. Il affirme nettement qu’il s’agit d’une pédagogie adaptée à une foule qu’il ne peut porter plus haut, comme saint Paul parlera du lait qu’il donne aux Corinthiens, qui ne sont pas encore capables d’absorber une nourriture solide, comme, pour revenir à Jésus lui-même, notre Seigneur, sur le point de quitter ses apôtres, dans la disposition chronologique de saint Jean, notre Seigneur affirme qu’il a encore beaucoup de choses à dire à ses disciples, mais qu’ils ne sont pas capables de les porter et il les renvoie, en effet, à une pédagogie infiniment intérieure, celle de l’Esprit saint qui leur sera dispensée, le jour ou à partir du jour de la Pentecôte.

Il ne faut donc pas faire de l’Évangile lui-même un fétiche. Tout dans l’Évangile n’est pas à la même hauteur. Il y a dans l’Évangile des limites, il y a des choses qui nous choquent, parce qu’elles ne sont plus, du tout, dans la perspective que le Christ nous a ouverte, parce que, grâce à lui, nous avons dépassé cette étape et que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la nouveauté du visage de Dieu, révélé dans la personne et dans la vie du Christ.

Jésus limité par les attentes de son auditoire dans la Palestine occupée

Dans la vie du Christ, sous l’aspect d’une révélation, constitue précisément un drame de première grandeur, parce que notre Seigneur a été constamment conditionné, limité par son auditoire. Il a dû user d’une diplomatie, d’autant plus subtile que il se trouvait dans un milieu révolutionnaire, dans un milieu travaillé par les ferments d’une perpétuelle rébellion, comme il est naturel dans un pays occupé.

La Palestine était un pays occupé, il y avait un maquis dans ce pays occupé, il y avait des mouvements insurrectionnels, il y avait toute une politique de ruse pratiquée par les autorités religieuses, à l’égard de la puissance occupante. Il y avait, du côté des Romains, une crainte permanente de voir surgir des conflits d’ordre religieux qui allument le fanatisme. Il fallait donc, au milieu de ce contexte, explosif, procéder avec une prudence extrême, d’autant plus profonde que le mot même de Messie pouvait incendier tout l’horizon, en faisant croire que l’heure de la rébellion ouverte avait sonné et que le secours de Dieu serait donné aux insurgés.

Notre Seigneur n’a même pas pu parler de son messianisme ou de la messianité enfin, qui est inhérente à sa mission. Il a donné à ses apôtres de la découvrir et de l’affirmer, en leur interdisant formellement, d’ailleurs, d’en parler. A plus forte raison, ne pouvait-il pas clamer, aux quatre coins de l’horizon, un titre de filiation divine qui n’aurait pas été compris.

Il y a donc dans l’Évangile un conditionnement extrêmement étroit et rigoureux de la Révélation possible à cette époque, en fonction des différents auditoires avec lesquels le Christ est confronté, et notamment avec ses disciples qui se montreront si fermés, si incapables d’entrer dans une perspective spirituelle, jusqu’au jour du dernier entretien avec Jésus, puisque, dans ce jour que nous appelons le jour de l’Ascension, la dernière question qu’ils poseront à notre Seigneur sera de savoir s’il va rétablir le Royaume en faveur d’Israël.

La lecture de l’Évangile est difficile

Nous ne pouvons lire les Évangiles qu’en rejoignant nous-même la solitude du Christ… L’Évangile, au maximum, est Quelqu’un, est une Personne, une Présence qu’il nous faut constamment découvrir, et non pas un livre, un enseignement, un système du monde.

Le Christ a donc dû cheminer sur la corde raide. Il n’a pu que, d’une façon extrêmement voilée, et en tenant compte soigneusement des circonstances, dire ce qu’il avait sur le cœur. Il y a, dans l’Évangile, des sous-entendus qu’il faut entendre, il y a des traits d’humour qu’il faut comprendre, il y a surtout une immense souffrance, une immense pauvreté dans l’acceptation de toutes ces limites psychologiques et sociales qui enverra un message qui ne pourra éclater, finalement, que dans le feu de la Pentecôte. C’est pourquoi, quoi qu’on pense, la lecture de l’Évangile est extrêmement difficile et n’est féconde que dans la mesure où l’on y cherche une Présence, une Présence, dans la mesure où l’on est en communication avec l’intimité de Jésus-Christ.

Vous en avez une sorte de perception, si vous vous rappelez l’éloge que Jésus fait de Jean le Baptiste, qu’il met si haut, si haut qu’on se demande quel homme pourrait surpasser celui-ci, qui est suivi immédiatement, dans un mouvement d’humour magnifique et tragique : « Mais le plus petit dans le royaume est plus grand que Jean le Baptiste. »

Il n’y a donc aucun doute que Jésus eut une parfaite conscience que il apportait quelque chose d’essentiellement nouveau, si nouveau que le plus petit des disciples de la Nouvelle Alliance l’emporterait sur le plus grand des prophètes de l’Alliance ancienne.

Mais tout cela, il ne pouvait le faire pressentir qu’avec une extrême prudence, en apprivoisant son auditoire, en lui donnant des images capables de retenir son attention et de l’orienter vers une découverte qui se ferait plus tard, au-delà même de sa mort.

La solitude du Christ est donc immense. Et c’est pourquoi nous ne pouvons lire les Évangiles qu’en rejoignant nous-même cette solitude du Christ. Rien ne serait plus dangereux que de vouloir construire un système sur les textes évangéliques. L’Évangile, au maximum, est Quelqu’un, est une Personne, une Présence qu’il nous faut constamment découvrir, et non pas un livre, un enseignement, un système du monde. C’est un témoignage rendu à une Présence et qui ne devient vivant que par la lumière de cette Présence recueillie par notre intimité. C’est qu’en effet, notre Seigneur apportait quelque chose d’essentiellement nouveau, il apportait la révélation d’un Dieu pauvre.

Dans cette expérience la vérité, la liberté et la joie

Nous avons remarqué, tout à l’heure, que l’expérience libératrice où nous accédons à nous-même, comme Augustin l’exprime si magnifiquement dans le 27ème chapitre du livre 10ème des Confessions, nous avons remarqué que cette expérience libératrice se situait absolument au-delà de toute espèce de dépendance et de soumission, parce que nous sommes dans un ordre interpersonnel, dans un ordre nuptial où il ne s’agit pas de se comparer et de se mettre au-dessus ou au-dessous, où il s’agit uniquement de se donner totalement, en se vidant de soi pour accueillir l’intimité de l’autre sans la limiter.

Eh bien ! Cette affirmation expérimentale, je veux dire constamment vérifiée par l’expérience, car quel est le savant qui découvre la vérité, sinon dans l’émerveillement ? Aucun savant ne découvre la vérité avec le sentiment qu’elle l’opprime, qu’elle le domine, qu’elle le limite et qu’elle attend de lui, un tribut ou un impôt ! Qui n’ouvre que dans un océan de lumière ; il s’y plonge et y trouve, à la fois, sa liberté et sa joie.

L’esprit est source, jaillissement, origine, liberté, mais il l’est uniquement en fonction de cette relation à un autre où il se vide de soi ; et c’est ce que Jésus-Christ va nous transmettre en rendant témoignage à l’expérience qui est la sienne.

Une telle expérience ne comporte pas ce régime de soumission et de dépendance, parce qu’il se situe au niveau le plus profond de l’esprit, que l’esprit, c’est justement, notre être incapable de rien subir, et d’abord lui-même. L’esprit est caractérisé par cela même que il est un refus de subir, quoique ce soit et d’abord soi. L’esprit est source, il est jaillissement, il est origine, il est liberté, mais il l’est uniquement en fonction de cette relation à un autre où il se vide de soi ; et c’est justement, ce que Jésus-Christ va nous enseigner, va nous transmettre, plus exactement, va nous communiquer, en rendant témoignage à l’expérience qui est la sienne.

Une humilité qui n’est plus une humiliation

Le témoignage de Jésus-Christ, nous amène… à une humilité qui n’est plus une humiliation. Il ne s’agit pas de s’humilier, mais de se désapproprier dans l’amour d’un autre et pour lui ; de se désapproprier parce que c’est là toute la grandeur, toute la richesse et toute la beauté de l’amour.

Jésus va nous mettre en face d’un Dieu qui n’a rien, d’un Dieu qui donne tout, d’un Dieu qui est pure communication, d’un Dieu qui est essentiellement désapproprié de lui-même. Et ceci est prodigieux, parce que, d’une part, nous ne pouvons pas renoncer à la grandeur, nous ne pouvons pas renoncer à l’infini, nous ne pouvons nous mouvoir à l’aise que dans l’infini, tous nos rêves d’amour, de connaissance et de puissance sont des rêves infinis. Nous ne pouvons pas nous limiter, nous ne pouvons pas ne pas être blessés, par les limites que nous pouvons rencontrer en nous ou dans les autres et que, d’autre part, l’exaltation la plus héroïque ne mène à rien.

S’exalter dans le sens nietzschéen, s’exalter en se faisant le bourreau de soi-même, pour triompher de ses limites et faire de soi un Himalaya, cette sorte de tension solitaire n’aboutit à rien qu’à des désordres mentaux, finalement, à des désespoir ou à des folies qui créent des tyrannies les plus redoutables.

D’autre part, nous ne pouvons pas nous humilier. Nous humilier devant qui ? Et pourquoi ? Et c’est là, justement, que l’Évangile, je veux dire, le témoignage de Jésus-Christ, nous amène, parce que il nous met en face d’un Dieu qui est humble, humble à l’infini, d’un Dieu entièrement vidé de soi, il nous amène à une humilité qui n’est plus une humiliation. Il ne s’agit pas de s’humilier, mais de se désapproprier dans l’amour d’un autre et pour lui; de se désapproprier parce que c’est là toute la grandeur, toute la richesse et toute la beauté de l’amour.

Expérience d’un Dieu au travers d’un engagement nuptial où on donne tout parce qu’on aime

le Dieu que Jésus-Christ nous communique, n’est plus un Dieu qui est le maître… mais un Dieu qui est en état de démission infinie, qui n’est Dieu qu’en raison de cette désappropriation ; … chacune des personnes à l’intérieur de la divinité, n’a d’autre propriété que la désappropriation qui la constitue.

L’immense bienfait de l’Évangile, qui est vraiment la Bonne Nouvelle dans la personne de Jésus-Christ et dans la lumière de sa Présence, c’est précisément que le Dieu qu’il nous présente, le Dieu qu’il nous communique, n’est plus un Dieu qui est le maître, un Dieu qui s’impose comme le dominateur, mais un Dieu qui est en état de démission infinie, qui n’est Dieu qu’en raison de cette désappropriation, dont toute la vie est un échange, où chacun des termes de cet échange, des termes vivants de cet échange, les hypostases de cet échange, pour chacune des personnes à l’intérieur de la divinité, n’a d’autre propriété que la désappropriation qui la constitue.

Cette expérience d’un Dieu, expérience qui est celle même de Jésus, qui fait de lui ce qu’il est, cette expérience essentielle qui est à la base et à la racine du Christianisme, c’est l’expérience d’un Dieu qui est Dieu, précisément, parce que il est absolument et radicalement incapable de rien posséder, de rien s’approprier et d’abord lui-même, lui-même qui n’a de contact avec soi que dans la communication, qui s’atteint, virginalement, dans un autre et pour lui.

Il y a là quelque chose d’absolument, absolument incomparable et qui, justement, efface tout ce juridisme d’une domination qui s’imposerait à nous, tout ce conformisme d’une morale qui serait simplement l’obéissance à un décret porté par un despotisme hors du monde. Il s’agit de tout autre chose, d’un engagement nuptial où on donne tout parce qu’on aime, TOUT… parce qu’on aime, parce qu’on est en face de l’amour, parce que la seule communication est cet échange jusqu’à la racine de l’être.

Dans la communication avec le Christ, l’expérience libératrice

Nous nous retrouvons donc, ici, sur un terrain où l’accord entre l’expérience augustinienne, l’expérience commune, l’expérience que tout homme peut faire, de son intimité, comme du sanctuaire de la divinité, nous nous trouvons sur un terrain commun. Davantage : l’expérience de Jésus-Christ illumine, d’une manière incomparable, ce pressentiment que nous pouvons avoir, toutes les fois que, dans l’émerveillement, nous sommes, pour un instant, délivrés de nous-même et jetés dans ce dialogue de lumière avec une Présence libératrice.

Nous sommes donc sûrs, dans le sillage du Christ, dans la communication avec le Christ, dans la communion avec sa Présence, nous sommes sûrs que nous n’allons pas nous éloigner de l’expérience libératrice, la limiter mais, au contraire, l’approfondir, la rendre plus lumineuse encore, et s’il se peut, plus universelle.

Nous entrevoyons par-là que la foi ne doit pas être un joug imposé à notre intelligence, un ensemble de choses à accepter, contre le témoignage de notre raison, que la foi ne pourra jamais être que, finalement, la lumière de cette Présence, plus profondément manifestée, plus intimement enracinée en nous, en vue d’une plus grande liberté, en entendant, bien entendu par liberté, une libération, c’est-à-dire un dégagement de nous-même, qui augmente notre espace intérieur et nous permet d’accueillir Dieu, en le limitant moins, et les autres, sans leur imposer nos frontières.

La pauvreté de Dieu le centre de toute lumière

Cherchons le visage intérieur de la pauvreté divine où nous ne rencontrerons jamais de limites,… où nous apprendrons que la suprême grandeur c’est de se dépouiller, de se démettre de soi, de faire de soi un don illimité et d’être au service de l’homme dans l’agenouillement du Lavement des pieds.

C’est dans cette ligne que nous pouvons lire le Nouveau Testament, avec ce discernement de l’amour, avec ce critère de la libération, sans être dupes des limites humaines. Il est évident que nous ne pouvons pas nous trouver à l’aise devant les possessions démoniaques qui ne correspondent plus du tout à une psychologie qui est la nôtre. Ce surnaturel grimaçant a heureusement disparu, au moins, de la rue et ce n’est pas là que le Christ nous devient le plus intelligible. Il nous faudra l’atteindre d’abord par le centre, pour comprendre que il s’est adapté et au langage et aux usages et aux interprétations, dans la mesure où il était impossible que il révélât ce qui est le centre même de son message, la pauvreté de Dieu.

Cette pauvreté, Jésus n’a pu la révéler que dans son supplice : il ne pouvait pas la révéler dans ses paroles. Quand il a fait allusion à la Croix devant ses disciples, qu’il avait pourtant triés sur le volet, ils se sont récriés et ils lui ont proposé, justement, d’échapper à la Croix et d’aller vers l’accomplissement des promesses de Dieu par des chemins moins onéreux. Il n’y avait pas d’autre possibilité, pour lui, de nous révéler le visage de l’amour crucifié que sa propre crucifixion.

Mais nous sommes parfaitement sûrs, précisément, en raison de cette révélation dans l’épreuve insondable de la Croix, que jamais le Christ ne pourra nous limiter et que, si dans l’Évangile, de telles frontières se rencontrent, elles sont de nouveau, manifestement, le fait de l’homme et non le fait de Dieu.

Il s’agit comme toujours plus d’une pédagogie adaptée aux limites humaines, jusqu’à ce que vienne le moment de cette maturité intérieure dans le baptême de feu où toutes les valeurs se mettront en place et où la pauvreté de Dieu deviendra le centre de toute lumière.

Soyons donc prudents lorsque nous parlons de la parole de Dieu. Ne nous laissons pas entraîner par des slogans. Ne prenons pas des airs solennels, en lisant des textes qui sont insuffisants, par rapport à la lumière qui nous est venue de Jésus-Christ. Mais, très humblement, au contraire, et dans le silence, à travers tout ce vêtement de pauvreté que Dieu a assumé pour atteindre les hommes, cherchons le visage intérieur de la pauvreté divine où nous ne rencontrerons jamais de limites, où nous nous replongerons toujours dans les sources de notre naissance et où nous apprendrons que, en effet, la suprême grandeur c’est de se dépouiller, de se démettre de soi, de faire de soi un don illimité et d’être au service de l’homme dans l’agenouillement du Lavement des pieds.

Un Dieu qui est Dieu parce qu’il n’a rien

Dieu est Dieu parce qu’il n’a rien, Dieu se vide éternellement de lui-même, la création jaillit de cette pauvreté sur-essentielle et nous appelle nous-même à être ce qu’il est, non pas dans une exaltation paranoïaque, mais dans un don silencieux.

Je crois que, dans cette perspective, nous ne pourrons pas nous scandaliser de ce qu’il y ait dans le Nouveau Testament lui-même tant d’épisodes ou de passages, qui ne constituent pas un sommet par rapport à d’autres qui constituent, en revanche, un sommet, mais nous verrons, dans ces sommets, l’éclatement de ce que le Christ portait vraiment en lui, et dans ces dépressions et dans ces creux, les ténèbres du cœur humain qu’il fallait atteindre là où il se trouvait pour l’acheminer peu à peu vers cette révélation incroyable que nous n’avons pas encore comprise d’un Dieu qui est Dieu parce qu’il n’a rien, d’un Dieu qui se vide éternellement de lui-même, dont la création jaillit de cette pauvreté sur essentielle et qui nous appelle nous-même à être ce qu’il est, non pas dans une exaltation paranoïaque, mais dans un don silencieux.

Ah ! C’est ça, c’est ça qui est merveilleux : il ne s’agit pas de se monter le bourrichon, il ne s’agit pas de s’exalter, il ne s’agit pas non plus de s’humilier – c’est tellement autre chose – mais de le regarder, de le regarder, lui, dans sa pauvreté infinie, de le regarder dans son dépouillement éternel, d’entrer dans le jeu de cette désappropriation où l’on vient à soi virginalement, où on se connaît dans un autre et pour lui, où toute la lumière est la candeur même de cette désappropriation, où l’on peut, alors, s’affranchir de soi parce que on ne se trouve plus devant une majesté devant laquelle on aurait à se courber, mais devant un cœur qui bat dans le nôtre, devant un amour crucifié par amour pour nous et qui nous est totalement livré, puisqu’il est un pur dedans.

Dieu porte les conséquences de notre conduite

Regarder Dieu en nous demandant ce qui lui arrivera, parce que tout est là : Dieu est d’une fragilité infinie, infinie. Il est pure intériorité, puisque seule notre intériorité peut alors l’accueillir et le situer dans notre histoire.

Nous sommes constamment tentés de nous demander quel sera le résultat de notre conduite pour nous-même. Le Christ nous apprend à nous interroger sur les conséquences de notre conduite sur Dieu, car c’est Dieu, finalement, qui en portera les conséquences. C’est Dieu qui est victime, et chacune de nos défaillances ferme une porte à sa lumière, intercepte le rayonnement de son amour et rend son règne, dans l’histoire, plus caduc.

Ce qu’il faut, c’est le regarder, le regarder en nous demandant ce qui lui arrivera, parce que tout est là, finalement : Dieu est d’une fragilité infinie, infinie. Il est pure intériorité, puisque seule notre intériorité peut alors l’accueillir et le situer dans notre histoire.

C’est dans la mesure où nous sommes nous-même une Présence réelle de Dieu, que Dieu devient une réalité pour les hommes d’aujourd’hui.

Dans l’histoire humaine, Dieu n’est une réalité qu’à travers nous et c’est dans la mesure où nous sommes nous-même une Présence réelle de Dieu, que Dieu devient une réalité pour les hommes d’aujourd’hui. Et c’est par-là que nous sommes dégagés d’une des préoccupations les plus dangereuses qui est, justement, le culte de soi-même, le culte de son âme, le culte de son propre salut où l’on ne cesse plus ou, du moins, on ne cesse pas de graviter autour de soi, en retombant dans ce moi limité, possessif et complice, alors que l’immense bienfait de l’Evangile, c’est précisément de nous entraîner à comprendre que, n’ayant pas d’autre grandeur que le don, c’est donc celui-là même auquel on se donne qu’il s’agit de regarder, et non pas soi.

Dieu veut notre grandeur

Quoi que nous ayons fait, quelles qu’aient été les fautes de notre vie, tout cela est derrière nous. C’est inutile de nous y attarder, parce que le mal le plus profond, c’est de coller à soi, qu’il n’y a de faute, finalement, que dans cette adhésion possessive à soi-même, comme il n’y a de bien et de vertu que dans une offrande totale de soi-même en une adhésion plénière à Dieu. Mais cette adhésion, elle prend justement dans le Christianisme, elle revêt une nécessité tragique, parce qu’elle conditionne la vie même de Dieu, dans l’univers et dans l’histoire.

Dieu ne peut rien sans nous, dans l’histoire humaine. Et notre brutalité, notre épaisseur peut à chaque instant le faire culbuter, si je puis dire, dans le néant, parce que il ne peut pas se situer ailleurs que dans l’amour, comme votre amour conjugal ne peut pas se situer ailleurs que dans l’amour. Si, il n’est pas accueilli par votre conjoint, il se brise contre un mur et il devient totalement incapable de s’exprimer si nous refusons de l’accueillir.

Nous retrouvons donc ici, et dans un centre éclatant, cette certitude ou de cette expérience que Dieu ne peut jamais être autre chose que le ferment de notre libération, que nous n’avons accès à nous-même qu’à travers lui, que il n’exige aucunement que nous nous humilions – il en aurait horreur, horreur ! Comment est-ce que l’amour pourrait prendre plaisir à l’humiliation de l’être aimé ? C’est impossible

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Conférence de Maurice Zundel au Cénacle de Paris le 28 janvier 1967. Publié dans « Au miroir de l’Évangile »

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

L’expérience libératrice de Dieu

L’expérience de Dieu, cette expérience libératrice, est aussi et toujours – dans la mesure où elle se produit, où elle se réalise authentiquement –, est toujours aussi une révélation. Je veux dire que l’homme libéré, de lui-même, crée un espace de lumière et d’amour et il exerce sur les autres une contagion bienheureuse qui est déjà une révélation, d’ailleurs indispensable : sans cette révélation, toutes les autres seraient vaines.


Il n’y a pas de neutralité, en effet, dans la présence humaine : une présence humaine est une action, c’est une action essentielle : on peut dire que toute notre action tient à notre présence. Vous entrez dans une chambre, vous y déterminez un certain courant, bien, du moins bon ou mauvais, créateur ou destructeur, mais il n’y a pas de neutralité. Notre présence est nécessairement un centre de rayonnement, lumineux ou ténébreux, selon le choix que vous faites de vous-même.

Il est donc certain que la présence libératrice, de cette expérience où l’homme atteint à lui-même, dans cette rencontre avec la beauté toujours antique et toujours nouvelle qui l’attend au plus intime de lui-même, une telle expérience est nécessairement un foyer de lumière qui atteint les autres, qui peut rayonner sur toute l’humanité et sur tout l’univers.

Révélation et incarnation

Cette révélation a immédiatement, on peut dire par identité, le caractère d’une incarnation, c’est-à-dire que Dieu ne s’annonce pas ici sous la forme d’un discours, sous la forme d’un système philosophique, d’une explication du monde ou même d’une règle de vie, il se révèle comme une Présence et vous sentez tout ce qu’il y a, dans ce mot de Présence, de richesse.

Les isolés qui n’ont personne, qui sont réduits à un dialogue avec leurs quatre murs, sont dans une situation dangereuse, parce que il est impossible de dialoguer avec des murs. On ne peut devenir quelqu’un que pour quelqu’un. La Présence, c’est la suprême richesse que l’on puisse communiquer, si elle est une présence réelle, c’est-à-dire si elle est vraiment un présent, un cadeau, un don de soi. Et c’est sous cette forme de Présence que Dieu se révèle, essentiellement, selon le degré même où la transparence humaine lui permet de se manifester.

Il y a donc une sorte d’identité entre l’expérience, ou autre expérience libératrice, révélation et incarnation. Il n’y aura jamais pour finir de révélation authentique, s’il n’y a pas une expérience libératrice. Tant parce que Dieu s’atteste, spirituellement, il s’atteste en notre esprit, il s’atteste en notre vie, comme la condition même de ce dialogue, où de quelque chose on devient quelqu’un. On est donc sûr, a priori, que là où il n’y a pas une telle expérience libératrice, il ne peut pas y avoir de révélation.

Révélation sacrement et relations échange de Dieu

Cette expérience libératrice servant de critère, et une révélation, qui se donne pour telle, sera immédiatement testée, éprouvée et appréciée selon le degré de sa puissance libératrice. Si elle n’irradie pas, dans notre intimité comme un ferment qui nous entraîne à la désappropriation de nous-même, à cette pauvreté selon l’esprit qui est la première béatitude, elle perd tout contact avec nous et nous sommes incapables de la prendre au sérieux.

Dieu n’est pas seulement en nous, il est aussi entre nous… Les relations humaines authentiques se nouent dans l’échange de Dieu, dans l’échange de cette Présence infinie qui est intérieure et qui est tout Dieu.

Cependant, la Révélation ne se borne pas à cette révélation que nous sommes tous les uns pour les autres. Dans la mesure où nous sommes libérés, la Révélation peut prendre un aspect sacramentel, c’est-à-dire répondre à une mission, particulière, à une mission parfaitement définie qui s’adresse à une humanité prise collectivement. Car Dieu n’est pas seulement la respiration de notre vie personnelle, il n’est pas seulement l’espace où notre liberté naît à elle-même, il est aussi un lien essentiel entre nous. Dans une formule extrêmement brève, Dieu n’est pas seulement en nous, il est aussi entre nous. D’ailleurs, ceci situe le niveau même des relations humaines authentiques.

Les relations humaines authentiques se nouent, précisément, dans l’échange de Dieu, dans l’échange de cette Présence infinie qui est intérieure et qui est tout Dieu.

Il n’y a pas, donc, de conflit et de contradiction entre une vie spirituelle qui se définit par l’intériorité et une révélation qui établit une communication, en quelque sorte publique, au sein d’une collectivité. Dieu est intérieur, tellement intérieur que saint Augustin, précisément, le distingue de lui-même comme un intus : « Tu étais dedans » (tu eras intus) ; « tu étais dedans (et ego foris) et moi j’étais dehors ». Cette expression est extrêmement éclairante. Dieu est dedans, un pur dedans, une pure intimité, il n’a pas de dehors, il nous appelle donc nécessairement, quand c’est lui qui nous appelle, à une intériorisation qui est d’autant plus profonde que la révélation est, elle-même, plus pure.

Mais si révélation il y a, j’entends révélation sacramentelle, révélation formelle et explicite, révélation adressée à une collectivité, il reste que le critère sera toujours, l’expérience libératrice.

Selon l’histoire, la religion est une expression collective avant de prendre une expression personnelle

Bien sûr que cette expérience libératrice, elle comporte d’innombrables degrés et d’autant plus que la vie humaine, a été d’abord, une vie de groupe. L’humanité a vécu d’abord collectivement, avant de vivre personnellement. Vous avez encore des sociétés primitives, qui sont régies par des coutumes extrêmement rigoureuses, qui donnent aux membres du clan, au chef du clan, le droit de vie et de mort sur les membres du clan. Une fille qui a perdu son honneur sera simplement sacrifiée et mise à mort, parce qu’elle a enfreint les lois du clan. Dans ces collectivités primitives où la vie personnelle ne trouve pas à s’exprimer d’une manière explicite, elle est sans doute vécue, confusément, par tous et par chacun, mais c’est la vie collective qui l’emporte et chaque individu est informé, est régi, est gouverné, même dans sa conscience, par les revendications, les usages et les traditions du clan.

C’est pourquoi la religion prendra normalement, selon le rythme de l’histoire, une expression collective, avant de prendre une expression personnelle. Je veux dire, il y aura toujours des individualités qui émergeront, qui constitueront des têtes de pont d’une religion parfaite, qui annonceront un avenir plus spirituel.

L’ensemble sera gouverné par une relation collective dont naturellement le sens ultime, dont la signification dernière sera, bien sûr, l’expérience libératrice. Nous sommes, évidemment, très, très imparfaitement au courant de l’histoire de la Révélation parce que, à mesure que la paléontologie progresse, l’humanité, ou du moins, l’histoire de l’humanité recule.

S’il y a eu des hommes, il y a un million d’années ou davantage, il est évident que une tradition, une révélation comme la révélation biblique, représente quelque chose d’extrêmement récent. On pouvait penser, au 17ème siècle, que la Bible était le plus vieux livre du monde, que il nous amenait aux origines, qu’en quelques enjambées, on passait de Jésus-Christ au premier homme. Aujourd’hui, on sait que cette période est extrêmement étendue, elle se distend d’ailleurs toujours davantage et on peut pas s’imaginer que cette humanité ait vécu dans un no man’s land pendant des centaines de milliers d’années, qu’elle ait été privée de toute lumière touchant Dieu et qu’il ne se soit pas produit quelque révélation.

La tradition biblique

Mais, puisque nous sommes greffés, nous, sur le tronc biblique, c’est cette religion biblique qui doit faire d’abord l’objet de notre considération et ce que nous en dirons pourra s’appliquer à n’importe quelle révélation dont nous pourrons découvrir, un jour, des traces, dans une documentation qui nous échappe encore.

La tradition biblique, nous avons la chance de la posséder dans un document unique et merveilleux qui s’appelle la Bible. Nous pouvons donc en suivre l’évolution et les progrès ; mais, tout en lisant la Bible avec le plus grand respect, encore faut-il que nous sachions ce qu’il y faut chercher. Et ce qu’il y faut chercher, évidemment, c’est une Présence, c’est cette Présence là qui luit au plus profond de nous-même, quand nous avons le bonheur de passer du dehors au-dedans, et que nous sommes confrontés, dans le silence de nous-même, avec ce visage imprimé dans nos cœurs.

C’est donc cette Présence qui constitue LA Révélation, et rien d’autre. Si nous ne cherchons pas, sous les mots, une Présence, si nous ne traitons pas la Bible comme le sacrement, comme l’ostensoir d’une Présence, nous n’y comprendrons rien, et nous achopperons à toutes les limites qui éclatent dans les textes et qui sont le fait de l’homme et non pas de Dieu.

Le film pédagogique

Une image d’ailleurs extrêmement simple peut illustrer cette affirmation : supposez que vous preniez, au magnétophone, l’éducation, je veux dire le dialogue d’une mère éduquant son enfant, depuis le premier jour de son existence visible. Il est évident que il y a dans ce film pédagogique, qui va se dérouler entre la mère et l’enfant, d’innombrables étapes jusqu’à ce qu’on arrive au dialogue de la mère avec son enfant adulte.

Si l’on enregistrait cette pédagogie ou les étapes de cette pédagogie, on noterait naturellement un progrès dans les paroles de la mère, conforme au progrès dans le développement de l’enfant, et personne ne s’aviserait de vouloir juger la mère, à partir du commencement du film dans son adaptation aux balbutiements de son petit enfant.

La mère emploiera un vocabulaire adapté, elle recourra à des images, elle se proportionnera aux nécessités d’une découverte qui doit être différente pour chaque enfant et il serait absurde de juger des connaissances de la mère et de la profondeur de son âme, uniquement par les paroles qu’elle adresse à son enfant. Tout le monde comprend a priori que cette adaptation est nécessaire, mais qu’elle est pédagogique, qu’elle ne préjuge nullement des facultés de la mère et de ses connaissances, que toutes les limites en sont déterminées par les nécessités mêmes d’une pédagogie qui s’adapte au sujet qui en est le bénéficiaire.

C’est à la fin du film qu’on s’apercevra si la mère a réussi ou non son éducation. Et si elle l’a réussie, on trouvera entre la mère et son enfant devenu adulte, un dialogue d’adultes à égalité, dans une entière liberté où chacun, alors, exprimera ce qu’il pense, sans avoir besoin de paraboles, parce que il a à faire à un adulte.

Des sommets et des creux

Il en faut dire exactement de même de la Bible. Il s’agit là d’un film pédagogique qui s’adapte, naturellement, aux différentes étapes d’une éducation collective, qui est lente, difficile, hérissée d’obstacles, et qui est toujours d’ailleurs, essentiellement limitée par les limites, les limites mêmes de ceux qui en sont les instruments.

Quand vous lisez l’Exode, vous vous trouvez en face de la vision de l’Horeb. Vous avez ce tête-à-tête de Moïse avec le Buisson Ardent, vous avez les paroles : « Je suis ce que je suis », qui sont précisément l’expression même de l’ineffable : « Ne cherche pas à formuler, ne cherche pas à savoir, je suis ce que je suis » et, immédiatement après, vous avez – j’ai presque honte de vous le rappeler, tellement cela vous est connu – vous avez presque immédiatement après, Moïse poursuivi par le Seigneur qui veut le faire mourir, qui veut le faire mourir alors que pourtant le Seigneur l’a mandaté, formellement, pour être son représentant auprès du Pharaon, afin de délivrer les Hébreux captifs des Egyptiens.

Donc Moïse, revenant du pays de Madian avec le dessein d’exécuter un ordre qu’il croit divin, est poursuivi par le Seigneur qui veut le faire mourir et il faut que sa femme circoncise son fils et oigne Moïse du sang de la circoncision de son fils, pour que Moïse, enfin, échappe à la poursuite de Dieu et soit épargné grâce, justement, au contrepoids sanglant auquel a eu recours la sagesse et la prudence de sa femme.

Il est évident que nous ne sommes pas là sur le même plan, que la vision de l’Horeb est un sommet et que ce récit touchant la maladie de Moïse et cette menace de mort qui pèse sur lui est une interprétation, courante, mais nullement sublime de ce fait que la maladie, et en particulier la maladie qui mène à la mort, peut être un châtiment divin. C’est ainsi que la maladie de Moïse est interprétée par sa femme qui veut par un sacrifice, apaiser la colère de Dieu et détourner de son mari le châtiment.

Mais, bien sûr, tout le monde sent qu’en tournant la page, on change de niveau, parce que la Révélation comporte des moments décisifs, des sommets, et retombe dans des creux, et dans les ombres et dans les ténèbres, parce que le sujet humain n’a pas atteint un niveau plus élevé.

Le mot de « Parole de Dieu »

Nous ne pouvons lire la Bible sainement qu’en recherchant, sous le texte, cette Présence qui se fait jour difficilement, douloureusement, sous ce vêtement de pauvreté qui est le langage humain d’une époque donnée, où les lumières humaines sont des ténèbres par rapport à ce qu’on apprendra plus tard d’une révélation plus parfaite.

Justement, parce que la Révélation est une incarnation, parce que la Présence divine ne peut se manifester qu’à travers une présence humaine, les limites de cette présence humaine limitent aussi le rayonnement de Dieu. Et il n’y a pas de doute, n’est-ce pas, que si nous pouvons nous heurter, à tous les tournants de la Bible, à des situations qui nous choquent et nous scandalisent, parce que nous y trouvons l’expression de haines, de ressentiments, d’orgueil, de mépris, et pour l’étranger, d’exclusion pour tous ceux qui ne sont pas de la race et n’appartiennent pas au peuple élu, nous n’avons pas la moindre hésitation : toutes ces limitations viennent de l’homme, qui est l’instrument de la Révélation et non pas de Dieu, et donc elles ne nous engagent aucunement.

Au contraire, nous ne pouvons lire la Bible sainement qu’en nous en dégageant et en recherchant, sous le texte, cette Présence qui se fait jour difficilement, douloureusement, sous ce vêtement de pauvreté qui est le langage humain, d’une époque donnée où les lumières humaines sont des ténèbres par rapport à ce que on apprendra plus tard d’une révélation plus parfaite. Il ne faut donc pas s’hypnotiser sur le mot de Parole de Dieu.

Aujourd’hui, on parle, à chaque instant, de la liturgie de la parole. Ou on expose de magnifiques Bibles dans les églises, que personne ne lit d’ailleurs ! Il est bien clair que on est tenté, on est tenté de prétériter ces nuances essentielles, et à force de vouloir mettre le peuple en face de la parole de Dieu, on risque de le scandaliser dans la mesure où, au moins, il y a dans l’assemblée des gens qui réfléchissent, parce que cette parole de Dieu leur apparaîtra singulièrement inférieure, à certains moments, à tout ce qu’ils sont capables de concevoir eux-mêmes dans la pureté de leur conscience.

Des guerres peu évangéliques

Il est bien évident que lorsque, nous lisons que le Seigneur envoie des gens au massacre, qu’il leur ordonne péremptoirement de faire la politique de la terre brûlée, de ne laisser subsister rien de vivant dans un territoire ennemi, nous ne pouvons pas nous sentir dans le climat évangélique de l’agonie de Jésus-Christ. Il s’agit là d’une conception de la guerre, qui était courante à l’époque où l’on voyait, dans la guerre, un acte auquel les dieux sont mêlés et où le Dieu le plus puissant est celui qui donne la victoire, en reconnaissance de quoi, on lui sacrifie tout le butin. Au lieu de s’approprier le butin, dans un esprit de lucre, on détruit tout ce que l’on pourrait retirer d’une victoire, en l’honneur de la divinité qui a donné la victoire.

C’est une conception évidemment peu évangélique, très répandue jusqu’à nos jours, mais qui n’engage ni Dieu, ni nous.

Et ainsi de suite, à chaque instant, on peut trouver dans la Bible des imprécations, des demandes de destruction de l’ennemi qui correspondent à un instinct de justice que nous reconnaissons bien en nous, mais qui évidemment, demeure très en dessous de ce que l’Evangile nous enseigne.

Nature des dictées divines

Dieu a été victime en quelque sorte – et il l’est toujours – il a été victime de la Révélation, dans la mesure justement, où cette Révélation passe nécessairement par un médiateur humain. C’est dans la mesure où ces médiateurs étaient imparfaits et limités que la parole de Dieu a été, aussi, limitée dans son expression.

Il m’est arrivé de rencontrer, à plusieurs reprises, des gens qui écrivent sous la dictée de Dieu, hommes ou femmes, qui écrivent sous la dictée de Dieu, et qui puisent le meilleur de leur vie spirituelle dans cette dictée divine. J’en ai lu des pages et des pages. J’en ai entendu des pages et des pages et c’est généralement très bien.

C’est, en effet, le meilleur de la personne qui s’exprime ; mais il est facile aussi, lorsque cette dictée divine s’étend sur des années, des années, de voir que les intentions divines, aussi, sont différentes, parce que l’histoire du scribe, l’histoire de la personne qui écrit, se transforme, qu’elle n’aime pas les mêmes gens, qu’elle ne met pas sa confiance dans les mêmes guides, et alors que elle avait été, à un moment donné, dans un enthousiasme dithyrambique, au sujet de tel conducteur spirituel, une fois qu’elle l’a abandonné, elle passe à autre chose ou à quelqu’un d’autre qui reçoit sa confiance et qui devient pour elle – ou pour lui – le truchement de la révélation divine ; ou du moins, celui qui doit décider si elle est vraiment authentique ou non.

Il est donc éclatant que l’histoire de la personne, si cette personne n’est pas au sommet de la sainteté, affecte le message divin, quel qu’il soit, et il n’y a aucun doute que c’est le cas des écrivains bibliques. Leurs limites ont affecté l’expression de la Révélation, lui ont imprimé un tour, et une allure et un niveau pédagogiques, d’ailleurs indispensables. Il fallait commencer par le commencement et nous ne pouvons donc pas, et nous ne devons pas prendre chaque parole de la Bible comme un absolu qui bouche l’horizon et qui nous donne le dernier mot des secrets de la divinité. Et on l’a très souvent oublié.

Le récit de la Genèse et la constatation du mal

Il est éclatant, n’est-ce pas, éclatant pour nous, que le récit de la Genèse touchant ce que l’on appelle le péché originel, que ce récit ne peut pas être retenu par des chrétiens, sans une modification essentielle.

Il est, de toute évidence, que le récit de la Genèse qui vous présente un maître tout-puissant, réalisant un monde dont il n’a aucun besoin d’ailleurs, et y suscitant des présences humaines qu’il a tirées du limon de la terre, en leur insufflant un esprit de vie, qui les a placées au centre d’un jardin merveilleux, en leur interdisant l’usage de certains fruits, précisément pour affirmer sa domination sur eux, qui d’ailleurs, leur annonce le châtiment le plus grave en cas de transgression et qui leur inflige, effectivement, ce châtiment, après la transgression, il est évident que ce Dieu-là n’a pas le même visage que le Christ en agonie, que le Christ en agonie n’apparaît nullement comme un maître qui donne des ordres, qui annonce des sanctions et qui les applique.

Il apparaît comme la victime du mal. Le mal prend un sens, essentiellement différent, en face du Christ en agonie et en face du Dieu de la Genèse. Dans la Genèse, le mal est une désobéissance à une règle extérieure à l’homme, promulguée par une puissance qui est en dehors de l’homme. Dans le jardin de l’agonie, le mal est une blessure d’amour faite à Quelqu’un qui en meurt, pour celui-là même qui la lui inflige.

C’est à un niveau tellement différent, que tout le problème change d’aspect, et qu’on voit bien finalement que, sous ce titre ou plutôt cette rubrique de péché originel, ce qui est essentiel, c’est la proclamation de l’innocence de Dieu. Il est victime du mal, depuis le commencement du monde jusqu’à la fin et qu’il s’agit précisément d’épargner, si d’ailleurs, on a le bonheur de l’avoir rencontré.

La Bible : depuis là où en est l’homme

Il ne faut donc pas faire de la Bible un fétiche et une amulette : la Bible est un sacrement. C’est là son sens le plus profond. C’est un signe qui communique, si nous le lisons dans les dispositions intérieures et sous le regard du Seigneur et dans le silence le plus profond de nous-même, un sacrement où nous trouverons, sous la limite même de la lettre, la plénitude de la même Présence, toujours identique avec elle-même et que rien, dans notre cœur, ne peut limiter, sinon notre cœur lui-même.

Ne cherchons pas des explications au visage de Dieu dans certaines pages de l’Ancien Testament, qui sont insoutenables et qui nous scandalisent à bon droit, ne cherchons pas des explications, sauf que cela : Dieu n’y est tout simplement pour rien. Dieu y est parfaitement victime, parce que ce film pédagogique requiert, étant donnée l’épaisseur de l’intelligence humaine, « la dureté de la nuque », comme dit la Bible, « la dureté de la nuque de l’homme », cette pédagogie doit s’adapter et descendre, souvent très bas, pour prendre l’homme, là où il est, afin de le faire monter plus haut.

La particularité du livre de Job

La Révélation parfaite ne pourra s’accomplir que au niveau et à travers une humanité parfaite. Mais, tant que cette humanité parfaite n’est pas apparue, la Révélation ne saurait être parfaite, précisément parce que, la Révélation porte finalement, sur une Présence, et non pas sur une doctrine, sur un système ou sur une explication du monde.

La connaissance nuptiale tire toute sa lumière de l’échange des intimités qui s’enracinent l’une dans l’autre, et justement, la connaissance de Dieu, nous l’avons déjà insinué, la connaissance de Dieu est une connaissance nuptiale. Il fallait donc un engagement suprême, unique, indépassable, pour que la révélation éclatât dans le plein midi de sa lumière.

Il y aura donc un décalage entre l’Ancien et le Nouveau Testament qui est inévitable, parce que Dieu n’y a pas le même visage, étant donné que l’humanité n’est pas encore assez transparente pour communiquer cette lumière.

Il y a cependant un livre, qui est particulièrement émouvant : c’est le livre de Job. Entre tous les livres, parce que c’est le livre biblique qui nous rend sensible, dans un poète altissime, dont nous ne savons pas le nom, d’ailleurs, puisque personne ne connaît l’auteur du livre de Job, nous avons, dans ce poète immense, la conscience que la révélation de son époque ne suffit pas. C’est un homme qui, se posant le problème du mal avec une acuité indépassable et magnifique, c’est un homme qui ne trouve pas, dans la révélation de son temps, une réponse adéquate et qui le dit, dans ce cri éternel qui gardera toujours sa nouveauté : dans cette révolte, dans ce rugissement de Job, il y a le cri de l’homme scandalisé par le mal et qui ne trouve pas de réponse en un Dieu qui est présenté comme une puissance extérieure à lui-même, qui lui clôt la bouche par des arguments massifs, mais qui ne se révèle pas à lui comme l’amour, comme l’amour qui participe, comme l’amour engagé, comme l’amour victime et qui en meurt.

Le Nouveau Testament lui aussi comporte des niveaux très différents

Il y a dans l’Évangile des limites, des choses qui nous choquent, parce qu’elles ne sont plus dans la perspective que le Christ nous a ouverte…, et que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la nouveauté du visage de Dieu, révélé dans la personne et dans la vie du Christ.

Il faudra attendre le Nouveau Testament ; et le Nouveau Testament lui-même, il ne faut pas le prendre, comme étant d’une seule coulée. Le Nouveau Testament comporte, lui aussi, des niveaux très différents. Le Nouveau Testament est, lui aussi, à sa manière, un film pédagogique. Il est impossible de lire l’Évangile sans s’apercevoir que il y a des niveaux différents.

Je vous cite, parce que c’est immédiatement repérable, ce fait que la Passion du Christ en saint Jean ne parle pas du Christ revenant sur les nuées du ciel, expression tout à fait biblique, appartenant, en tous cas, aux traditions de l’apocalyptique juive, depuis Daniel, au moins. Le récit de la passion selon saint Jean ouvre une échappée merveilleuse sur le caractère universel de la souffrance du Christ, dans ce court dialogue avec Pilate, où Jésus affirme qu’il est venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité.

Ici, l’imagerie juive a cédé la place à une perspective beaucoup plus universelle, puisque la vérité concerne toute conscience humaine. Jésus ne parle plus du Fils de l’Homme revenant sur les nuées du ciel, en reprenant les termes de Daniel : il s’adresse à un romain, à un homme qu’il aborde sous son aspect d’humanité, et à travers lui, il annonce ce message universel qui nous émeut tellement et qui fait justement, de ce drame unique dans l’histoire, une des étapes les plus essentielles dans la révélation de la vérité. Il y a donc des niveaux dans le Nouveau Testament.

Lorsque on lit l’Évangile dans ces textes continus que l’on donne maintenant à l’usage, au moins comme une permission, lorsque on voit cet Évangile découpé et à la suite, on se rend compte que ces fragments n’ont pas la même valeur spirituelle.

Et il y a des jours où on ne peut pas les lire, parce que ils ne sont pas en situation. On sent qu’il ne répondra pas à un auditoire qui n’a pas entendu ce qui avait été lu, la veille ou l’avant-veille, et qui sera lu le surlendemain. Parce que le Nouveau Testament est, lui aussi, un film pédagogique.

Notre Seigneur, d’ailleurs, nous en avertit, lorsque il explique pourquoi il parle en paraboles. Il affirme nettement qu’il s’agit d’une pédagogie adaptée à une foule qu’il ne peut porter plus haut, comme saint Paul parlera du lait qu’il donne aux Corinthiens, qui ne sont pas encore capables d’absorber une nourriture solide, comme, pour revenir à Jésus lui-même, notre Seigneur, sur le point de quitter ses apôtres, dans la disposition chronologique de saint Jean, notre Seigneur affirme qu’il a encore beaucoup de choses à dire à ses disciples, mais qu’ils ne sont pas capables de les porter et il les renvoie, en effet, à une pédagogie infiniment intérieure, celle de l’Esprit saint qui leur sera dispensée, le jour ou à partir du jour de la Pentecôte.

Il ne faut donc pas faire de l’Évangile lui-même un fétiche. Tout dans l’Évangile n’est pas à la même hauteur. Il y a dans l’Évangile des limites, il y a des choses qui nous choquent, parce qu’elles ne sont plus, du tout, dans la perspective que le Christ nous a ouverte, parce que, grâce à lui, nous avons dépassé cette étape et que nous ne pouvons pas ne pas tenir compte de la nouveauté du visage de Dieu, révélé dans la personne et dans la vie du Christ.

Jésus limité par les attentes de son auditoire dans la Palestine occupée

Dans la vie du Christ, sous l’aspect d’une révélation, constitue précisément un drame de première grandeur, parce que notre Seigneur a été constamment conditionné, limité par son auditoire. Il a dû user d’une diplomatie, d’autant plus subtile que il se trouvait dans un milieu révolutionnaire, dans un milieu travaillé par les ferments d’une perpétuelle rébellion, comme il est naturel dans un pays occupé.

La Palestine était un pays occupé, il y avait un maquis dans ce pays occupé, il y avait des mouvements insurrectionnels, il y avait toute une politique de ruse pratiquée par les autorités religieuses, à l’égard de la puissance occupante. Il y avait, du côté des Romains, une crainte permanente de voir surgir des conflits d’ordre religieux qui allument le fanatisme. Il fallait donc, au milieu de ce contexte, explosif, procéder avec une prudence extrême, d’autant plus profonde que le mot même de Messie pouvait incendier tout l’horizon, en faisant croire que l’heure de la rébellion ouverte avait sonné et que le secours de Dieu serait donné aux insurgés.

Notre Seigneur n’a même pas pu parler de son messianisme ou de la messianité enfin, qui est inhérente à sa mission. Il a donné à ses apôtres de la découvrir et de l’affirmer, en leur interdisant formellement, d’ailleurs, d’en parler. A plus forte raison, ne pouvait-il pas clamer, aux quatre coins de l’horizon, un titre de filiation divine qui n’aurait pas été compris.

Il y a donc dans l’Évangile un conditionnement extrêmement étroit et rigoureux de la Révélation possible à cette époque, en fonction des différents auditoires avec lesquels le Christ est confronté, et notamment avec ses disciples qui se montreront si fermés, si incapables d’entrer dans une perspective spirituelle, jusqu’au jour du dernier entretien avec Jésus, puisque, dans ce jour que nous appelons le jour de l’Ascension, la dernière question qu’ils poseront à notre Seigneur sera de savoir s’il va rétablir le Royaume en faveur d’Israël.

La lecture de l’Évangile est difficile

Nous ne pouvons lire les Évangiles qu’en rejoignant nous-même la solitude du Christ… L’Évangile, au maximum, est Quelqu’un, est une Personne, une Présence qu’il nous faut constamment découvrir, et non pas un livre, un enseignement, un système du monde.

Le Christ a donc dû cheminer sur la corde raide. Il n’a pu que, d’une façon extrêmement voilée, et en tenant compte soigneusement des circonstances, dire ce qu’il avait sur le cœur. Il y a, dans l’Évangile, des sous-entendus qu’il faut entendre, il y a des traits d’humour qu’il faut comprendre, il y a surtout une immense souffrance, une immense pauvreté dans l’acceptation de toutes ces limites psychologiques et sociales qui enverra un message qui ne pourra éclater, finalement, que dans le feu de la Pentecôte. C’est pourquoi, quoi qu’on pense, la lecture de l’Évangile est extrêmement difficile et n’est féconde que dans la mesure où l’on y cherche une Présence, une Présence, dans la mesure où l’on est en communication avec l’intimité de Jésus-Christ.

Vous en avez une sorte de perception, si vous vous rappelez l’éloge que Jésus fait de Jean le Baptiste, qu’il met si haut, si haut qu’on se demande quel homme pourrait surpasser celui-ci, qui est suivi immédiatement, dans un mouvement d’humour magnifique et tragique : « Mais le plus petit dans le royaume est plus grand que Jean le Baptiste. »

Il n’y a donc aucun doute que Jésus eut une parfaite conscience que il apportait quelque chose d’essentiellement nouveau, si nouveau que le plus petit des disciples de la Nouvelle Alliance l’emporterait sur le plus grand des prophètes de l’Alliance ancienne.

Mais tout cela, il ne pouvait le faire pressentir qu’avec une extrême prudence, en apprivoisant son auditoire, en lui donnant des images capables de retenir son attention et de l’orienter vers une découverte qui se ferait plus tard, au-delà même de sa mort.

La solitude du Christ est donc immense. Et c’est pourquoi nous ne pouvons lire les Évangiles qu’en rejoignant nous-même cette solitude du Christ. Rien ne serait plus dangereux que de vouloir construire un système sur les textes évangéliques. L’Évangile, au maximum, est Quelqu’un, est une Personne, une Présence qu’il nous faut constamment découvrir, et non pas un livre, un enseignement, un système du monde. C’est un témoignage rendu à une Présence et qui ne devient vivant que par la lumière de cette Présence recueillie par notre intimité. C’est qu’en effet, notre Seigneur apportait quelque chose d’essentiellement nouveau, il apportait la révélation d’un Dieu pauvre.

Dans cette expérience la vérité, la liberté et la joie

Nous avons remarqué, tout à l’heure, que l’expérience libératrice où nous accédons à nous-même, comme Augustin l’exprime si magnifiquement dans le 27ème chapitre du livre 10ème des Confessions, nous avons remarqué que cette expérience libératrice se situait absolument au-delà de toute espèce de dépendance et de soumission, parce que nous sommes dans un ordre interpersonnel, dans un ordre nuptial où il ne s’agit pas de se comparer et de se mettre au-dessus ou au-dessous, où il s’agit uniquement de se donner totalement, en se vidant de soi pour accueillir l’intimité de l’autre sans la limiter.

Eh bien ! Cette affirmation expérimentale, je veux dire constamment vérifiée par l’expérience, car quel est le savant qui découvre la vérité, sinon dans l’émerveillement ? Aucun savant ne découvre la vérité avec le sentiment qu’elle l’opprime, qu’elle le domine, qu’elle le limite et qu’elle attend de lui, un tribut ou un impôt ! Qui n’ouvre que dans un océan de lumière ; il s’y plonge et y trouve, à la fois, sa liberté et sa joie.

L’esprit est source, jaillissement, origine, liberté, mais il l’est uniquement en fonction de cette relation à un autre où il se vide de soi ; et c’est ce que Jésus-Christ va nous transmettre en rendant témoignage à l’expérience qui est la sienne.

Une telle expérience ne comporte pas ce régime de soumission et de dépendance, parce qu’il se situe au niveau le plus profond de l’esprit, que l’esprit, c’est justement, notre être incapable de rien subir, et d’abord lui-même. L’esprit est caractérisé par cela même que il est un refus de subir, quoique ce soit et d’abord soi. L’esprit est source, il est jaillissement, il est origine, il est liberté, mais il l’est uniquement en fonction de cette relation à un autre où il se vide de soi ; et c’est justement, ce que Jésus-Christ va nous enseigner, va nous transmettre, plus exactement, va nous communiquer, en rendant témoignage à l’expérience qui est la sienne.

Une humilité qui n’est plus une humiliation

Le témoignage de Jésus-Christ, nous amène… à une humilité qui n’est plus une humiliation. Il ne s’agit pas de s’humilier, mais de se désapproprier dans l’amour d’un autre et pour lui ; de se désapproprier parce que c’est là toute la grandeur, toute la richesse et toute la beauté de l’amour.

Jésus va nous mettre en face d’un Dieu qui n’a rien, d’un Dieu qui donne tout, d’un Dieu qui est pure communication, d’un Dieu qui est essentiellement désapproprié de lui-même. Et ceci est prodigieux, parce que, d’une part, nous ne pouvons pas renoncer à la grandeur, nous ne pouvons pas renoncer à l’infini, nous ne pouvons nous mouvoir à l’aise que dans l’infini, tous nos rêves d’amour, de connaissance et de puissance sont des rêves infinis. Nous ne pouvons pas nous limiter, nous ne pouvons pas ne pas être blessés, par les limites que nous pouvons rencontrer en nous ou dans les autres et que, d’autre part, l’exaltation la plus héroïque ne mène à rien.

S’exalter dans le sens nietzschéen, s’exalter en se faisant le bourreau de soi-même, pour triompher de ses limites et faire de soi un Himalaya, cette sorte de tension solitaire n’aboutit à rien qu’à des désordres mentaux, finalement, à des désespoir ou à des folies qui créent des tyrannies les plus redoutables.

D’autre part, nous ne pouvons pas nous humilier. Nous humilier devant qui ? Et pourquoi ? Et c’est là, justement, que l’Évangile, je veux dire, le témoignage de Jésus-Christ, nous amène, parce que il nous met en face d’un Dieu qui est humble, humble à l’infini, d’un Dieu entièrement vidé de soi, il nous amène à une humilité qui n’est plus une humiliation. Il ne s’agit pas de s’humilier, mais de se désapproprier dans l’amour d’un autre et pour lui; de se désapproprier parce que c’est là toute la grandeur, toute la richesse et toute la beauté de l’amour.

Expérience d’un Dieu au travers d’un engagement nuptial où on donne tout parce qu’on aime

le Dieu que Jésus-Christ nous communique, n’est plus un Dieu qui est le maître… mais un Dieu qui est en état de démission infinie, qui n’est Dieu qu’en raison de cette désappropriation ; … chacune des personnes à l’intérieur de la divinité, n’a d’autre propriété que la désappropriation qui la constitue.

L’immense bienfait de l’Évangile, qui est vraiment la Bonne Nouvelle dans la personne de Jésus-Christ et dans la lumière de sa Présence, c’est précisément que le Dieu qu’il nous présente, le Dieu qu’il nous communique, n’est plus un Dieu qui est le maître, un Dieu qui s’impose comme le dominateur, mais un Dieu qui est en état de démission infinie, qui n’est Dieu qu’en raison de cette désappropriation, dont toute la vie est un échange, où chacun des termes de cet échange, des termes vivants de cet échange, les hypostases de cet échange, pour chacune des personnes à l’intérieur de la divinité, n’a d’autre propriété que la désappropriation qui la constitue.

Cette expérience d’un Dieu, expérience qui est celle même de Jésus, qui fait de lui ce qu’il est, cette expérience essentielle qui est à la base et à la racine du Christianisme, c’est l’expérience d’un Dieu qui est Dieu, précisément, parce que il est absolument et radicalement incapable de rien posséder, de rien s’approprier et d’abord lui-même, lui-même qui n’a de contact avec soi que dans la communication, qui s’atteint, virginalement, dans un autre et pour lui.

Il y a là quelque chose d’absolument, absolument incomparable et qui, justement, efface tout ce juridisme d’une domination qui s’imposerait à nous, tout ce conformisme d’une morale qui serait simplement l’obéissance à un décret porté par un despotisme hors du monde. Il s’agit de tout autre chose, d’un engagement nuptial où on donne tout parce qu’on aime, TOUT… parce qu’on aime, parce qu’on est en face de l’amour, parce que la seule communication est cet échange jusqu’à la racine de l’être.

Dans la communication avec le Christ, l’expérience libératrice

Nous nous retrouvons donc, ici, sur un terrain où l’accord entre l’expérience augustinienne, l’expérience commune, l’expérience que tout homme peut faire, de son intimité, comme du sanctuaire de la divinité, nous nous trouvons sur un terrain commun. Davantage : l’expérience de Jésus-Christ illumine, d’une manière incomparable, ce pressentiment que nous pouvons avoir, toutes les fois que, dans l’émerveillement, nous sommes, pour un instant, délivrés de nous-même et jetés dans ce dialogue de lumière avec une Présence libératrice.

Nous sommes donc sûrs, dans le sillage du Christ, dans la communication avec le Christ, dans la communion avec sa Présence, nous sommes sûrs que nous n’allons pas nous éloigner de l’expérience libératrice, la limiter mais, au contraire, l’approfondir, la rendre plus lumineuse encore, et s’il se peut, plus universelle.

Nous entrevoyons par-là que la foi ne doit pas être un joug imposé à notre intelligence, un ensemble de choses à accepter, contre le témoignage de notre raison, que la foi ne pourra jamais être que, finalement, la lumière de cette Présence, plus profondément manifestée, plus intimement enracinée en nous, en vue d’une plus grande liberté, en entendant, bien entendu par liberté, une libération, c’est-à-dire un dégagement de nous-même, qui augmente notre espace intérieur et nous permet d’accueillir Dieu, en le limitant moins, et les autres, sans leur imposer nos frontières.

La pauvreté de Dieu le centre de toute lumière

Cherchons le visage intérieur de la pauvreté divine où nous ne rencontrerons jamais de limites,… où nous apprendrons que la suprême grandeur c’est de se dépouiller, de se démettre de soi, de faire de soi un don illimité et d’être au service de l’homme dans l’agenouillement du Lavement des pieds.

C’est dans cette ligne que nous pouvons lire le Nouveau Testament, avec ce discernement de l’amour, avec ce critère de la libération, sans être dupes des limites humaines. Il est évident que nous ne pouvons pas nous trouver à l’aise devant les possessions démoniaques qui ne correspondent plus du tout à une psychologie qui est la nôtre. Ce surnaturel grimaçant a heureusement disparu, au moins, de la rue et ce n’est pas là que le Christ nous devient le plus intelligible. Il nous faudra l’atteindre d’abord par le centre, pour comprendre que il s’est adapté et au langage et aux usages et aux interprétations, dans la mesure où il était impossible que il révélât ce qui est le centre même de son message, la pauvreté de Dieu.

Cette pauvreté, Jésus n’a pu la révéler que dans son supplice : il ne pouvait pas la révéler dans ses paroles. Quand il a fait allusion à la Croix devant ses disciples, qu’il avait pourtant triés sur le volet, ils se sont récriés et ils lui ont proposé, justement, d’échapper à la Croix et d’aller vers l’accomplissement des promesses de Dieu par des chemins moins onéreux. Il n’y avait pas d’autre possibilité, pour lui, de nous révéler le visage de l’amour crucifié que sa propre crucifixion.

Mais nous sommes parfaitement sûrs, précisément, en raison de cette révélation dans l’épreuve insondable de la Croix, que jamais le Christ ne pourra nous limiter et que, si dans l’Évangile, de telles frontières se rencontrent, elles sont de nouveau, manifestement, le fait de l’homme et non le fait de Dieu.

Il s’agit comme toujours plus d’une pédagogie adaptée aux limites humaines, jusqu’à ce que vienne le moment de cette maturité intérieure dans le baptême de feu où toutes les valeurs se mettront en place et où la pauvreté de Dieu deviendra le centre de toute lumière.

Soyons donc prudents lorsque nous parlons de la parole de Dieu. Ne nous laissons pas entraîner par des slogans. Ne prenons pas des airs solennels, en lisant des textes qui sont insuffisants, par rapport à la lumière qui nous est venue de Jésus-Christ. Mais, très humblement, au contraire, et dans le silence, à travers tout ce vêtement de pauvreté que Dieu a assumé pour atteindre les hommes, cherchons le visage intérieur de la pauvreté divine où nous ne rencontrerons jamais de limites, où nous nous replongerons toujours dans les sources de notre naissance et où nous apprendrons que, en effet, la suprême grandeur c’est de se dépouiller, de se démettre de soi, de faire de soi un don illimité et d’être au service de l’homme dans l’agenouillement du Lavement des pieds.

Un Dieu qui est Dieu parce qu’il n’a rien

Dieu est Dieu parce qu’il n’a rien, Dieu se vide éternellement de lui-même, la création jaillit de cette pauvreté sur-essentielle et nous appelle nous-même à être ce qu’il est, non pas dans une exaltation paranoïaque, mais dans un don silencieux.

Je crois que, dans cette perspective, nous ne pourrons pas nous scandaliser de ce qu’il y ait dans le Nouveau Testament lui-même tant d’épisodes ou de passages, qui ne constituent pas un sommet par rapport à d’autres qui constituent, en revanche, un sommet, mais nous verrons, dans ces sommets, l’éclatement de ce que le Christ portait vraiment en lui, et dans ces dépressions et dans ces creux, les ténèbres du cœur humain qu’il fallait atteindre là où il se trouvait pour l’acheminer peu à peu vers cette révélation incroyable que nous n’avons pas encore comprise d’un Dieu qui est Dieu parce qu’il n’a rien, d’un Dieu qui se vide éternellement de lui-même, dont la création jaillit de cette pauvreté sur essentielle et qui nous appelle nous-même à être ce qu’il est, non pas dans une exaltation paranoïaque, mais dans un don silencieux.

Ah ! C’est ça, c’est ça qui est merveilleux : il ne s’agit pas de se monter le bourrichon, il ne s’agit pas de s’exalter, il ne s’agit pas non plus de s’humilier – c’est tellement autre chose – mais de le regarder, de le regarder, lui, dans sa pauvreté infinie, de le regarder dans son dépouillement éternel, d’entrer dans le jeu de cette désappropriation où l’on vient à soi virginalement, où on se connaît dans un autre et pour lui, où toute la lumière est la candeur même de cette désappropriation, où l’on peut, alors, s’affranchir de soi parce que on ne se trouve plus devant une majesté devant laquelle on aurait à se courber, mais devant un cœur qui bat dans le nôtre, devant un amour crucifié par amour pour nous et qui nous est totalement livré, puisqu’il est un pur dedans.

Dieu porte les conséquences de notre conduite

Regarder Dieu en nous demandant ce qui lui arrivera, parce que tout est là : Dieu est d’une fragilité infinie, infinie. Il est pure intériorité, puisque seule notre intériorité peut alors l’accueillir et le situer dans notre histoire.

Nous sommes constamment tentés de nous demander quel sera le résultat de notre conduite pour nous-même. Le Christ nous apprend à nous interroger sur les conséquences de notre conduite sur Dieu, car c’est Dieu, finalement, qui en portera les conséquences. C’est Dieu qui est victime, et chacune de nos défaillances ferme une porte à sa lumière, intercepte le rayonnement de son amour et rend son règne, dans l’histoire, plus caduc.

Ce qu’il faut, c’est le regarder, le regarder en nous demandant ce qui lui arrivera, parce que tout est là, finalement : Dieu est d’une fragilité infinie, infinie. Il est pure intériorité, puisque seule notre intériorité peut alors l’accueillir et le situer dans notre histoire.

C’est dans la mesure où nous sommes nous-même une Présence réelle de Dieu, que Dieu devient une réalité pour les hommes d’aujourd’hui.

Dans l’histoire humaine, Dieu n’est une réalité qu’à travers nous et c’est dans la mesure où nous sommes nous-même une Présence réelle de Dieu, que Dieu devient une réalité pour les hommes d’aujourd’hui. Et c’est par-là que nous sommes dégagés d’une des préoccupations les plus dangereuses qui est, justement, le culte de soi-même, le culte de son âme, le culte de son propre salut où l’on ne cesse plus ou, du moins, on ne cesse pas de graviter autour de soi, en retombant dans ce moi limité, possessif et complice, alors que l’immense bienfait de l’Evangile, c’est précisément de nous entraîner à comprendre que, n’ayant pas d’autre grandeur que le don, c’est donc celui-là même auquel on se donne qu’il s’agit de regarder, et non pas soi.

Dieu veut notre grandeur

Quoi que nous ayons fait, quelles qu’aient été les fautes de notre vie, tout cela est derrière nous. C’est inutile de nous y attarder, parce que le mal le plus profond, c’est de coller à soi, qu’il n’y a de faute, finalement, que dans cette adhésion possessive à soi-même, comme il n’y a de bien et de vertu que dans une offrande totale de soi-même en une adhésion plénière à Dieu. Mais cette adhésion, elle prend justement dans le Christianisme, elle revêt une nécessité tragique, parce qu’elle conditionne la vie même de Dieu, dans l’univers et dans l’histoire.

Dieu ne peut rien sans nous, dans l’histoire humaine. Et notre brutalité, notre épaisseur peut à chaque instant le faire culbuter, si je puis dire, dans le néant, parce que il ne peut pas se situer ailleurs que dans l’amour, comme votre amour conjugal ne peut pas se situer ailleurs que dans l’amour. Si, il n’est pas accueilli par votre conjoint, il se brise contre un mur et il devient totalement incapable de s’exprimer si nous refusons de l’accueillir.

Nous retrouvons donc ici, et dans un centre éclatant, cette certitude ou de cette expérience que Dieu ne peut jamais être autre chose que le ferment de notre libération, que nous n’avons accès à nous-même qu’à travers lui, que il n’exige aucunement que nous nous humilions – il en aurait horreur, horreur ! Comment est-ce que l’amour pourrait prendre plaisir à l’humiliation de l’être aimé ? C’est impossible…

L’amour veut passionnément la grandeur de l’être aimé et Dieu veut passionnément notre grandeur, il la veut jusqu’à la mort de la Croix, mais une vraie grandeur, la sienne, qui est une grandeur d’amour, de désappropriation et de mystique pauvreté.

La Nouvelle et éternelle Alliance

C’est par-là que nous entrerons dans la Nouvelle Alliance, la Nouvelle et éternelle Alliance. Elle est nouvelle et éternelle, précisément parce que, elle fait éclater toutes les limites que les hommes avaient attribuées à Dieu. Elle nous livre Dieu dans le secret de son intimité, elle le confie à notre amour, désarmé et fragile, parce que, en effet, nous pouvons compter que sur notre générosité, c’est à nous qu’il appartient de témoigner de sa Présence, davantage : de la communiquer, de la faire naître, de réaliser cette maternité divine à laquelle Jésus fait allusion lorsqu’il dit : « Celui qui accomplit la volonté de Dieu est mon frère, et ma sœur, et ma mère. » (Marc 3:35)

Alors, que faire d’autre maintenant que d’entrer dans le silence de la Vierge, d’écouter et de nous offrir au Verbe éternel, au Verbe silencieux qui veut se faire chair par notre cœur aujourd’hui.

L’amour veut passionnément la grandeur de l’être aimé et Dieu veut passionnément notre grandeur, il la veut jusqu’à la mort de la Croix, mais une vraie grandeur, la sienne, qui est une grandeur d’amour, de désappropriation et de mystique pauvreté.

La Nouvelle et éternelle Alliance

C’est par-là que nous entrerons dans la Nouvelle Alliance, la Nouvelle et éternelle Alliance. Elle est nouvelle et éternelle, précisément parce que, elle fait éclater toutes les limites que les hommes avaient attribuées à Dieu. Elle nous livre Dieu dans le secret de son intimité, elle le confie à notre amour, désarmé et fragile, parce que, en effet, nous pouvons compter que sur notre générosité, c’est à nous qu’il appartient de témoigner de sa Présence, davantage : de la communiquer, de la faire naître, de réaliser cette maternité divine à laquelle Jésus fait allusion lorsqu’il dit : « Celui qui accomplit la volonté de Dieu est mon frère, et ma sœur, et ma mère. » (Marc 3:35)

Alors, que faire d’autre maintenant que d’entrer dans le silence de la Vierge, d’écouter et de nous offrir au Verbe éternel, au Verbe silencieux qui veut se faire chair par notre cœur aujourd’hui.