04-09/06/2016 – Article – L’option fondamentale

Article
de Maurice Zundel paru dans la Revue des Jeunes, n° 15, Paris, septembre 1925. Les titres sont ajoutés.

Il y a tant de manières d’expliquer les faits

Il arrive que la vie de la foi s’obscurcisse dans l’esprit du fidèle catholique. Il lui semble qu’il n’est plus aussi sûr des positions traditionnelles qu’il a pu l’être à certaines heures d’ardente conviction : il y a tant de manières d’expliquer les faits – et de les réduire par de spécieuses analogies. Mythe, suggestion, transfert, hallucination, occultisme, pour le seul fait des miracles; fraude interpolation, rédaction tardive, mirage rétrospectif de la Foi, coup de pouce apologétique pour la genèse des textes; alliages métaphysiques, équivoques de langage, palinodies conciliaires, hérésies papales, bûchers de l’inquisition pour l’évolution du dogme; adaptations populaires, compromis politiques, compositions pécuniaires, « pour l’unité de façade » (comme dit le pasteur Chenevière); …

et tout ce qu’on pourrait encore ajouter, sans même parler de la régression du merveilleux devant les progrès de la science, et de l’impossible immutabilité d’une doctrine soumise, comme toute chose humaine, aux fluctuations du devenir.

Faudrait-il donc, pour rester catholique, être à la fois: médecin, médium, chartiste, historien, philosophe, biologiste et zoologue ? Une vie d’homme n’y suffirait pas. Alors croire les yeux fermés, sans contrôle ni examen ? Ce n’est guère satisfaisant pour l’intelligence. Ne serait-ce pas assez de se contenter de ces probabilités solides qui fondent ordinairement le jugement de l’homme prudent. ? (1)

Je le crois pour ma part ; mais ce n’est pas mon propos de l’établir aujourd’hui. Il me suffit, dans cette masse d’objections venues des hérétiques du dehors ou des hérétiques du dedans – je veux dire de cet hérétique toujours latent en nous, de cet hérétique qui est nous-même – il me suffit de retenir l’introduction et comme la mise en scène : « Il y a tant de manières d’expliquer les faits« . Voilà la fissure : il n’y a pas besoin d’aller plus loin et de lire le reste; on sait où l’on va, on sait à quoi s’en tenir : Il s’agit de la manière d’interpréter les faits, et non pas des faits eux-mêmes.

Toutes les discussions ou à peu près, tous les conflits viennent de là : on serait bien d’accord sur les faits (on ne demanderait pas mieux), mais chacun se demande ce qu’il va faire avec ces faits, où cela peut le conduire; chacun suppute les risques et retourne les chances, soucieux de ne point détruire la belle synthèse qu’il porte en soi, chacun prend position dès le premier choc et comme à la première entrevue, et s’arrange pour voir comme il désire.

L’harmonie préétablie chez Renan

Nous sommes des savants, tout le monde le sait, dit à peu près M. Renan, nous faisons de la critique sereine, nous respectons les textes, nous sommes impartiaux, et même nous sommes de bons chrétiens. Je cite : « A Dieu ne plaise que nous méconnaissions les services que les théologiens ont rendus à la science ! La recherche et la constitution des textes qui servent de documents à cette histoire ont été l’œuvre de théologiens souvent orthodoxes. Le travail de critique a été l’œuvre de théologiens libéraux. Mais il est une chose qu’un théologien ne saurait jamais être, je veux dire historien. » Nous entendons bien : un théologien peut préparer des documents et même en faire la critique, mais non point les interpréter et, comme dit Renan, les solliciter.

Poursuivons notre citation : « Par cela seul qu’on admet le surnaturel, on est en dehors de la science, on admet une explication qui n’a rien de scientifique, une explication dont se passe l’astronome, le physicien, le chimiste, le géologue, le physiologiste dont l’historien aussi doit se passer. Nous repoussons le surnaturel par la même raison qui nous fait repousser l’existence des centaures et des hippogriffes : cette raison, c’est qu’on n’en a jamais vus. Ce n’est pas parce qu’il m’a été préalablement démontré que les évangélistes ne méritent pas une créance absolue que je rejette les miracles qu’ils racontent. C’est parce qu’ils racontent des miracles que je dis : « Les évangiles sont des légendes ; ils peuvent contenir de l’histoire, mais certainement tout n’y est pas historique. »

Après cela sans doute, on peut partir d’un pied léger et s’offrir « un ensemble où toutes les données soient heureusement fondues. » Après ce beau départ, les sept volumes des Origines du Christianisme surgissent tout seule « comme un système vivant », c’est Renan qui parle ici, « dont toutes les parties s’appellent et se commandent » et se combinent « d’une façon qui constitue un récit logique, vraisemblable, où rien ne détonne ». Les Origines du Christianisme, sept volumes in-octavo, chez Calmann-Levy, gardons-nous bien de les acheter et de les lire. Le problème qu’il fallait poser et résoudre, le problème ne sera ni posé, ni résolu au cours de ces sept volumes ; il l’est déjà à la quatrième page de la préface : après cela, qu’on fasse des textes ce que l’on voudra; que l’on préfère Marc à Jean ou Jean à Paul, que l’on exclue les témoignages de la résurrection ou le récit de la multiplication des pains, qu’on recoure aux mythes avec Strauss, aux explications naturelles avec Paulus, à la fraude avec Loisy ou à l’amour de cette femme sublime : Madeleine, avec le pieux Renan lui-même, après cela tout le reste est ad libitum, tout le reste n’est que du remplissage pour faire sept volumes in-octavo.

Voilà un exemple type, un modèle ingénu de cette harmonie préétablie, de ce raccord sous-jacent de tout le travail ultérieur avec l’attitude initiale.

Querelle entre catholiques et protestants en Suisse romande

La Dispute spirituelle
La Dispute spirituelle (XVIIIe siècle). Caricature qui met en scène de façon grotesque d’un côté Calvin, le Pape et Luther et de l’autre un berger enraciné dans sa foi.

Il y en a d’autres innombrables, je veux dire d’autres exemples susceptibles d’enrichir ces observations et d’appuyer cette thèse J’en aperçois de très bons dans la longue querelle entre catholiques et protestants et, notamment, dans la récente campagne entreprise en Suisse romande, contre les conversions au catholicisme.

Dans le Nouvel Essor (2) du 19 janvier 1924: « Sous sa forme actuelle, nous écrit M. le Pasteur Charles Matile, le protestantisme n’est pas encore le retour à l’évangile, il en serait seulement l’acheminement progressif. Dans sa dogmatique, dans ses cérémonies (prenez bonne note de ces cérémonies), on retrouve des survivances du catholicisme qu’il est impossible de rattacher à la religion de Jésus. Sur beaucoup de points, on est resté à mi-chemin. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, mais il ne faut pas l’oublier et croire que l’œuvre des réformateurs a été définitive. Vitrer ne disait-il pas: « Le protestantisme n’est qu’un point de départ. Le protestantisme désire-t-il subsister, plus que cela se développer et grandir davantage, il lui faut revenir à la personne de Jésus telle que nous la présentent en particulier les trois premiers évangiles, la contempler dans sa réalité historique, et non dans le miroir imparfait que seront toujours les théologies humaines. » Nous retrouverons ces théologies.

Maurice Neeser, professeur de Théologie à l’Université de Neuchâtel), dans sa brochure sur « La force d’expansion du Catholicisme et ses limites » : « Le protestantisme vrai a ses doctrines et ses cérémonies. Les doctrines essentielles et les cérémonies essentielles de la grande tradition chrétienne; celles que la Réforme a conservées ; quelques-unes de plus ici, quelques-unes de moins là, il importe assez peu; de préférence quelques-unes de plus, puisque le principe de la présence de l’invisible ne nous empêcherait nullement de nous assimiler quelques-uns de plus de ces enrichissements éprouvés, apportés à la tradition biblique par la tradition des siècles, par l’esprit vigilant du Christ au cours des siècles. »

En note : Certains cercles protestants agitent la question de la prière pour les morts, par exemple ou celle d’écoles de purification après la mort (purgatoire); on en pourrait citer d’autres, dont le principe ne paraît pas nécessairement en contradiction avec la spiritualité évangélique. Nouvel Essor du 26 avril 1924 à propos de la rénovation liturgique entreprise en l’église de Saint-Jean à Coire (Chure), Lausanne (remarquez le mot église à la place du mot temple) : « Le culte réputé principal est didactique, écrit le Pasteur Amiguet, il a pour centre la prédication. Ce culte doit garder une place d’honneur, mais non pas exclusive… Mais il faut posséder et pratiquer les trois autres types : culte de la communion qui, par surcharges, est devenu la messe grecque ou latine, culte de lectures et de chants (cultes liturgiques, office canonial, heures mystiques) ; culte d’évangélisation (cultes familiers, populaire mission intérieure, agapes, projections, séances diverses). Au lieu que ces cultes se font concurrence entre diverses Eglises ils doivent alterner dans la même Eglise, et l’anneau d’or brisé sera réuni en un seul tout. Sous le contrôle de la Bible, le culte chrétien bénéficiera de la tradition, de l’histoire et, en particulier, des anciennes liturgies nationales (occidentales ou orientales) supplantées peu à peu, par le rite officiel latin ou grec, extrêmement surchargé de dogmes et de rites puérils ou suspects. La Bible est et demeure le grand support, le grand apport, le grand trésor, la première et dernière autorité. »

Derechef Maurice Needer, « Religion de l’autorité de la Bible littéralement inspirée ou des confessions réputées infaillibles ? La piété protestante dans tous les siècles, et maintenant encore interprète la Bible avec une respectueuse liberté ; oui, même là où la théopneustie (croyance à l’inspiration divine littérale des livres saints) est encore en honneur. La Bible pour elle n’est pas l’autorité proprement dite, qui est au principe de toute vie religieuse, c’est-à-dire en un Dieu : la Bible, la tradition biblique, c’est le chemin vers l’autorité réelle, qui est au but – osons encore prononcer des mots honnis de l’heure présente – dans le sentiment, dans l’expérience de la présence spirituelle du Christ-Dieu… »

Emile Lombard (professeur de théologie à l’Université de Lausanne) « Réagissons » dans le Nouvel Essor du 2 février 1924 : « Il se dit certes et il se fait d’excellentes choses dans nos Eglises. Mais on y voit régner aujourd’hui un antidogmatisme, une sorte d’orthodoxie à rebours, qui est bien ce qu’on peut imaginer de plus foncièrement délétère. Beaucoup de chrétiens parmi ceux dont l’opinion compte, semblent croire que l’unique hérésie consiste à se permettre des affirmations trop nettes en matière de foi. Ainsi on en vient à saluer toute nouveauté comme bonne, à diviniser tout ce qui vient. Ce dont nous avons besoin, c’est précisément d’une réaction. Et pour commencer d’une belle et bonne restauration de la théologie traditionnelle. Il faudra bien finir par reconnaître qu’une religion tout intérieure n’en est point une, que l’expérience dite religieuse n’est telle que par les objets auxquels elle s’applique – objets nécessairement donnés du dehors – et que ce qui n’est pas la conscience chrétienne qui est l’autorité, mais le Christ révélé par l’Ecriture c’est à lui qu’obéit la conscience du chrétien. »

Arnold Reymond (professeur de Philosophie à l’Université de Neuchâtel) Nouvel Essor du 24 mai 1924 : « Pour le protestant, la conscience individuelle, éclairée comme le dit Calvin, par le témoignage du Saint-Esprit, reste juge en dernier ressort de la façon dont elle doit comprendre et s’approprier le sujet de sa foi. » D’ailleurs, « lorsque M. E. Lombard parle en termes nets et vibrants d’un retour à la théologie traditionnelle et d’une affirmation énergique du surnaturel, que faut-il entendre par-là ? Est-ce d’un retour à l’inspiration littérale ou à la théologie de Calvin qu’il s’agit ? Car il y a dans le protestantisme plusieurs théologies traditionnelles, comme il y a aussi plusieurs manières de comprendre le surnaturel »

« Il peut arriver pis à un protestant que de devenir catholique, dit Emile Lombard, dans l’article déjà cité. Ce serait de cesser d’être Chrétien. Entre les catholiques et nous, malgré tous les anathèmes du monde, il y a l’affirmation commune du salut par la croix. »

A l’encontre, Madame Bourquin de Coulon, Missionnaire dans le nord Français, Nouvel Essor du 15 mars 1924 : « Il me paraît impossible de considérer catholicisme et protestantisme comme des deux rayons partis du même foyer et réfractés différemment par la nature humaine. Catholicisme et protestantisme sont deux courants inverses et qui se chassent réciproquement. L’un a voulu posséder le monde et s’y est perdu et, dès le début, a cherché sa source divine dont les tentations humaines l’écartaient. »

Pour le protestant, Il faut la parole du Christ et la liberté

Arrêtons là, pour le moment, nos citations. Avons-nous besoin de dire que nous n’avons pas « réussi à combiner les textes d’une façon qui constitue un récit logique, vraisemblable, où rien ne détonne ? » Gardons-nous bien de nous en réjouir ! Ce serait une grave erreur, un triomphe prématuré, et surtout n’allons pas dire que ces croyants ne s’entendent pas eux-mêmes : ils s’entendent tous très bien à n’être pas catholiques.

Ecoutez cette petite phrase qui rétablit le grand fossé déjà comblé (du moins on l’espérait) : « On dit d’un côté : Il faut la parole du Christ et des apôtres. Et de l’autre côté : il faut la parole du Christ et des apôtres pour vivifier l’Eglise et pour la maintenir dans la vraie tradition. » (Emile Lombard) Il faut la parole du Christ : celle qui sans doute dans les livres se trouve écrite. Mais les livres ne parlent pas, les livres se laissent lire et même doucement « solliciter ». « La conscience individuelle reste juge en dernier ressort… » « Le catholicisme, dit Arnold Reymond, établit au fur et à mesure de son développement des barrières qui, une fois dressées sur le terrain doctrinal, ne pourront plus être renversées. » C’est, au contraire, « un des privilèges incontestés du protestant que de pouvoir examiner toutes choses avec une entière liberté, et d’en retenir ce qui est bon pour le développement de sa vie intérieure et l’affermissement de sa foi. » Est-ce assez clair ? Le protestant entend demeurer autonome, le protestant veut rester libre, le protestant opte pour la liberté; il a par derrière la tête cette pensée que nous sommes esclaves – et qu’il est libre ! Et cela lui plaît, c’est ce qu’il a choisi, c’est son option.

N’essayez pas de lui expliquer qu’il vous impute des doctrines solennellement condamnées par l’Eglise : il vous présentera vingt objections contre celle que vous venez de débloquer. Et au fond, cela lui est égal; au fond, il n’a qu’une objection : Celle-là même que j’ai dite, et que je tiens d’un de mes amis de collège : « Nous restons libres. » Voilà la fierté du protestant, son orgueil individuel et son orgueil social, son orgueil de race transmis de père en fils : il est libre, les autres sont esclaves. Il n’a pas besoin de le dire, ni de le penser, ni même de le savoir. Ce qu’on connaît le moins, en effet, c’est bien souvent ce qui décide de toute la vie.

La vérité est qu’on change sans cesse

Newman, au début du mouvement d’Oxford, eût exécré comme une trahison, la seule pensée d’un retour possible à l’Eglise romaine. Il voulait seulement retrouver l’Eglise primitive. Et, plus il avançait, plus il remontait vers les origines, plus cela devenait clair : – il avait beau se défendre – l’Eglise primitive, c’était l’Eglise romaine. Car il suffit de poser le premier jalon. Il suffit de penser : « l’esprit n’a affaire qu’à ses propres représentations » pour avoir toute la critique de la raison pure, avec sa pesante armature et son épuisante érudition.

Il suffit de mettre en épigraphe : « La vérité est qu’on change sans cesse et que l’état lui-même est déjà du changement. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de différence essentielle entre passer d’un état à un autre et persister dans le même état » pour engendrer toute la musique bergsonienne.

L’intuition originelle

Et je ne dis pas que de pareils thèmes n’eussent pu produire d’autres variations, je ne dis pas que nous en aurions fait autant; je dis seulement que, de fait, ces grands systèmes ne font que dérouler et propulser ces tous premiers ébranlements. Ce n’est pas une mince consolation : L’intuition originelle était trop riche et trop pleine pour s’expliquer sans erreur dans le discours, où l’on tire une chose de l’autre par raisonnement. Et l’exécution a manqué dans toute la suite de l’œuvre, comme dans ces toiles de visionnaires, où l’intensité du rêve n’a pu s’assujettir à la précision du dessin : mais ils y tiennent quand même et ils se défendent de les sacrifier, de peur de perdre quelques vestiges de la splendeur créatrice.

En vérité, c’est une grande consolation et un renseignement de grande valeur. On s’acharne à réfuter et à convaincre; mais les coups portent à faux. On n’a pas compris, on n’a pas saisi le centre de jaillissement, on n’a pas atteint l’objet formel, ce point d’incidence du rayon visuel, ce pourquoi tout ce qu’on affirme a été affirmé, ce qui tient le tout et le protège tant que l’adversaire n’a pas rencontré le seul point vulnérable. On se donne tant de mal inutilement, avec les autres et, plus encore peut-être, avec soi-même ; car nous essayons aussi d’argumenter contre nous-même, et de persuader notre esprit rétif et de l’incliner aux certitudes salutaires.

Il s’agit de choisir

L’obéissance de la foi : c’est le mot qui décide tout. Etre prêt à croire ce que Dieu a bien voulu nous apprendre de lui, et de nous, dans le sens où il l’a révélé, en respectant les voies qu’il a lui-même tracées; telle est l’option catholique.

Et nous nous perdons dans les détails, et nous nous consumons les yeux sur le papier, et nous nous laissons arrêter par des bêtises. Il ne s’agit pourtant pas d’hésiter, parce que le Pape habite une belle maison et porte une couronne gemmée ou parce qu’Anatole France est à l’index (3) – choses d’ailleurs parfaitement légitimes –. Il s’agit de choisir entre l’autonomie et la soumission, entre l’individualisme et le catholicisme, entre l’isolement sans recours et la communion des Saints et, en fin de compte, il s’agit de confesser nos limites et notre dépendance ou de nous proclamer Dieu.

Il faut choisir et consentir à cette option à laquelle nous pousse avec tant de violence la vertu de foi reçue à notre baptême : « Paul, serviteur du Christ Jésus, Apôtre par son appel, mis à part pour annoncer l’Evangile de Dieu, pour amener en son nom, à l’obéissance de la foi, tous les Gentils, du nombre desquels vous êtes vous aussi, par appel de Jésus-Christ. » Vous avez entendu dans ces premiers versets de l’Epître romaine, ce mot « éclatant comme un coup de timbale au milieu d’une symphonie » : l’obéissance de la foi. C’est le mot qui décide tout. Etre prêt à croire ce que Dieu a bien voulu nous apprendre de lui, et de nous, dans le sens où il l’a révélé, en respectant les voies qu’il a lui-même tracées; telle est l’option catholique ; avoir soif d’obéissance et proférer comme un cri de victoire cet Amen de l’adhésion totale à la vérité première.

L’enracinement de notre option fondamentale

Sur cette route de Damas, chaque homme, quelque jour s’engage. Ne fût-ce qu’une seconde, il faut qu’il s’arrête pour répondre, pour dire oui ou pour dire non, pour se démettre de soi ou se dresser contre Dieu.

C’est à cela que nous sommes appelés et prédestinés. Car il y a une prédestination, c’est une vérité de foi, et c’est aussi comme une certitude expérimentale. La même parole éclaire les uns et aveugle les autres, c’est-à-dire qu’elle les endurcit, qu’elle les rend encore plus ennemis du bien. On voit ainsi se dresser comme deux humanités juxtaposées, étrangères l’une à l’autre : les uns voient, et les autres ne voient pas. Un moment viendra peut-être où leurs yeux s’ouvriront. Il y a là, en tous cas, un immense mystère dont l’impénétrabilité rend presque insaisissables les coordonnées de notre toute première élection, l’enracinement de notre option fondamentale.

Le discours devient vraiment inefficace à ce point d’origine. On entrevoit, dans une intuition inexprimable, au-delà des ramifications secrètes dans le passé de sa race et dans le sien propre, plus efficace que le dressage de l’éducation et plus décisif que les affinités de la culture, l’irruption souveraine du choix divin : saint Paul sur la route de Damas. Or, sur cette route de Damas, chaque homme, quelque jour s’engage. Ne fût-ce qu’une seconde, il faut qu’il s’arrête pour répondre, pour dire oui ou pour dire non, pour se démettre de soi ou se dresser contre Dieu.

La joie d’être trouvé et la crainte de perdre

Cette attitude initiale entraîne tout le reste, et non pas seulement tout le reste en religion, tout le reste dans l’ordre surnaturel, mais tout le reste aussi dans l’ordre naturel : en métaphysique et en science, en art et en politique. C’est, aussi bien, de toutes les orientations la plus primitive, de tous les choix le plus efficacement impulsif : ce parti pris de la foi ou ce parti pris contre la foi, et jamais définitif cependant, puisque la foi peut se perdre ou se trouver, s’attiédire ou s’accroître: car ce qui semble le plus nous-même n’est pas nous.

Quelle joie de le constater et quelle immense sécurité : « Tout don parfait, dit saint Jacques, procède d’en haut et vient du Père des lumières. »

Quelle joie de savoir à qui s’adresser, mais quelle crainte aussi de pouvoir s’en éloigner ! La joie et la crainte fondues ensemble, et qui grandissent en même temps que l’amour – la joie d’être trouvé et la crainte de perdre – la joie d’aimer et la crainte de n’aimer pas assez.

L’oraison assidue nous fera connaître cette ardeur très pure, et cette sublime inquiétude, et nous donnera de garder la paix, fussions-nous un contre dix mille, en face de toutes les objections. Nous ignorerons peut-être la juste réponse, mais nous percevrons la fêlure qui les réduit à rien. Et nous leur opposerons plutôt que des raisons débiles, le réseau infrangible de nos prières, où resteront pris tous ceux qui sont sincèrement avides d’écouter le maître invisible. Pour que de telles certitudes s’établissent dans l’esprit de l’homme, il faut en effet que le Verbe s’ajoute au verbe, le Verbe de Dieu au verbe de l’homme, et que la lumière intérieure ordonne les faits et les doctrines.


(1) Il faut entendre ces « Probabilités » dans le sens que donne à ce terme le R. Père Gardeil au chapitre de « La Crédibilité Commune » dans son livre sur « La Crédibilité et l’Apologétique ». Il s’agit de ces vraisemblances qui manifestent l’Etre « avec une clarté pratiquement équivalente à l’évidence spéculative ». Nous n’envisageons d’ailleurs ici que le cas de simples fidèles et non celui des spécialistes voués professionnellement à l’examen de ces questions. A plus forte raison n’entendons-nous pas dire que l’Eglise, comme telle, puisse se contenter d’une apologétique incapable d’engendrer une certitude spéculative.

(2) L’Essor est un journal de Suisse Romande crée en 1905 par des pasteurs de l’Église évangélique libre. De 1923 à 1932 il prit le nom de Nouvel Essor, bimensuel, avec pour sous-titre : « social, moral, éducatif ».

(3) En 1922 l’ensemble des œuvres d’Anatole France (opera omnia) fait l’objet d’une condamnation papale.