04-08/08/2017 – Homélie – Eucharistie et Transfiguration

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04/08/2017 août 2017

Homélie de Maurice Zundel en Suisse le 26 janvier 1975. Introduction à la dernière récollection de Zundel à Genève, avant son attaque cérébrale puis sa mort. Publié dans « Ton Visage ma Lumière ».

Introduction : On appréciera cette nouvelle façon de vivre l’Eucharistie. Cette homélie, presque la dernière de M. Zundel, un testament donc ! Est certainement à lire et relire, à écouter, pour en pénétrer la profondeur et la nouveauté. Cette nouveauté ici, comme en maints autres endroits de la mystique zundélienne, est peut-être nécessaire aujourd’hui pour la nouvelle intelligence mystique de la foi chrétienne vers laquelle aspirent nos contemporains sans en avoir encore la claire conscience. Que la Messe nous apparaisse toujours nouvelle parce qu’elle est une prière-action ! (1)

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

Chers sœurs et frères,

La liturgie eucharistique :une prière-action

Quelle peut être la nouveauté de la Messe pour quelqu’un qui la célèbre tous les jours depuis plus de cinquante cinq ans ? Et pourtant c’est bien là le fait – et sans doute une grâce – que la Messe m’apparaisse chaque matin comme nouvelle, comme si c’était la première fois que je la célébrais.

La liturgie eucharistique est une prière-action, une prière qui est un événement et un avènement, une prière qui nous conduit jusqu’au Calvaire…, qui atteint son sommet dans cet événement de la Présence de Jésus Crucifié et Ressuscité… Qui débouche finalement sur ce mystère incomparable où le ciel et la terre se touchent et se compénètrent.

Nouvelle d’abord parce que, elle est une prière-action. C’est ce qu’il y a d’unique dans la liturgie eucharistique, c’est qu’elle est une prière-action, une prière qui est un événement et un avènement, une prière qui nous conduit jusqu’au Calvaire, une prière où s’accomplit en s’actualisant le sacrifice de la Croix pour le salut du monde entier, et c’est là le sommet de l’action qui se consomme dans la communion.

Mais c’est justement cela qui est formidable, c’est que cette prière culmine, atteint son sommet dans cet événement, Présence de Jésus Crucifié et Ressuscité. Il y a donc une progression dramatique dans l’accomplissement de cette liturgie du fait que elle ne reste jamais sur place et qu’elle débouche finalement sur ce mystère incomparable où le ciel et la terre se touchent et se compénètrent.

La transsubstantiation

Dans la liturgie eucharistique s’accomplit la transsubstantiation, c’est-à-dire le changement essentiel de la structure du pain et du vin au Corps et au Sang du Seigneur… Et cela semble indiquer justement une vocation de l’Univers… L’Univers est touché par l’Esprit, il est appelé à se spiritualiser, à s’intérioriser, à se libérer.

Il y a autre chose – il y a tant de choses d’ailleurs qu’on ne saurait les dire toutes – c’est que, dans la liturgie eucharistique, s’accomplit la transsubstantiation, c’est-à-dire le changement essentiel de la structure du pain et du vin au Corps et au Sang du Seigneur.

Il y a là une sorte de raccourci incommensurable où ce qui est le plus haut atteint le plus bas, où la matière est embrassée en quelque sorte par l’Amour de Dieu, transfigurée, transformée, transsubstantiée, pour ne garder que ses apparences qui véhiculent la présence réelle de Notre Seigneur.

Et cela semble indiquer justement une vocation de l’Univers. L’Univers n’est pas enfermé dans un déterminisme matériel, dans une fatalité matérielle si vous le voulez ! L’Univers est ouvert, l’Univers a une vocation, l’Univers est touché par l’Esprit, il est appelé à se spiritualiser, à s’intérioriser, à se libérer, c’est-à-dire que Dieu veut se communiquer à l’Univers, jusqu’au moindre atome de matière pour autant que celui-ci est capable de recevoir cette communication.

On perçoit mieux cette étreinte de la matière par l’esprit… Tout finalement gravite en Dieu, a son centre en Lui et est apte – d’une certaine manière – à Le manifester et à Le communiquer.

Et, du fait qu’il y a là un raccourci sensationnel, on perçoit mieux cette rencontre de la matière et de l’esprit, cette étreinte de la matière par l’esprit, cette vocation de la matière, cet appel vers l’esprit, dans toute l’illumination sur le sens même de la Création, sur son commencement et sur sa fin dernière : tout finalement gravite en Dieu, a son centre en Lui et est apte d’une certaine manière à Le manifester et à Le communiquer.

Echapper aux lois de l’espace et du temps

Le Corps du Seigneur, le Corps du Ressuscité,… appelle ici mon corps, notre corps, à ressusciter… Le mystère de notre corps, c’est qu’il doit échapper, lui aussi, aux lois de l’espace et du temps, et que son essence ou sa substance est en quelque sorte immatérielle.

Il y a autre chose. Nous disons au moment de la Consécration : « Ceci est mon Corps. » Bien sûr il s’agit du Corps du Seigneur, et le prêtre ici est un pur sacrement à travers lequel s’exprime personnellement Jésus. Néanmoins je dis : « Ceci est mon Corps », et en pensant que le Corps du Seigneur peut en effet être présent – et est effectivement présent –, c’est-à-dire toute l’Humanité du Christ sous cet aspect si limité, sous cette miette de pain, en étant en quelque manière délivrée des limites de l’espace et du temps, le Corps du Seigneur se révèle ainsi bien sûr comme le Corps du Ressuscité, mais il appelle aussi mon corps, notre corps, à ressusciter.

Finalement le mystère de notre corps, c’est que il doit échapper, lui aussi, aux lois de l’espace et du temps, et que son essence ou sa substance est en quelque sorte immatérielle, comme l’Humanité de Notre Seigneur, sous le moindre fragment de l’hostie, est totalement et entièrement présente.

Quand j’entrevois déjà la transfiguration possible de mon corps, j’apprends à en connaître plus profondément la dignité et je sais que je suis appelé précisément à l’unifier en ce Centre Unique, en ce point unique où il devient lumière en Dieu, une dignité telle que notre corps, lui aussi, est appelé à devenir une hostie où resplendisse et se communique la Présence de Dieu.

Le lien de l’unité de tous les hommes

Les hommes sont tous ensemble parce que, ils sont un seul pain, ils sont aussi un seul Corps dans le Christ Jésus.

Il y a en outre un aspect qui est immédiatement uni à celui que je viens d’évoquer, car ce Corps du Seigneur que je vais recevoir, qui va me transformer en Lui, est aussi le véhicule, le ferment, le lien de l’unité de tous les hommes. Les hommes [sont] tous ensemble parce que, comme dit Saint Paul, ils sont un seul pain, ils sont aussi un seul Corps dans le Christ Jésus.

Donc je vois du coup, je vois toute cette humanité qui est présente, qui est rassemblée autour de l’autel, toute l’humanité de toujours, depuis le commencement du monde jusqu’à la fin. Et bien sûr aussi tous les hommes qui sont nos contemporains, qui ne se doutent de rien et qui cependant sont atteints par cet Amour du Seigneur qui les embrasse tous, ayant pesé chacun au prix de Sa propre Vie.

La communion à laquelle je suis appelé, c’est la communion de tous les hommes. La bénédiction sur laquelle s’achèvera la liturgie eucharistique enveloppera le monde entier du signe de la Croix et de la présence de la Croix, avec toutes ses promesses de résurrection.

Donc le paysage se développe à l’infini. Cet événement de la Messe concerne le monde entier, tous les hommes y participent et la communion à laquelle je suis appelé, c’est la communion de tous les hommes. Ils reçoivent à travers moi plus que moi ! Dans la plupart des cas, ils reçoivent le Seigneur, ma communion est leur communion, qu’ils soient vivants ou morts. Ma communion est leur communion, et la bénédiction sur laquelle s’achèvera la liturgie eucharistique enveloppera du signe de la Croix et de la présence de la Croix, avec toutes ses promesses de résurrection, enveloppera le monde entier.

Mille convergences toujours nouvelles

O toi, véritable soleil, répands-toi, insinue-toi en nous ! Toi qui brilles d’un éclat éternel, répands en nos cœurs l’aube de ton esprit !

Il y a donc mille convergences dans cette prière-action qui a son sommet dans la transsubstantiation, mille convergences qui en renouvellent constamment la profondeur, la beauté et la puissance de rayonnement.

C’est pourquoi c’est toujours, toujours nouveau, toujours universel, toujours actuel, toujours transfigurant ma vie et celle des autres, celles des autres bien plus que la mienne la plupart du temps, mais justement n’excluant personne, appelant chacun à vivre, à se libérer, à renouveler le Visage de l’Amour et à ressusciter.

C’est pourquoi spontanément, en élevant l’hostie, je pense à cette prière de Laudes : « O Toi, le véritable soleil, répands-Toi, insinues-Toi en nous ! Que Tu brilles d’un éclat éternel ! Répands en nos cœurs l’aube de l’Esprit ! » Oui, c’est ça le véritable soleil ! Cette hostie, ce calice qui s’élève et qui englobe tout l’espace pour le consacrer !

Nous sommes donc bien là au cœur, au seuil aussi, d’un monde inépuisablement nouveau. C’est dans cet esprit que nous allons essayer de vivre dans le silence, dans le silence qui est le fond du tableau, si je puis dire, de cette liturgie, le silence créateur, le silence rédempteur, le silence de l’Amour, le silence de l’Esprit Saint, le silence où Dieu s’annonce au plus intime de notre cœur.

Que ce soit comme pour la première fois, même si ça doit être la dernière, que ce soit comme la première fois, dans la joie de notre jeunesse, comme le disait l’ancienne antienne qui précédait le « Judica me », que ce soit dans la joie de notre jeunesse puisque Dieu est Celui qui nous immortalise, puisque Dieu est la respiration de notre vie, puisque Dieu seul peut faire de nous une présence universelle qui embrasse toute l’humanité et tout l’univers, pour en faire une hostie à la gloire du Père, du Fils et du Saint Esprit.


(1) Père Paul Debains, 2008.

Date de publication sur le site : 18/05/2008 puis 04/08/2017