03/04/2009 – La fin dernière de tout, c’est la jeunesse et la joie, c’est l’intégrité parfaite de l’être, c’est la veleur enfin réalisée, la valeur infinie de toute créature.

La
7ème et dernière conférence de la retraite donnée à La Rochette en 1963 a déjà été « sitée » (du 22/08/06 au 25/08/06). On peut s’y référer dans les archives [ menu archives (PDF); puis menu archives 2006; puis clic sur « Août 2006. On la redonne maintenant mais avec un nouveau découpage et de nouvelles annotations. Les deux premières pages « sitées » aujourd’hui constituent un enseignement qui devrait figurer en très bonne place parmi les chefs d’œuvre de la mystique chrétienne.

Aussi étonnant que cela paraisse d’abord, cette conférence sur la joie commence par un enseignement magistral sur le mystère du mal, un mystère à l’envers, ou plutôt l’envers d’un mystère.

Début de la 7ème conférence donnée à La Rochette en septembre 1963.

La fin dernière de tout, c’est la jeunesse et la joie ! c’est l’intégrité parfaite de l’être, c’est la valeur enfin réalisée, la valeur infinie de toute créature.

« A propos du mal dans le monde, de la douleur sous toutes ses formes, de la dégradation, nous avons remarqué que Dieu est « le compatissant ». Si nous nous émouvons de tous les malheurs du monde, de la cruauté qui se fait jour dans la biologie sauvage – qui est souvent la nôtre – c’est préci­sément parce que nous portons en nous ce Dieu compatissant, parce qu’il est tout amour, pure générosité. C’est Lui qui nous inspire ce sentiment de détresse devant cet océan de malheurs et de douleurs que nous ne pourrons jamais épuiser.

Il ne suffit pas de dire que Dieu est le compatissant d’où nous tirons tous nos sentiments de miséricorde et de fraternité, il faut dire encore qu’il est la victime. Le mal a un visage effrayant, le mal gratuit surtout, le mal qui vient de l’homme et qui pourrait ne pas être, il a un visage effrayant dans la torture des innocents, dans le massacre des êtres désarmés, dans tous ces phénomènes de la brutalité qui déconcertaient Yvan Karamazov, un des héros de Dostoïevski, et déconcertait aussi Albert Camus dans « La Peste », Albert Camus qui n’a cessé de se poser avec tant d’angoisse le problème du mal.

Où est Dieu dans tout cela ? Justement, dans tout cela Il est la victime et s’il ne l’était pas, il n’y aurait pas de mal: s’il n’y avait pas un bonheur absolu et infini, dégradé, menacé, défiguré, saccagé par toutes les entre­prises de barbarie, il n’y aurait pas de mal (1). Si nous n’étions que des punaises, le problème du mal perdrait toute signification parce que disparaître serait un bienfait pour nous et pour tout le monde.

Il ne faut jamais oublier qu’il est impossible d’opposer le Dieu de la conscience au spectacle du mal parce que ce Dieu intérieur (2) – il n’y en a pas d’autre – parce que ce Dieu intérieur qui est tout amour, ce Dieu qui est l’espace où notre liberté respire, ce Dieu qui est le seul chemin vers nous-mêmes, ce Dieu silencieux, ce Dieu qui est dans une éternelle attente, ce Dieu qui ne s’impose jamais, ce Dieu qui meurt d’amour pour ceux qui refusent éternellement de L’aimer, ce Dieu-là est frappé par tous les coups qui atteignent la créature humaine, animale, voire végétale, par tous les coups qui dégradent l’univers, et Il n’y est pour rien (2) ! Il n’y peut rien que d’être frappé, que de mourir, parce que son action, c’est son amour, parce que son être tout entier n’est que son amour et que l’amour est sans effet si ne surgit pas la réponse d’amour qui ferme le circuit d’où jaillit la lumière. C’est d’ailleurs une raison pour éviter tout mal gra­tuit, pour nous tenir fermement en mains afin de ne pas ajouter à la douleur du monde et, autant que possible, à la prévenir, parce qu’il s’agit de Dieu.

Comme une mère identifiée à ses enfants reçoit avant eux, pour eux, plus qu’eux, tous les coups qui les peuvent frapper, si elle est une mère véritablement digne de ce nom, Dieu qui est infiniment plus mère que toutes les mères, infiniment plus mère que la Sainte Vierge elle-même, se trouve dans cette situation.

Tant que le monde est dans les douleurs de l’enfantement, tant qu’il est soumis par nous à la vanité, le monde n’existe pas encore, il n’est pas le vrai monde qui ne peut surgir que de notre réponse d’amour à l’Amour de Dieu, quand nous fermons l’anneau d’or des fiançailles éternelles. Il faut conclure que c’est la Présence de Dieu qui donne la dimension infinie au mal. L’horreur que nous en avons n’est qu’une attestation en creux de la présence divine qui s’y trouve bafouée.

C’est justement pourquoi le chrétien ne peut que se mettre en campagne contre toutes les formes du mal pour aboutir à cet univers sacrement, à cet univers trans­parent, à cet univers où chaque réalité doit devenir un symbole de la tendresse et de la beauté divines.

« Seigneur, dit le Psaume 25, j’ai aimé la beauté de ta maison ! » Mais la maison de Dieu, c’est tout l’univers ! Il faut donc que nous aimions la beauté de cette maison, que nous concou­rions à son aménagement, que nous disposions toutes choses de manière à ce que cette beauté divine puisse respirer et se communiquer dans la Création, car la fin dernière de tout, c’est la jeunesse et la joie, c’est l’intégrité parfaite de l’être, c’est la valeur enfin réalisée, la valeur infinie de toute créature.

C’est pourquoi nous pouvons passer au thème de la joie, cette joie qui est le testament de Jésus dans ses derniers entretiens tels que nous les rapporte le 4ème Evangile. Jésus est au bord de l’agonie et pour­tant Il dit : « Je vous ai dit ces choses pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. » (Jean 15,11)

Il importe essentiellement à la réalisation de notre mission d’en faire une mission de joie, de joie pour les autres d’abord, bien sûr, mais de joie pour Dieu au premier chef, et ensuite de joie pour nous (3). Puisque le testament de Jésus est un testament de joie, ses intentions ne seront réalisées que si notre vie atteint à la joie.»

(à suivre)

Note (1) : Ainsi le mal, du seul fait qu’il existe, nous oblige à poser l’existence « d’un bonheur absolu et infini, dégradé, menacé, défiguré, saccagé par toute les entreprises de barbarie » dont le mal est la cause et, sans l’existence de ce bonheur absolu, il n’y aurait pas de mal. Le mal postule le bonheur.

Note (2) : On peut opposer au mal le spectacle, ou plutôt l’idée, tellement courante, d’un Dieu tout-puissant, donc coupable finalement du mal puisque sa toute-puissance lui permettait de faire qu’il n’ait jamais existé, mais on ne peut pas opposer le Dieu de la conscience, le Dieu intérieur, le seul qui existe, au spectacle du mal parce que ce Dieu intérieur … est en réalité le premier frappé par tous les coups qui dégradent l’Univers. Le Dieu intérieur ne pouvait empêcher le mal que de la façon de l’incarnation rédemptrice.

Note (3) : Ainsi pour Zundel, et pour chaque chrétien, du moins devrait-il en être ainsi, nous ne pouvons être joyeux que parce que Dieu l’est. Et la mesure de la joie du chrétien sera fonction de la mesure en laquelle il œuvre pour la joie de Dieu. L’Evangile nous parle de la très grande joie dans le ciel, c’est-à-dire de la très grande joie dans le cœur de Dieu, quand un seul pécheur se convertit.

Nous n’avons guère l’habitude d’entendre parler de la joie de Dieu. Dans la vie authentiquement mystique, elle est première. Ca ne veut pas dire que Dieu ramène tout à soi, cela serait vrai d’un Dieu extérieur à l’homme, ça ne l’est plus aucunement quand il s’agit du Dieu intérieur.

Il faut lire et relire ces deux pages magnifiques, c’est la meilleure introduction au problème du mal en même temps qu’à celui de la nécessité de la joie chrétienne.

J’ai déjà signalé mon étonnement devant les témoignages donnés parfois à la radio ou sur KTO par de jeunes religieux ou religieuses qui ne parlaient que de leur joie à eux d’être entrés en religion.