02/08/2008 Ce peu de matière saisie par l’artiste devient un sacrement de la pensée …

Il
est impossible d’aborder ce monde dans sa réalité sans l’aborder avec respect et amour afin de retrouver en lui la pensée divine. La vie intellectuelle est une des choses les plus essentielles, les plus nécessaires. Notre esprit a besoin de cette nourriture de l’esprit plus encore que de nourriture corporelle.

3ème conférence de M. Zundel (d’après des notes) donnée à Bourdigny en août 1937. Début.

« L’homme des cavernes, contre les parois de sa demeure repro­duisait l’image des bêtes qu’il chassait, l’image du bison, l’image du renne, l’image du mammouth. Il a voulu avoir sous les yeux, dans sa ca­verne, ces bêtes familières afin de les contempler. Pourquoi ?
Parce que cette restitution qu’il se faisait à lui-même des bêtes qu’il chassait, est en réalité une autre vision qu’il a sous les yeux ; ce qu’il voit d’une perception visible, son esprit le voit d’une perception intérieure. Dans ces animaux il a saisi, sans peut-être s’en rendre compte, un certain mystère, une certaine présence, une pensée, et il a essayé de dessiner sur les murs des parois de sa caverne cette vision de son esprit.
Il suffit d’une légère inflexion, d’un signe, pour que tout le spectacle qu’il a devant les yeux deviennent maintenant un spectacle intérieur, nourrisse son rêve et lui permette d’entrer dans le royaume de la beauté. C’est ainsi que l’art a commencé et, poursuivant son effort, a essayé d’exprimer dans la matière, une vision intérieure. C’est comme un « recréement », (une re-création) de la matière en quelque manière qui pourra s’ouvrir à la vision de l’esprit.
Et c’est une chose magnifique que les hommes les plus primi­tifs ressentent ce besoin et le ressentent parce qu’ils étaient des hommes, et par conséquent ils avaient cette noblesse de l’esprit, cette vocation divine, en eux, cet appel de Dieu, à travers les apparences de la nature, ils communiaient à la pensée de Dieu. Et ce que l’artiste poursuit à travers toutes les formes de la matière, les savants n’ont cessé de le poursuivre à travers leurs efforts, restituant sans cesse par là, le monde à l’esprit. Il faut bien se rendre compte de toute cette oeuvre immense qui est une partie essentielle de notre collaboration aux oeuvres de Dieu.
Si nous regardons le monde, nous comprenons qu’il nous est proposé, et non offert, comme un chef d’oeuvre du Père céleste, de l’ar­tiste divin, il est un chef d’oeuvre de tendresse et d’amour, et par conséquent, il est impossible d’aborder ce monde dans sa réalité sans l’aborder avec respect et avec amour, afin de retrouver en lui la Pensée divine.
On peut se demander s’il ne serait pas plus simple d’aller directement à Dieu, et pourquoi il faut perdre tant de temps dans l’étude des phénomènes et les explications de la nature, mais ?
Vous savez que l’auteur de l’ « Imitation » a des pages assez dures contre ces chercheurs qui perdent leur temps à acquérir des notions sur les phénomènes et qui oublient de se tourner vers Dieu. Mais cette opposition est un peu artificielle et dangereuse, car, après tout, quel autre moyen avons-nous de connaître Dieu, sinon par la nature et par nous-même, sinon par cette Création (1) dont nous par­tons avant même de savoir qu’il y a un Créateur?
Si nous ne suivions pas la trace de Dieu dans la création, est-ce que Dieu ne risquerait pas de devenir une idole, une image stati­que, immobile, que nous nous serions faite, créée par notre esprit ? Dieu n’est pas cet être statique et immobile. S’il ne change pas en Lui-même, il faut qu’en nous Il change sans cesse et que chaque jour la connaissance que nous en avons s’approfondisse, que cette vision devienne plus pure et plus aimante.
La recherche des phénomènes n’est pas un obstacle a Dieu, mais ce qu’elle a de pathétique – que ce soit la recherche du savant ou celle de l’artiste – c’est qu’elle est, comme je le disais tout à l’heure, une restitution de l’esprit dans l’univers et de l’univers à l’Esprit, ce qui est la même chose.
Pourquoi prend-on tant de soin des chefs d’oeuvre qui sont, pris en eux-mêmes, un peu de matière, souvent de matière très déficiente, afin de les préserver de tout accident ? Pourquoi construit-on des palais pour les abriter ?
Parce que ces chefs d’oeuvre, ce peu de matière, est tellement pénétré du souffle de l’Esprit qu’il est devenu le sacrement de la pensée, qu’il est devenu l’ostensoir de la Beauté et qu’on ne peut plus voir ces oeuvres et cette matière qu’à travers toute la lumière de l’Esprit et tout le resplendissement de la Beauté.
Celui-là est un barbare qui ne s’arrête avec respect devant ces chefs d’oeuvre et qui les traite comme une chose au lieu de les traiter comme une personne et d’en prendre soin comme de l’expression de la pensée, comme du sacrement de la Beauté.
Eh bien, de la même manière, celui qui ne s’arrête pas devant l’univers avec amour, il est un barbare puisqu’il ne voit pas en cet uni­vers une personne, puisqu’il n’y voit qu’une chose et non une tendresse, un amour qui vient à notre rencontre. Il y a donc dans les oeuvres de la science, un effort de l’homme pour connaître. Il y a là, une espèce d’intuition de l’esprit qui sent qu’il est appelé à collaborer à la création.
Si le monde est une pensée, s’il porte le rêve de Dieu, s’il est plein de Dieu, pour le connaître et l’aborder, il faut le faire du dedans, afin de retrouver cette pensée, et les savants créateurs, ceux qui ont pensé le plus personnel­lement, sont aussi ceux qui ont abordé l’univers avec le plus de respect et le plus d’amour.
Louis de Broglie, qui est le créateur de la mécanique ondu­latoire, dit qu’il faut aimer la science parce qu’elle est une grande oeuvre de l’esprit, parce qu’elle peut chanter l’esprit. Ce qui est magnifique, c’est son effort, cette tension de l’esprit vers l’Esprit, à la trace de l’Esprit de Dieu; cet effort de la pensée humaine vers la Pensée de Dieu, cette montée. Et c’est ainsi que s’impose à nous le respect de la con­naissance, le respect des gens voués à la recherche, à la pensée dans le monde, et ce désir, chacun pour notre part, de connaître pour com­munier plus parfaitement à la pensée divine, pour entrer plus avant dans l’Amour de Dieu.
Ce n’est pas par hasard que l’Académie des Sciences est située au Vatican, près du musée, comme un complément de ce musée, pour affir­mer que le catholicisme ne peut pas ne pas bénir et aimer la science, qui, comme l’art, va dans la direction de l’Esprit et s’applique à faire la rencontre avec Dieu.
On est porté à penser, parfois, que la vie intellectuelle est une chose secondaire, que c’est une espèce de luxe ! Eh bien non, non ! parce que c’est une des choses les plus essentielles, les plus nécessaires. Notre esprit a besoin de cette nourriture de l’esprit plus encore que de nourriture corporelle. On peut se passer de manger, on ne peut s’empêcher de penser et de connaître, parce qu’on ne peut pas être un homme, c’est-à-dire un esprit, une intel­ligence, sans éprouver ce besoin d’aller vers la Lumière. » (à suivre)

Note (1). Heureux commentaire de Romains, 1,19. Nous constatons déjà sur la terre, quand il s’agit de l’homme, que ce qu’il crée, en quelque sorte lui ressemble, du moins est en conformité avec ce qu’il est.