02/04/2009 – Le moine, comme l’oblate, est moine, ou oblate, non pas pour soi mais pour l’Eglise. … la vocation du silence.

Suite 4 et fin de la 6ème conférence donnée à La Rochette en septembre 1963.

Dans les dérivations de la vie monastique, comme l’est l’oblature bénédictine, il y a la même tendance à la fécondation de la vie civile. …

« Il importe de souligner avec une extrême fermeté que toute vie chrétienne est apostolique et que la vie monastique l’est au premier chef. Le moine est moine non pas pour soi mais pour l’Eglise. C’est en lui que l’humanité doit s’offrir et offrir sa louange, c’est par lui que la prière du genre humain doit être ininterrompue, et son intercession ne doit pas cesser d’englober les travaux et les jours, et sanctifier tous ses frères humains.

Il faut que dans un monastère aboutissent toutes les douleurs, toutes les catastrophes, tous les naufrages, toutes les chutes d’avion, toutes les maladies, toutes les épidémies, tous les drames, tous les désespoirs ! et que le moine ou la moniale soient constamment le viatique de tous ces besoins humains.

C’est dans la mesure où le monde entier trouve ici un refuge que devient nécessaire l’existence de ce sacrement collectif qu’est, par la volonté de l’Eglise, un monastère fervent, car elle ne consacrerait jamais une forme de vie qui ne fût pas apostolique (1). La vie monastique ne peut concerner seulement la sanctification personnelle (1), ce qui, d’ailleurs, n’a aucun sens puisque l’Eglise est universelle, et que la grâce est par essence en tout chrétien une mission universelle.

Ceci nous permet aussi d’apprécier ce que l’oblature peut attendre d’un monastère et lui donner. Si la vie monastique a des fonctions apostoliques, si elle est une forme éminente de la vie apostolique, il ne s’agit pas pour les oblats de singer la vie des moines, de faire comme s’ils étaient des demi-moines ! Il ne s’agit pas du tout d’une imitation d’une pseudo­-perfection qui serait attachée aux formes monastiques, il s’agit de quelque chose d’infiniment profond et sérieux, il s’agit d’étoffer la vie dans laquelle on est situé, (au milieu de laquelle les oblates travaillent), vie conjugale, vie de famille, vie de travail, il s’agit de l’étoffer de cette vie contemplative dont le monastère a la charge en commun.

L’oblature signifie une conscience très aiguë de l’impossibilité d’accomplir l’apostolat chrétien qui est consubstantiel à notre baptême sans un mini­mum de vie contemplative, et le monastère sert de jardin de Dieu par les liens qu’on entretient avec lui, il alimente la source, il maintient très vive la conscience de cette nécessité d’une vie contemplative au centre et au coeur de la vie active.

Ce n’est pas déprécier la vie dans laquelle on est engagé, le mariage ou la maternité, le travail de bureau ou celui de la couturière ou de la modiste, ou n’importe quel autre travail car, finalement tout le travail est ordonné à la subsistance de l’homme pour que l’homme ait la chance et la possibilité de se faire homme, c’est-à-dire d’atteindre à cette union avec Dieu où notre liberté respire et trouve à la fois sa révéla­tion et son accomplissement.

Chaque Ordre religieux a sa manière de communiquer avec ceux qui le continuent dans la vie civile. Selon les tempéraments, selon les affinités avec le fondateur de l’Ordre, il y aura des tiers-Ordres ou des oblatures différentes, mais ce sera toujours dans la même perspective, pour alimenter la vie en s’appuyant sur le monastère comme sur la plénitude d’un sacrement collectif où le silence est vraiment vécu, où le silence est Quelqu’un, où le silence est une personne et non une consigne. Dans toutes ces dérivations de la vie monastique, il y a la même tendance de féconda­tion de la vie civile par une présence divine toujours plus intensément vécue.

C’est justement notre grâce, en ces jours de retraite, de vivre dans le rayonnement de ce silence et de cette liturgie qui est le principal devoir des moniales consacrées à cet office, qui est rempli au nom de toute l’Eglise et auquel nous participons tous par le fait de notre baptême et plus étroitement encore par le fait de notre oblation.

Il semble que, dans cette perspective, la vie religieuse se situe à son vrai plan. Elle est d’autant plus importante qu’on n’y voit pas le bouillon de culture d’une perfection égoïstement personnelle, ce qui lui donne des ailes : il y a eu une confusion, surtout au 19ème siècle, et qui n’est peut-être pas encore complètement dissipée, dans la perfection monastique en tant qu’elle constitue la sanctification de l’individu (1). Beaucoup de couvents ont fait de la vie religieuse une manière de mettre constamment les âmes dans le laminoir pour lui donner la forme divine, la vie religieuse est devenue une épreuve d’obéissance jusque dans les moindres détails au point d’anéantir l’individu, de le priver de toute initiative, de prolonger son infantilisme sinon de le cultiver.

On a confondu l’exercice religieux que chacun peut s’imposer, une certaine forme d’ascétisme qui convient ou qui est nécessaire à son tempérament à une certaine période de sa vie, avec la fonction ecclésiale. Au lieu de donner aux âmes un maximum de largeur, d’initiative, au lieu de faire des personnes, de donner le sens de la grandeur, au lieu d’organiser la vie au niveau de la catholicité, on a tenté de la restreindre à une petite fonction contenue dans les limites d’une obéissance très étroite et très mesquine.

Je vais vous donner un exemple qui est presqu’amusant : une avocate avait demandé à une religieuse à quel moment elle pourrait la voir le plus commodément, à savoir, puisqu’il s’agissait d’une religieuse enseignante, à quel moment elle serait libre de sa classe. Puis l’avocate dit à la Supé­rieure qu’elle savait que la religieuse serait libre à tel moment. La Supérieure s’est écriée : « Mais comment ! C’est à moi à gouverner son temps ! Si une religieuse ne peut pas dire à quelle heure elle est libre pour un rendez-vous, évidemment subordonné à la permission de la Supérieure, nous sommes en pleine mesquinerie. Il est sûr que le Seigneur ne peut pas être glorifié par ce ratatinement et que ce ne sont pas des mineures sous tutelle qui feront avancer le règne de Dieu !

Il ne s’agit pas de sanctifier les âmes en les écorchant. La vie religieuse n’a pas pour but premier de sanctifier les âmes puisque c’est là l’oeuvre commune de tous les baptisés, c’est une obligation, une exigence, imprescrip­tibles pour tous. Pour accomplir une grande oeuvre apostolique, il faut des âmes très larges, très hautes, très ouvertes et capables de stimuler toute la vie chrétienne de manière à la mettre au niveau de tous les développements techniques en honneur dans notre siècle. Il faut faire grandir les âmes dans le sens d’une majorité absolument indispensable pour donner à l’état religieux son véritable aspect de sacrement collectif d’une grandeur indispensable à la vie du Corps Mystique.

Puisque nous sommes dans un monastère bénédictin, nous voulons garder avant tout, comme le sens de l’offrande que nous voulons garder avant tout, comme le sens de l’offrande que nous voulons être, cette vocation de silence. Il faut le silence, ce silence profond qui enracine l’âme en Dieu, qui la met à l’écoute de Dieu, qui lui permet d’entendre cette musique silencieuse qui est le Dieu Vivant. En la maintenant, l’offrande, à ce plan infiniment profond, le silence la met aussi à l’écoute des autres, la détourne de toute indiscrétion et l’habitue à prendre le diapason des autres pour leur parler. On peut opérer des désastres si l’on entreprend l’évangélisation des autres sans avoir pris le « la » de leur âme. Il faut connaître leur musique pour entrer dans leur rythme profond.

Newman disait : « On ne se repend jamais de s’être tu ! mais souvent d’avoir parlé. « Notre premier témoignage doit être celui du silence, non d’un silence de consigne, d’un silence obstiné, d’un silence fermé, mais de ce silence de vie où les paroles elles-mêmes jaillissent du silence, ce qui est la même chose que de dire qu’elles jaillissent de l’amour, car, pour rencontrer l’Amour au coeur de notre coeur, il faut nécessairement être à l’écoute.

C’est cela que la vie monastique, avant toutes choses, est chargée de stimuler en nous, c’est ce sens de l’audi­tion spirituelle qui renouvelle sans cesse le Visage de Dieu et qui fait que Dieu est neuf chaque matin parce qu’on ne cesseras d’être instruit par Lui en pénétrant dans la chambre secrète de son âme, en se rendant disponible dans un recueillement constamment renouvelé, constamment reconquis pour ne pas empêcher la musique. »

(Fin de la conférence)

Note (1) : Toujours ce même souci de la perfection chrétienne, vers laquelle doit tendre tout baptisé, non pas pour son propre bénéfice mais bien pour les autres, pour le corps mystique du Christ.