L’œcuménisme: un amour personnel et donc universel

data_padding_left= »3″ data_padding_right= »3″ data_top_style= »default » data_bot_style= »default » data_color= »default » data_bg_position= »top center » data_bg_repeat= »no-repeat » data_bg_attachment= »scroll » data_bg_size= »cover0.5″ data_padding_top= »0″ data_padding_bottom= »-15[ » title= »Conférence de Maurice Zundel à Paris le 21 janvier 1973. Non édité. Les titres sont ajoutés.h5″ box_icon_type= »icon » box_icon= »cmsmasters-icon-info-1″ box_icon_size= »30″ box_icon_space= »30″ box_icon_border_width= »0″ box_icon_border_radius= »50% » box_border_width= »0″ animation_delay= »0


Enregistrement de la conférence


La semaine de l’Unité

La Semaine de l’Unité dans laquelle nous sommes nous ramène à ce problème de l’œcuménisme qui est aujourd’hui heureusement un des ferments de la vie chrétienne.

Et aucun doute que, depuis une vingtaine d’années, (décennies 1950-1960) un rapprochement considérable s’est accompli, au moins sur le plan affectif et que il y a, entre les différents groupes de la Chrétienté, il y a des liens parfois d’amitié et de fraternité qui sont très sincères.

Est-ce que le problème a été pris jusqu’à sa racine ? Est-ce que il n’y a pas eu parfois trop de souci de trouver un commun dénominateur en rabotant plus ou moins les doctrines pour que les différences n’apparaissent pas comme trop insurmontables ? Toujours est-il que le problème est posé et que il nous invite nous-mêmes à retourner au fondement de l’œcuménisme qui est la Personne de Jésus Christ.

Il est évident que l’œcuménisme a ses racines dans cette universalité de l’humanité de Jésus. C’est parce que son humanité n’a pas de frontières, c’est parce qu’elle est totalement ouverte sur Dieu et sur l’homme. C’est parce que en Lui le moi est tout engagé, ou plutôt qu’il est identique avec cet altruisme infini qui constitue la personnalité du Verbe, c’est en raison de cette désappropriation subsistante, infinie, éternelle que l’humanité de Jésus Christ peut être une humanité présente à toutes les humanités et capable d’être en chacun de nous le ferment d’une libération de plus en plus totale.

Et justement, cet œcuménisme qui a ces racines dans la personne de Jésus-Christ, qui est donc une exigence d’autant plus profonde, intimée à tous les chrétiens de surmonter leurs barrières et leurs différences, cet œcuménisme fondé ainsi dans la structure même de la personne du Christ nous ramène également à une vue centrale de l’Évangile. De quoi s’agit-il ? Qu’est-ce que Jésus veut que nous cachions ? Sur quoi devons-nous tomber d’accord ? Quel est le centre de notre confession de foi ? Quelle est la vérité finalement à laquelle nous avons tous à nous rallier qui doit devenir le jour de notre esprit et qui doit précisément cimenter notre unité, faire de tous les chrétiens un seul corps dans la présence du Christ ?

Le christianisme : un dépouillement

Si la Trinité est le Centre de tout, si Jésus est un de la Trinité, si c’est cette Pauvreté suressentielle qui est précisément le berceau de toutes nos libertés, qu’est que le Christianisme doit apporter au monde sinon justement, à l’état de vie et d’expérience rayonnante, sinon ce dépouillement même ?

Le Christianisme ne se présente pas et ne peut pas se présenter comme un corps de doctrines opposé à un autre, comme une vision du monde alignée à côté des autres. Le Christianisme ne peut pas être, pour ceux auxquels il est offert, un signe d’infériorisation:  » Voilà! Vous ne saviez pas, nous, nous savons ! Vous n’aviez pas, nous, nous possédions ! Vous n’étiez pas à notre niveau, vous êtes appelés maintenant à y accéder !  »

Il est évident que personne n’acceptera le Christianisme si d’abord il le met dans une position d’infériorité, si, il est humilié dans sa sensibilité, s’il est humilié dans son âme, s’il est humilié dans ses ancêtres, s’il est humilié dans toutes les traditions qui constituent les couches les plus profondes de sa psyché, et de son âme.

Le Christianisme ne se présente pas de cette manière, précisément parce que il est l’universalité de la Présence de Dieu. Il ne peut être offert que sous l’aspect d’une démission, d’un espace illimité, d’une libération, d’abord à l’œuvre dans ceux qui le présentent, d’une libération telle que chacun se sente invité, chacun se sente accueilli, chacun puisse découvrir précisément que c’est cela, que le visage qu’il a en face de lui est le visage qui fait éclater toutes les frontières, et qu’il introduit immédiatement dans ce royaume du cœur qui est le royaume de Dieu.

Le Christianisme a à se mettre d’accord justement non pas sur un corps de doctrines mais sur cette expérience fondamentale qui est l’expérience de la démission, qui est l’expérience de l’altruisme fondé précisément sur l’altruisme de Dieu dans le mystère des trois Personnes. Et quand je dis que, il ne s’agit pas d’un corps de doctrines, c’est parce que justement le dogme chrétien, contenu déjà dans le Nouveau Testament, n’est pas un système de doctrines, c’est un sacrement, c’est l’expression d’une confidence où l’intimité de Dieu se livre à la nôtre afin que notre vie puisse s’enraciner dans celle de Dieu.

En tout cas, il n’y a pas d’hésitation possible : si le cœur du christianisme, c’est la Trinité divine, si Jésus est l’Incarnation, le dépouillement absolu d’une humanité qui communique le dépouillement infini de Dieu en personne, il est évident que le Christianisme ne peut se présenter aux hommes que sous cette forme d’accueil illimité, de démission totale, de désappropriation radicale. Ce qui est symbolisé d’ailleurs de la façon la plus simple et la plus irrésistible dans l’agenouillement de Jésus au lavement des pieds. Au fond, tout est dit dans cette scène : les apôtres qui n’ont pas compris, les apôtres qui ne savent pas, les apôtres, tout d’un coup, d’abord scandalisés, vont être introduits au cœur même du Royaume. Ils sauront que le centre de leur apostolat, puisqu’ils auront à prendre la relève, c’est cela : être à genoux devant ce Dieu caché dans le cœur des hommes et, dans cet agenouillement même, leur révéler le trésor infini qu’ils portent en eux.

Dans le dépouillement et la démission : le lien qui rassemble

L’œcuménisme, je pense que si nous le vivions à sa racine dans la structure même de la Personne de Jésus, si nous cherchions dans cette démission radicale, dans ce dépouillement total de la Personne du Seigneur le seul lien qui puisse vraiment rassembler tous les hommes dans une véritable communion d’amour, je crois que nous serions tombés d’accord plus rapidement sur l’unique nécessaire.

D’ailleurs, c’est à cela, bien sûr, que nous avons à revenir. L’œcuménisme : chacun de nous a à le vivre dans son dépouillement personnel, et il n’y aura de chance de rallier d’abord tous les chrétiens, de les rassembler en un seul corps et de rendre dans le monde entier un témoignage unanime, il n’y a d’autre chance que cette authenticité de l’œcuménisme personnel. C’est chacun qui doit devenir un universel. Rien n’est plus important que de se rendre compte que l’universel est identique avec le personnel au sens le plus profond. L’universel peut signifier l’ensemble des hommes, toute cette espèce zoologique qui constitue le genre humain. Nous pouvons dire que il y a une Union Postale Universelle qui embrasse tous les peuples qui acceptent notre technique et entrent dans le courant de cette civilisation. Nous pouvons dire que tous les mariages humains interraciaux sont féconds, que la fécondité est universelle entre toutes les races et que, à ce titre, le sexe représente dans l’espèce humaine une réalité universelle.

L’universel est personnifié

Mais sinon, ce n’est pas cela qui intéresse la vie de l’esprit. Ce qui intéresse la vie de l’esprit, c’est cette richesse dans un seul être, tout ce rayonnement de la vérité reçue, aimée, vécue, rayonnante ! Si je dis : Michel Ange est un génie universel parce qu’il est à la fois un architecte, un sculpteur, un peintre et un poète, le mot universel ici évidemment concentre dans une seule personne des richesses qui, précisément parce qu’elles sont personnifiées, parce qu’elles sont vécues, peuvent devenir – pour chaque personne humaine – peuvent devenir un ferment de libération et de grandeur.

Oh ! Le mot « universel » a un sens profondément différent si je lui fais désigner l’ensemble des hommes, ce qui existe partout du fait qu’il y a des représentants ou des spécimens de l’espèce humaine, et « l’universel » qui est toute cette richesse accumulée dans l’esprit et dans le cœur d’un homme, richesse qui précisément parce que elle a été personnifiée, parce qu’elle jaillit d’une source vivante, parce qu’elle est un don d’amour, va se répandre et déterminer une contagion de lumière et d’amour.

L’universalité du Christianisme passe par le cœur de chacun, c’est dans la mesure où chacun se fait universel que l’Église est catholique dans le sens précisément d’universelle.

Alors il est évident que l’œcuménisme christique est un œcuménisme qui doit vivre au cœur de chacun et que l’universalité du Christianisme, c’est une universalité qui passe par le cœur de chacun, c’est dans la mesure où chacun de nous se fait universel que l’Église est catholique dans le sens précisément d’universelle.

Il y a donc dans l’œcuménisme une revendication, je veux dire une exigence, qui est intimée à chacun de nous. On n’arrivera jamais à un œcuménisme authentique, à un œcuménisme qui ne soit pas une espèce de compromis diplomatique où on tentera d’estomper les distinctions et les différences, on ne surmontera ces différences qu’en revenant à l’essentiel qui est précisément le dépouillement infini de la Personne de Jésus Christ qui nous apporte une Vérité qui est Quelqu’un. Et la Vérité est toujours Quelqu’un, la Vérité, c’est ce jour qui se lève dans notre esprit quand nous sommes en communion avec une réalité en l’atteignant dans sa racine divine.

La Vérité, elle ne se laisse pas formuler dans une phrase définitive ou dans une formule définitive. Il n’y a pas de formule définitive sur le plan du discours. Il n’y a de définitif que, justement, ce dépouillement absolu où l’esprit est tout entier un regard d’amour pour accueillir cette Présence qui lui est offerte. La vérité du Christianisme, c’est donc cette Présence de l’Éternelle Pauvreté qui, se communiquant à nous, étant accueilli par nous, peut se diffuser comme un appel au dépouillement, c’est-à-dire comme un appel à la liberté.

L’universel est une qualité de l’esprit

L’universel dont il est question dans l’œcuménisme, cet universel fondé sur la Personne de Jésus, et fondé plus profondément sur la vie des trois Personnes Divines, cet universel ne peut avoir d’efficace que dans la mesure justement où chacun de nous le vit. Chacun de nous est appelé à être toute l’Église, comme chacun de nous est appelé à devenir Christ.

Car le Christ est Quelqu’un, le Christ est une Personne, le Christ est une Présence, le Christ est un Événement qui ne peut être accueilli que si Il est dans la vie un ferment de transfiguration.

Et d’une manière générale d’ailleurs, c’est cela qui m’apparaît si important: de très grandes erreurs résultent de la confusion entre un universel générique qui correspond simplement à l’extension spatiale de l’espèce humaine, et cet universel qui est une qualité de l’esprit, cet universel qui rend un être propre à être une source de vie pour toute conscience attentive à son appel et capable d’accueillir sa lumière.

[Repère de positionnement enregistrement audio : 16′ 43 »]

Un livre considérable qui s’appelle « Sociologie de la Révolution » de Jules Monnerot, un livre monumental qui traite du Marxisme et de ses fondations spirituelles, qui montre que la puissance du Marxisme, c’est finalement d’être une religion fondée sur une dogmatique rigoureuse qui a prise sur l’inconscient et qui suscite un élan extraordinaire comme d’une mystique matérialiste, si ces deux mots pouvaient aller ensemble. Mais il y a certainement là tout un courant, tout un courant qui oublie – j’entends : qui perd de vue – ce qui me paraît essentiel, que ce qu’il faut assurer : qu’il n’y a pas de justice, à moins qu’on ne l’assure à chacun, à chacun, ce pouvoir de devenir universel.

La justice, qu’est-ce qu’elle signifie ? Si nous sommes dans un monde matériel, si le monde n’est pas à base d’esprit, s’il n’a pas une vocation d’esprit, que signifie la justice ? Sur quoi la fonder ? Pourquoi est-ce que ce monde ne serait pas livré à la loi de la jungle ? Pourquoi est-ce que les plus doués n’en profiteraient pas ? Pourquoi est-ce que ceux dont le sort est le meilleur et qui ont les moyens d’ailleurs de faire triompher leurs desseins, pourquoi est-ce que ils s’occuperaient des autres ?

Ce qu’il faut réaliser, c’est donner à chacun la possibilité d’être un créateur, d’être un universel, d’être le foyer et la source d’un bien qui soit reconnu par les autres comme leur bien.

Il est évident que le souci de l’autre, le souci de la justice, ne peut provenir que de cette intuition, que de cette prise de conscience qu’il y a en chacun un universel personnel. Que ce qui fera l’humanité, ce n’est pas de la rassembler dans une seule idéologie et dans un seul système, sous une dictature de fer qui empêchera toute pensée de dévier, mais que ce qu’il faut réaliser, c’est donner à chacun la possibilité d’être un créateur, d’être un universel, d’être le foyer et la source d’un bien qui soit reconnu par les autres comme leur bien, ainsi que je l’indiquais déjà hier.

Je crois que, on commet une immense injustice en méconnaissant cette exigence fondamentale. Je sais bien que, il faut aller au plus pressé. Je sais bien que l’homme qui meurt de faim, il faut naturellement le nourrir, l’homme qui n’a pas d’abri, il faut le loger, c’est entendu. Mais il ne faut jamais perdre de vue que il faut acheminer toute cette humanité vers sa dimension humaine et que on revendique la justice certainement avec d’autant plus d’ardeur et de passion, mais aussi d’équilibre et de respect de tous, que l’on est axé sur cette volonté d’aider chacun à devenir un universel.

Il s’agit donc de dépassionner cette requête de la justice. Il ne faut pas qu’elle soit une justice « contre » ou qu’elle soit une justice « pour ». Il faut que, elle retourne à ses fondements essentiels où l’homme peut reconnaître l’homme dans une dimension proprement humaine.

Vivre l’universel pour collaborer à l’œcuménisme

Rien n’est plus nécessaire que de vivre dans l’œcuménisme non seulement à l’échelle de la Chrétienté mais à l’échelle de toute l’humanité. Au niveau de tous les problèmes humains, rien n’est plus nécessaire que de retrouver le sens d’un universel qui est caché au fond de chaque conscience humaine

Que tous ces êtres qui sont dans des conditions sous-humaines reçoivent ce qui leur est dû, mais justement ce qui leur est dû en raison de leur humanité, en raison des possibilités créatrices qui sont en eux, en raison de la valeur infinie que chacun représente pour tous les autres.

La grande infortune du Marxisme, ou de Marx lui-même qui a pu être extrêmement sensible au caractère ignominieux d’une certaine misère dont il a été témoin, l’infortune du Marxisme, c’est précisément de n’avoir pas vu que ce qui était défiguré dans l’homme par ces conditions scandaleuses, c’était le Visage, le Visage Infini qui est caché dans le cœur de chacun. Si Marx avait pu diffuser sa doctrine en prenant conscience de cet universel qui est le foyer de notre humanité, il aurait révolutionné le monde dans un sens tout à fait différent.

Le fait que il a manqué de percevoir cet universel au cœur de chacun a fini par dissoudre la révolution dans une espèce de collectivité où les courants de l’inconscient suscitent constamment des remous obscures et où il est extrêmement facile à ceux qui tiennent les leviers de commande de disposer de toute la vie au nom d’un prolétariat dont ils sont être censés l’incarnation. Et tout cela pour dire que l’œcuménisme qui nous est révélé dans le Christ, cette universalité humaine ne se dissout pas dans la collectivité, elle a son centre dans le cœur de chacun. Chacun est appelé à être le centre du monde, chacun est indispensable à la nouvelle création. Il n’y a pas de neutralité car celui qui n’est pas présent à cette nouvelle création est nécessairement un obstacle à son éclosion.

Il me semble, il est urgent en tout cas, je ne dis pas de parler mais de vivre intensément cet universel au plus intime de nous-mêmes pour collaborer d’abord à l’œcuménisme qui est à l’œuvre dans cette semaine de l’unité, et plus profondément pour embrasser tous les problèmes humains sous l’angle précisément de l’humanité personnelle.

Gandhi et l’image de deux types d’humanité

Il y a une sorte d’image qui peut nous donner le sentiment du décalage. Vous savez que Gandhi, Gandhi à 37 ans a fait le vœu de chasteté. Il a fait le vœu de chasteté parce que, ayant trois enfants, sauf erreur, il estimait que il avait collaboré suffisamment à la perpétuité de la race humaine. Et, ne voulant pas avoir davantage d’enfants, sachant que il était appelé à se consacrer à cette immense tâche de libération de son peuple, il avait donc choisi cette solution rigoureusement personnelle du vœu de chasteté, triomphant en lui de l’espèce précisément par le choix d’une liberté personnelle.

Il était donc libre de l’espèce, et à partir de ce moment-là, toute sa vie en effet fut établie dans le calme à l’égard de tous ces problèmes, parce que il avait une fois pour toutes, pris une décision qui engageait sa personne et qui constituait en lui précisément un universel personnel capable de faire contrepoids à toutes les sollicitations de l’espèce.

Dans l’Inde d’aujourd’hui, il y a une propagande acharné pour répandre les contraceptifs. Un spectacle absolument délirant où l’on voit des messagers du Gouvernement, des infirmiers, des médecins, des doctoresses, des montreurs de marionnettes; des diffuseurs de slogans, enfin il y a vraiment tout un immense équipement technique consacré à la diffusion de la contraception et de la stérilisation.

Donc on voit cette Inde qui paraissait la mère spirituelle de l’humanité, on la voit accrochée aux moyens les plus matériels, aux méthodes de propagande les plus américaines, si l’on peut dire, pour amener cette masse de gens à accepter, sans bien se rendre compte de ce qu’ils font sans doute, la stérilisation plutôt que de les appeler, ce que on aurait attendu de l’Inde, à une discipline spirituelle capable précisément de faire contrepoids aux entraînements de l’espèce.

Voilà donc deux situations dans la même Inde où Gandhi apparaît comme celui qui évidemment incarne en lui un universel personnel tandis que l’autre solution est une solution à l’usage d’une foule que l’on traite comme une foule, qui se reproduit d’une manière inconsciente et dont il faut freiner la fécondité par des méthodes extérieures et matérielles.

Une humanité universelle par le dedans

Il faut faire le choix entre ces deux types d’humanité, et il est certain que on honore davantage les hommes si on fait appel à leur dignité, à leur grandeur, à leur liberté, si justement on leur propose de constituer au dedans d’eux-mêmes un bien qui concerne tout l’univers.

Concevoir qu’un être… peut devenir, sans rien faire d’autre que de vivre authentiquement, peut devenir la lumière du monde !

Le Christ est l’humanité universelle justement par le dedans, par cette puissance d’accueil illimitée qui lui permet de vivre la vie de chacun comme la sienne propre et, bien sûr, en étant infiniment loin de cette générosité toujours présente et qui va jusqu’au don de la vie pour chacun. Nous entrevoyons tout de même la direction d’une humanité qui monte, d’une humanité où la justice est ondée justement sur le respect de ce qui constitue l’homme dans sa différence spécifique. Quoi de plus merveilleux que de concevoir qu’un être dans sa solitude, par le respect de sa solitude, peut devenir sans rien faire d’autre que de vivre authentiquement, peut devenir la lumière du monde !

Et c’est vrai. Il n’y a d’autres lumières dans le monde, d’autres lumières spirituelles, d’autres lumières qui soient pour nous un ferment de libération que celles qui émanent de ces vies qui ont concentré en elles-mêmes toute la lumière et tout l’amour accessibles à l’esprit. Parce qu’ils en vivent, ils communiquent. Les biens de l’esprit, en effet, sont tels qu’on ne peut les communiquer qu’en les vivant, parce que les biens de l’esprit sont justement des biens de dépouillement, de désappropriation et d’amour.

[Repère de positionnement enregistrement audio : 31′ 03 »]

Thérèse de Lisieux un universel authentique

Et cette année qui se trouve celle du centenaire de Sainte Thérèse de Lisieux, (en 1973) nous confirme surabondamment dans cette vision.

Qui est Thérèse ? Une petite fille. Qu’est-ce qu’elle a fait ? Rien, trois fois rien ! Elle est morte à 24 ans, elle a été 9 ans au Carmel, elle a fait des fleurs en papier, des poèmes, mon Dieu, qui ne sont pas nécessairement des chefs d’œuvres. Mais ce qu’elle a fait de merveilleux, c’est justement d’accomplir ce don silencieux et total d’elle-même, d’embrasser toute l’humanité dans sa souffrance, d’accepter de participer à la rédemption en payant de sa personne, alors que elle n’était connue nulle part, son couvent étant un couvent obscur dont nul ne parlait. Comment est-ce que tout d’un coup elle a conquis l’univers, comment est-ce qu’elle est devenue une présence universelle, comment est-ce que des milliers et des milliers d’âmes ont trouvé dans sa présence un chemin vers Dieu ? Justement parce que elle a été un universel authentique dans le secret de sa prière et de son immolation.

Voilà un exemple incontestable qui rayonne sur le monde non chrétien. Tout le monde a pu voir à Sainte Thérèse de Choubra, au Caire, tout le monde a pu voir ces femmes musulmanes très humbles, qui ne savent pas lire, qui n’ont aucune connaissance des langues européennes, venir dans ce sanctuaire de Sainte Thérèse parce qu’elles s’y trouvaient bien parce qu’elles y rencontraient sans pouvoir l’exprimer une présence accueillante et amicale.

Voilà une contre-épreuve incontestable: il y a un universel qui est caché au fond du cœur et c’est le seul qui puisse rassembler tous les hommes, dans la grandeur, dans une égalité qui n’est pas un nivellement, dans une égalité de vocation, dans une égalité qui est un appel en chacun au don total de lui-même.

Le Christ est le grand Maître d’humanité parce qu’il est à genoux devant chacun…, parce qu’Il a donné pour chacun sa vie, parce qu’Il a traité chacun comme son Dieu.

Et comme ce serait plus merveilleux de rassembler les hommes non pas sur une revendication qui concerne leur bien-être, mais dans une revendication qui concerne leur dignité, leur grandeur et leur rayonnement spirituel ! Et c’est là justement que le Christ est le grand Maître d’humanité parce que il est à genoux devant chacun, parce qu’IL a pris, Il a pesé chacun dans la balance de son amour, parce qu’Il a donné pour chacun sa vie, parce qu’Il a traité chacun comme son Dieu.

C’est dans cet immense respect de l’autre perçu comme le porteur de l’Infini que nous surmontons les obstacles en commençant justement par le plus proche de nous qui est de respecter au dedans de nous – comme l’a fait Thérèse dans sa cellule – de respecter au dedans de nous cette Présence adorable qui est confié à notre amour. Si nous ne trichons pas dans notre intimité, si nous essayons d’être sincères avec nous-mêmes, si nous témoignons notre adhésion à ce Dieu qui ne peut devenir un événement de l’Histoire qu’à travers nous, nous accomplirons l’essentiel de notre tâche.

Il n’y a pas besoin d’autre chose que d’exister ! En forme de don mais ce serait tellement magnifique, qu’à peine peut-on en formuler le désir. Et pourtant c’est cela notre vocation : être chrétien, c’est être universel; être chrétien, c’est se faire un cœur sans frontières; être chrétien, c’est être à l’écoute de ce cœur du Christ qui bat dans le nôtre et qui nous envoie pour témoigner d’un amour infini qui s’adresse personnellement à chacun.

Que faire sinon de nous tourner ce soir vers lui, vers ce Christ qui nous rassemble, vers ce Christ qui est notre ami, vers ce Christ qui est notre frère et notre Dieu, vers ce Christ qui ne connaît pas de frontières ni de partialités et en lequel tous les hommes pourront trouver la réponse au désir de Le retrouver tout seul ! « Tout seul » nous ramène finalement au silence. Car que peuvent nos mots, nos mots au silence ? C’est Lui qui va nous dire, c’est Lui qui va accomplir, c’est Lui qui va nous effacer dans Sa Lumière. Nous allons le lui demander, nous effacer dans Sa Lumière, pour que nous devenions joyeusement un espace où Sa Présence se respire.

Au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit.

Notre Père…

ffn 73 011 – ffn 73 0105

publié le 18/01/2018 – les 18-24/01/2018 – janvier 2018

Déjà publié sur le site les 20-27/01/2015 ou bien 20-27/01/2014