L’Humanité universelle de Jésus-Christ, unique rassembleur de tous les hommes

« Maurice Zundel à Caluire en France, en 1959, à partir de notes sténographiques.

Résumé : L’Histoire n’a aucun sens si toutes ses phases ne sont pas reliées dans un seul dessein, un seul amour, une seule présence. Il n’y a que Jésus Christ qui puisse porter l’histoire qui n’est pas achevée et qui trouve son accomplissement dans chacune de nos vies. En Jésus, l’humanité est pure transparence de Dieu, pur sacrement de Dieu. Le chrétien est celui qui n’a rien et participe d’un christianisme où la transparence de la pauvreté, le pur amour, le pur don assurent une universalité d’accueil.

 

Les phases de notre histoire sont toutes reliées dans un seul dessein, un seul amour, une seule présence, une seule personne…

Dans un cimetière d’environ 3500 ans avant Jésus Christ, au Liban, on trouve des squelettes enfermés dans des jarres, disposés suivant la courbure du vase, comme le fœtus dans le sein maternel. Sous cet aspect, le squelette n’a pas la rigidité de nos gisants, il a une allure vivante, il semble dormir dans le sein maternel de la terre avant de s’éveiller au dernier jour.

Devant ce squelette, on se pose la question : quel rapport y a-t-il entre lui et moi ? Il a vécu dans ce pays et il est là depuis environ 5500 ans. Qu’est-ce qui comble cet intervalle ? Cet homme fait-il partie de la même histoire que moi-même ? Y a-t-il continuité entre les générations ? La suite évolutive constitue-t-elle une seule histoire ?

L’Histoire n’a aucun sens si toutes ses phases ne sont pas reliées dans un seul dessein, un seul amour, une seule présence, une seule personne. Ce n’est pas moi qui fais le lien entre les générations ! Pour que l’histoire soit vraiment une, pour qu’elle aille d’un seul élan vers un seul but, il faut que Quelqu’un la vive en plénitude, que Quelqu’un la porte ! Il n’y a que Jésus Christ qui puisse porter l’histoire. Il ne suffit pas que Dieu la porte, il faut aussi que l’homme la porte, qu’un homme la porte. Seul, l’Homme-Dieu, Jésus-Christ, peut porter l’histoire, c’est un des aspects les plus essentiels et les plus émouvants de Jésus Christ.

Les hommes sont séparés les uns les autres dans le temps par des milliers de siècles et, dans une même époque, par des frontières étanches qui les divisent et les opposent, non pas les frontières géographiques mais les fanatismes, les racismes, etc. Si les conversations internationales sont si laborieuses, c’est qu’il y manque Celui qui peut seul faire l’unité.

Jésus-Christ nous est donné comme Celui qui fait le lien

Seul Jésus-Christ nous est donné comme Celui qui fait le lien entre les générations, entre les peuples et les individus, qui fait se toucher les murs de séparation. Jésus s’est donné un nom significatif qui évoque cette vocation d’unité et d’unification : Il s’est appelé “le Fils de l’homme”. Nous sommes des hommes, mais Jésus est l’Homme. Chacun de nous constitue un individu parmi des milliards d’autres individus, tandis que le Christ est l’ “Homme”, homme est pour Lui un nom propre, et non un nom commun qui le ferait entrer dans une série où Il disparaîtrait. Il est, comme le dit magnifiquement Saint Paul, “le second Adam”.

Pour le Christ pas de frontière…, Il peut entrer dans la vie de tous et de chacun, Il est chez Lui à l’intérieur de moi-même et de tous les autres.

Il n’y a pour le Christ ni frontière de temps, ni frontière de lieu, Il peut entrer dans la vie de tous et de chacun, Il est chez Lui à l’intérieur de moi-même et de tous les autres, rien ne nous touche plus dans nos fibres les plus humaines que cette Humanité universelle de Jésus. C’est parce qu’il est l’Homme qu’il naîtra d’une naissance virginale car Il n’est pas un anneau dans la suite des générations : c’est Lui qui constitue le lien, le sens, l’unité de la chaîne qu’Il contient tout entière. Il est le Chef, la Tête de l’humanité.

Pourquoi multiplier les individus s’ils n’ont aucun lien entre eux ? Pour que la multiplication des individus ne soit pas absurde, il faut qu’ils soient rassemblés dans une seule vie et une seule Personne, Jésus a ce rôle de “rassembleur”. Il rend notre contemporain cet homme dont le squelette est enfermé dans une jarre depuis 5500 ans.

L’histoire du Verbe incarné dans l’humanité, toujours vivant devant Dieu, n’est pas achevée et trouve son accomplissement dans chacune de nos vies.

Au cœur de l’expérience mystique chrétienne

Si toute l’Histoire et tout l’univers trouvent leur unité dans le Christ, c’est qu’il y a en Lui quelque chose d’unique. Jésus est homme dans un sens unique parce qu’il est également Fils de Dieu dans un sens unique, tandis que nous, nous sommes hommes et enfants de Dieu dans un sens restreint et particulier.

Cet aspect de la filiation divine en Jésus est difficile à dégager à cause de toutes les confusions du langage chrétien qui n’est presque jamais passé à la clarté sur ce qui constitue le centre même de notre foi.

Il y a une manière maladroite de rattacher le christianisme à la Bible juive. Si on garde l’idée d’un monothéisme clos, fermé, solitaire, la présentation de l’Incarnation se fait en porte-à-faux et on ne sait comment admettre que le Créateur du Ciel et de la terre ait vécu dans la bourgade de Nazareth. Seule, la révélation de la vie intime, des échanges d’amour de la Sainte Trinité fait de Dieu une Présence qui correspond à ce qu’il y a en nous de plus pur et de plus grand.

L’Incarnation, ce n’est pas que Dieu vienne à l’humanité mais c’est que l’humanité vienne à Dieu.

Lorsqu’on se donne un Dieu infiniment lointain, on ne peut opérer la jonction entre Lui et nous ni par l’Incarnation ni en aucune manière, mais, quand on revient au Dieu Esprit et Vérité, on comprend comment Il peut nous devenir présent, on comprend comment le Verbe, qui est « la lumière véritable qui éclaire tout homme », a pu venir en ce monde. D’ailleurs l’Incarnation, ce n’est pas que Dieu vienne à l’humanité mais c’est que l’humanité vienne à Dieu. Saint Thomas le dit magnifiquement, se faisant à lui-même l’objection que l’Incarnation suppose un changement uniquement dans l’humanité mais non dans la divinité.

L’objection : « Il ne convient pas qu’en Dieu, qui de toute éternité est la Bonté essentielle, se produise aucun changement, mais l’Incarnation par laquelle Dieu se fait homme à un moment donné du temps, ne s’oppose-t-elle pas à cette immutabilité ? »

La réponse : « Dieu demeure immuable dans l’Incarnation car, en s’unissant à la créature, ou plutôt en se l’unissant à Lui-même, c’est elle qui change et non pas Lui, or il est normal qu’un être essentiellement instable se transforme. » (Partie 3, question 1, article 1)

Dans le Symbole dit de Saint Athanase l’Église dit du Christ : « Son unité ne vient pas d’un changement de Sa divinité en humanité mais de l’assomption de Son humanité en Dieu. »

Dieu ne cesse jamais d’être présent en l’homme, mais l’homme refuse d’être présent en Dieu, c’est parce qu’il ne consent pas à l’appel d’amour de son Créateur qu’il se “décrée”. L’obstacle qui nous oppose à Dieu, c’est notre “moi” propriétaire, possessif, notre moi zéro, qui veut tout ramener à son zéro. Dans le Christ, l’humanité est radicalement expropriée de son moi possessif.

Saint Thomas dit expressément que le Fils de Dieu ne s’est pas incarné en un homme qui aurait existé indépendamment de lui : « Si la personnalité propre fait défaut à la nature assumée, ce n’est pas par suite de la privation d’une perfection propre à la nature humaine, mais en raison de l’addition d’un élément nouveau qui dépasse cette nature et qui est l’union à la divine personne. » (Partie 3, question 4, article 2, ad 2)

L’humanité du Christ ainsi dépouillée est transparente de Dieu pour devenir le véhicule et le sacrement de la révélation parfaite et définitive. En Jésus, l’humanité est pure transparence de Dieu, pur sacrement de Dieu, elle témoigne toujours de Dieu et jamais de soi. Cette créature unique qui éclôt dans le sein de Marie ne peut rien ramener à soi car elle est affranchie du moi opaque qui fait de l’homme une idole (et non plus une transparence de Dieu), Elle est unie à l’intimité divine par le “moi altruiste”, le “moi pure charité” du Verbe. Le mystère de Jésus, comme le mystère de la Sainte Trinité, est un mystère de pauvreté.

C’était une forme de pauvreté pour le Christ que de vivre à la juive, de s’adapter à un temps, à un pays, d’en parler le langage, d’en accepter les rites. Notre Seigneur nous délivre non par ce qu’il dit — bien qu’il dise des choses incomparables — mais par Sa Personne, par Son Humanité diaphane qui ne limite pas Dieu. Sa religion est définitive parce que son Humanité est un mystère de pauvreté. Rien ne le ferme et Il est ouvert sur tous et sur chacun.

Être universel

Il n’y a pas d’enseignement chrétien, il y a une présence chrétienne, la présence toujours actuelle du Christ.

Il n’y a pas d’enseignement chrétien, il y a une présence chrétienne, la présence toujours actuelle du Christ, elle ne peut déterminer en nous qu’une seule chose, la pauvreté. Le chrétien n’est pas celui qui “possède” sa religion, mais celui qui n’a rien et participe d’un christianisme où la transparence de la pauvreté, le pur amour, le pur don assurent une telle universalité d’accueil que chacun peut s’y sentir chez lui.

« La différence de Dieu, c’est de n’en avoir point », dit Fénelon. Toutes les créatures sont parquées dans leurs catégories, Dieu n’est défini par aucune catégorie. Sa nature, c’est de jaillir dans la communication des Personnes, plénitude illimitée de l’être parce que plénitude illimitée du don et de l’amour. Si nous étions vraiment “catholiques”, notre différence, à nous aussi, serait de n’en avoir pas. Nous serions universels et près de nous chacun se trouverait chez soi.

C’est là que Jésus veut nous conduire, c’est là le sens de ce mystère de pauvreté qu’est l’Incarnation. Le Christ nous apporte une seule exigence, c’est de ne jamais rien limiter. Nous sommes ici au cœur de l’expérience mystique de ceux qui sont entrés au cœur le plus profond de l’Évangile.

fnn 59 0908

27/01/2019 – janvier 2019

Déjà publié sur le site le : 30-31/01/2009

mots-clefs mots-clés : Zundel, 1959, Caluire, Thomas d’Aquin, générations, homme, humanité, frontière, incarnation, transparence, présence