La vraie conversion

[
data_padding_left= »3″ data_padding_right= »3″ data_top_style= »default » data_bot_style= »default » data_color= »default » data_bg_position= »top center » data_bg_repeat= »no-repeat » data_bg_attachment= »scroll » data_bg_size= »cover0.5″ data_padding_top= »0″ data_padding_bottom= »-15[ » title= »Conférence de Maurice Zundel à Ghazir au Liban en 1959. Edité dans Silence, Parole de Vie (*)h5″ box_icon_type= »icon » box_icon= »cmsmasters-icon-info-1″ box_icon_size= »30″ box_icon_space= »30″ box_icon_border_width= »0″ box_icon_border_radius= »50% » box_border_width= »0″ animation_delay= »0

Résumé : On n’est jamais lié par son passé, le dernier mot n’est jamais dit. C’est du temps perdu que d’examiner sa conscience autrement qu’en regardant Jésus. La vraie contrition se tourne vers Dieu pour l’aimer. On ne vieillit jamais, parce que ça commence toujours.


Enregistrement de la conférence, à partir du 3ème paragraphe seulement.


Une des associations de mots les plus extraordinaires, c’est « Felix Culpa » du Samedi Saint. « Heureuse faute » alors qu’il s’agit pourtant de la faute originelle, « heureuse faute » qui nous a valu un tel et si grand Rédempteur.

Nous retrouvons d’ailleurs un écho admirable de cette association « Felix Culpa » dans la prière de l’Offertoire :  » Dieu, qui avez créé l’homme dans une admirable dignité et qui l’avez plus magnifiquement encore racheté…  » Cette association de mots extraordinaires nous révèle le caractère prospectif du Christianisme. L’Évangile n’est pas rétrospectif, il ne regarde pas en arrière, il est prospectif, il regarde en avant.

C’est pourquoi on n’est jamais lié par son passé. Tout acte, toute action demeure en sursis. Elle peut toujours recevoir une nouvelle conclusion qui en change complètement le sens. Comme le péché originel est devenu par la Rédemption, de catastrophe qu’il était, une heureuse faute. Le dernier mot n’est jamais dit, on peut toujours commencer. Et la doctrine du Purgatoire – à l’autre extrémité de l’Histoire – la doctrine du Purgatoire ouvre des chances infinies à tous ceux qui n’ont pas eu leur chance ici-bas. Le dernier mot n’est pas dit et le Purgatoire est une immense, une immense couveuse d’amour pour encore [faire] naître tous ces germes avortés qui n’ont pas pu se développer au cours de la vie terrestre.

Le dernier mot n’est jamais dit

Et ce qui vaut, ce qui caractérise le Christianisme en général, s’applique à toute vie en particulier. Nous avons vu comment la Madeleine est devenue la plus grande des contemplatives : c’est qu’elle a construit justement la cathédrale de son action de grâce sur le fondement de la miséricorde. Elle a aimé d’autant plus qu’elle avait été plus éloignée ; elle a aimé d’autant plus qu’elle avait été l’objet d’une plus grande miséricorde. Et le bon larron – à son tour – le bon larron en une seconde s’est ouvert à la vie éternelle qui lui a été promise. La femme adultère n’a jamais pu oublier le respect dont Jésus l’a enveloppée en baissant les yeux devant sa faute. Et c’est à une pécheresse encore que notre Seigneur a révélé le secret de la religion en esprit et en vérité en faisant jaillir de l’âme de la Samaritaine cette source qui jaillit en vie éternelle. Et c’est de son reniement que l’apôtre saint Pierre a tiré cette merveilleuse profession d’amour que nous rapporte l’Évangile de saint Jean :  » Seigneur, vous savez bien que je vous aime « . (Jean 21:16)

Le dernier mot n’est jamais dit et c’est pourquoi il ne faut jamais s’attarder à ses fautes, jamais ressasser ses péchés, jamais y penser, sinon pour remercier Dieu de nous avoir rendu son amitié. C’est du temps perdu que d’examiner sa conscience autrement qu’en regardant Jésus. Ce n’est pas soi qu’il faut regarder, mais lui, car c’est en le regardant, que, à la fois, on prend conscience de tous ses manques d’amour et qu’en même temps on se remet à l’aimer.

La vraie contrition

Saint François de Sales a écrit dans La Vie Dévote un admirable chapitre dont le titre est celui-ci :  » Qu’il faut avoir de la douceur envers soi-même « . Et il remarque tout le danger qu’il y a à se dépiter de s’être dépité, à se fâcher de s’être mis en colère. Ça fait une colère au carré, qui pourra devenir une colère au cube, on n’en finira jamais.

Et, dans cette attitude, comme dit Péguy à l’homme, qui le soir, passe des heures à examiner sa conscience, il lui dit :  » Mais, mon ami, il fallait y penser plus tôt, quand il était temps. Maintenant, dors, laisse le jugement à Dieu, tu gagneras encore !  » (1). Car, dans toute cette nomenclature, dans tout ce ressassement de nos péchés, dit Péguy, il y a beaucoup d’orgueil.

Car finalement, est-ce que notre acte de contrition, porte sur le regret de notre élégance morale perdue ? Est-ce que notre contrition c’est le dépit de notre amour-propre blessé ?  » Comment ! Nous nous étions mis si haut et nous sommes si bas.  » Mais ce n’est pas une vraie contrition, c’est tout simplement un dépit d’amour-propre.

La vraie contrition, elle se tourne vers Dieu pour l’aimer, pour l’aimer d’autant plus qu’on a davantage négligé de l’aimer. Aussi bien, tous les péchés reviennent-ils à un seul péché – à un seul péché – de ne pas aimer l’Amour. Nous sommes tous pareils, quoi que nous ayons fait. Si nous sommes en nous, si nous tournons autour de nous, nous sommes au principe de tous les péchés. Alors il importe peu la forme qu’ils prendront, que ce soit l’adultère, le vol, l’assassinat, ou ce qui est bien plus grave, l’orgueil et l’ambition. Le centre du mal, c’est cela : tourner autour de soi.

On ne peut qu’être en Dieu ou en soi

Et nous sommes tous pareils ! Ou bien nous sommes en nous et ça ne va pas, et il n’y a pas de solution, ou nous sommes en Dieu et il n’y a pas de problème. On ne peut être qu’en Dieu ou en soi. Si donc notre contrition est vraie, elle ne s’attardera pas un instant à ce dépit amoureux de soi-même et ne ressassera pas une culpabilité que Dieu seul connaît, car comme dit saint Paul, comme dit saint Paul :  » Je ne suis jugé par aucun tribunal humain, et je ne me juge pas moi-même : c’est Dieu qui me juge  » (1 Co. 4:4)

Alors ne perdons pas une seconde à nous confondre d’être si peu de chose, alors que nous croyons être tant, c’est du temps perdu. Dès que nous prenons conscience que ça ne va pas, tournons-nous immédiatement vers lui et mettons-nous à l’aimer. Puisque c’est lui qui est blessé, qu’est-ce que ça peut faire ce qui nous est arrivé, ça n’a aucune importance. Il ne s’agit pas de nous, il s’agit de lui.

Le père de Condren, qui est un des grands saints du 17ème siècle, écrivait avec humour à une de ses pénitentes :  » Fuyez, fuyez comme un crime la considération de vous-même. Fuyez comme un crime de vous regarder et de vous examiner et de soupeser vos fautes. Contentez-vous de vous considérer comme une pécheresse, ainsi que tant de saintes l’ont été « .

Nous perdre de vue en regardant Dieu

Il ne s’agit donc pas de faire notre procès, de nous piétiner, de nous mépriser, mais de nous survoler, de nous survoler, de nous perdre de vue en regardant Dieu. Car si nous continuons à nous regarder, nous continuerons à coller à nous-mêmes. Or le principe de toute vertu, c’est de se tourner vers Dieu et de s’attacher à lui. Pédagogiquement, cela a une immense valeur. Et nous, nous sommes tentés – devant un enfant coupable ou devant un confrère ou une consœur coupable -, de leur faire sentir leur tort, de les humilier et donc de les décourager, de les déprimer, de fausser leur conscience en leur faisant croire que le mal, c’est ce qu’ils ont fait et non pas ce qu’ils sont, en leur faisant croire que le bien, c’est quelque chose à faire et non pas Quelqu’un à aimer.

Le visage de l’amour

Si nous voulons les aider vraiment, il faut leur montrer en nous le visage de l’amour. S’ils voient en nous le visage de l’amour, ils se remettront immédiatement en route, et tout ce qui était lié en eux se déliera, parce que le bien ne leur apparaîtra plus comme un joug, comme une contrainte, comme une limite, comme une défense, comme une loi, mais comme un amour, comme un espace, comme une liberté, comme un visage qui les attend.

Gandhi avait appris, que dans son ashram, dans son ermitage-école, une faute contre les mœurs avait été commise, une femme ayant attiré un de ses jeunes gens. Il ne voulut pas savoir leur nom, il ne voulut pas les confronter avec lui-même, il se mit à jeûner, à jeûner pour eux. Ce fut le plus sévère châtiment quand ils apprirent que cet homme qu’ils vénéraient jeûnait pour eux. Ils furent saisis jusqu’à la racine de l’âme, et cette contrition qui s’inspirait de leur vénération et de leur amour pour leur maître fut infiniment plus favorable à leur conversion que tout jugement, toute sévérité et tout châtiment.

Au cours d’une retraite sacerdotale, un prêtre, en dehors de la confession, m’avoua qu’il avait eu un enfant. Et je lui dis :  » Mais quelle merveilleuse occasion d’apprendre à connaître la Paternité de Dieu !  » C’était fait, il en prenait d’ailleurs toute la responsabilité très loyalement. Est-ce que il était utile de revenir sur une histoire ancienne ?

Mais non, il fallait voir le résultat, cette création après tout magnifique : un enfant. Il fallait donc, puisqu’il avait un enfant, qu’il fût le père, et que, il éveillât dans son cœur toute la générosité qui est indispensable à l’éducation d’un enfant.

Inutile de s’attarder

On raconte cette histoire amusante : qu’un vieux curé de campagne reçut un jour la confession d’un évêque. Comme il était habitué à confesser des bonnes femmes et à entendre leurs petites histoires, il était très embarrassé. Que dire à un évêque ? Comment est-ce qu’on exhorte un évêque ? Il n’avait jamais fait ça de sa vie. Alors tout confus de la confession qu’il venait d’entendre, il dit simplement :  » Eh ! bien, Monseigneur, voilà ce que c’est, quand c’est comme ça !  »

 » Voilà ce que c’est, quand c’est comme ça « . Eh ! bien, c’est ce que nous pouvons dire toujours, devant n’importe quelle faute :  » voilà ce que c’est quand c’est comme ça.  » Inutile de nous attarder, inutile de mettre les gens au pied du mur, de les humilier, de les déprimer et de les décourager. Il faut qu’ils sachent justement qu’ils ne sont pas liés par leur passé, quel qu’il soit. Et un regard de bonté, un regard d’amour fera infiniment plus que tous les reproches, qui sont d’ailleurs toujours injustifiés, puisque nous ne sommes pas nous-mêmes infaillibles.

On ne peut jamais savoir ce qu’on sera demain. Ce qu’on peut savoir, c’est que dès qu’on quitte Dieu et qu’on tombe en soi-même, on est capable de tout.

J’ai connu un carme, un carme qui était un des membres les plus distingués de son ordre, et qui parlait des saints déserts des carmes et qui était un des spécialistes de la mystique. Et je l’ai retrouvé à Paris défroqué ! Et j’ai connu un dominicain qui me parlait d’un de ses confrères qui avait quitté l’ordre et s’était marié, en me disant : c’était de l’orgueil.  » Je l’ai bien connu, me disait-il, c’était un orgueilleux !  » Et lui-même six mois plus tard quittait l’ordre. On ne peut jamais savoir ce qu’on sera demain. Ce qu’on peut savoir, c’est que dès qu’on quitte Dieu et qu’on tombe en soi-même, on est capable de tout.

Alors inutile de rester en soi et d’obliger les autres, en les confondant et en les humiliant, à se retrancher dans leur amour-propre. Il n’y a qu’une seule chose à faire : ouvrir l’espace, laisser entrer la lumière, ouvrir les volets de son âme pour que le soleil de Dieu y entre et retrouve avec bonheur cet amour qui n’a jamais cessé d’être en nous et de nous attendre. C’est là l’humilité.

Ça commence toujours

L’humilité ne consiste pas à macérer dans ses fautes et à battre éternellement sa coulpe. On ne sait jamais d’ailleurs de quoi on est coupable, ni comment. Ce n’est pas la peine de se le demander. Laissons Dieu juger, nous y gagnerons. Ne perdons pas une seconde, parce que c’est lui qui la perdrait. C’est toujours lui qui est victime de cet amour-propre subtil d’une contrition relative à nous-mêmes. Ne le laissons pas attendre une seconde de plus et joyeusement, comme un enfant qui retrouve sa mère, jetons-nous dans son cœur.

Il y avait au 17ème siècle, un mystique qui avait introduit le Carmel d’Espagne en France, qui était un prêtre exemplaire et très soucieux de perfection et qui s’appelait Jean de Quintanadoine. Et Jean de Quintanadoine se lamentait sur ses fautes – qui étaient sans doute des peccadilles – sur ses fautes, il appelait tous ses amis à la rescousse, il leur demandait d’intercéder pour le grand criminel qu’il était, et tandis qu’il se lamentait, il entend la voix de Jésus qui lui dit :  » Jean, comme tu perds ton temps ! Commence !  » Commence… Voilà, c’est là le mot de l’Évangile : commence. Et c’est cela qui est merveilleux, avec Dieu : ça commence toujours, on ne vieillit jamais, on ne vieillit jamais… Notre jeunesse est devant nous – notre jeunesse est devant nous – et nous allons à l’autel de Dieu, même si nous avons 90 ans ! A l’autel de Dieu qui réjouit notre jeunesse. On ne vieillit jamais, parce que ça commence toujours.

Entendons la voix de Jésus qui nous dit : ne perds donc pas ton temps, commence !

Nous voulons donc laisser là tout notre passé et entretenir en nous cette vision d’avenir, parce que c’est là que nous pouvons agir en faisant de notre passé, quel qu’il soit, le fondement de la cathédrale d’amour et de joie que nous avons à construire. Alors, ne perdons pas une seconde, et entendons, entendons la voix de Jésus qui nous dit, comme à Jean de Quintanadoine :  » Mais ne perds donc pas ton temps. Commence !  »


(1) Note. Charles Péguy, Le mystère des saints innocents.  » Ces péchés qui vous font tant de peine, mon garçon, eh bien c’était bien simple, mon ami, il ne fallait pas les commettre, à l’heure où tu pouvais encore ne pas les commettre. A présent, c’est fait. Va ! Dors ! Demain tu ne recommenceras plus, et celui qui, le soir, en se couchant, fait des plans pour le lendemain, celui-là, je ne l’aime pas, dit Dieu.  »

(*) Livre « Silence Parole de vie »

Publié par Anne Sigier, Sillery, septembre 2001, 250 pages

ISBN : 2-89129-146-8

lfn 59 0909

publié le 18/02/2018

déjà publié le 11/03/2016 – les 11-15/03/2016