La Rédemption, mystère du Dieu livré aux hommes

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data_padding_left= »3″ data_padding_right= »3″ data_top_style= »default » data_bot_style= »default » data_color= »default » data_bg_position= »top center » data_bg_repeat= »no-repeat » data_bg_attachment= »scroll » data_bg_size= »cover0.5″ data_padding_top= »0″ data_padding_bottom= »10[ » title= »Conférence au Liban à Ghazir en 1959. Édité dans Je parlerai à ton cœur(*). Le début de cette conférence qui n’a pas été enregistré est perdu. Les titres sont ajoutés.h5″ box_icon_type= »icon » box_icon= »cmsmasters-icon-info-1″ box_icon_size= »30″ box_icon_space= »30″ box_icon_border_width= »0″ box_icon_border_radius= »50% » box_border_width= »0″ animation_delay= »0

Résumé : La force contraint mais l’ordre de l’esprit est celui de la générosité et de l’amour. C’est la vraie grandeur de Dieu qui propose sans s’imposer. Dieu est fragile, à son offrande d’amour nous lui opposons le mur de nos refus. Dieu ne juge ni ne condamne les hommes, mais eux le crucifient : il faut le sauver de nous-mêmes.


Enregistrement de la conférence


Un savant n’aura jamais l’idée d’écraser un élève qui ne comprend pas suffisamment une démonstration. Il s’attachera à la lui rendre plus aisée, il essaiera de l’introduire dans sa propre lumière, et si l’élève est distrait, s’il refuse d’écouter, tout ce que le maître pourra faire, ce sera d’être d’autant plus fervent dans sa recherche que son élève est plus distrait et plus indifférent.

En effet dans l’ordre, dans l’ordre de la force physique, il y a une possibilité d’écrasement, parce que c’est une force extérieure, étrangère à l’esprit ; mais dans l’ordre de l’esprit, dans l’ordre de la vérité, dans l’ordre de l’art et de l’amour, la contrainte est impossible, la vérité ne se vengera pas contre nous si nous ne l’écoutons pas, la musique ne nous attaquera pas si nous sommes distraits pendant son exécution, et l’amour n’aura d’autre ressource que de mourir, comme il le fait toujours, lorsque il se heurte à un refus d’aimer.

C’est le signe de la grandeur de l’esprit qu’il ne peut pas forcer, qu’il ne peut pas écraser…, parce que son ordre est la générosité et l’amour.

C’est dire que la puissance de la brute est en raison inverse de la puissance de l’esprit. L’esprit ne peut jamais contraindre, et la brute, au contraire, est toujours tentée de s’imposer par la violence. Et c’est le signe de la grandeur de l’esprit qu’il ne peut pas forcer, qu’il ne peut pas écraser, qu’il ne peut pas contraindre, parce que son ordre c’est l’ordre de la générosité et de l’amour.

Un Dieu fragile

Dieu ne peut jamais contraindre…, il ne peut que se proposer toujours, sans s’imposer jamais… Le mystère de la grandeur de Dieu se situe du côté de la générosité… C’est pourquoi notre Dieu, qui se révèle dans l’Évangile, est un Dieu fragile.

Et c’est pourquoi Dieu justement, parce que il est au sommet de la vérité, parce que il est la vérité même, parce qu’il est la musique silencieuse, parce qu’il est l’amour infini, Dieu ne peut jamais contraindre, il ne peut jamais forcer, il ne peut que se proposer toujours, sans s’imposer jamais. Dès que l’on a compris que l’ordre de Dieu, que la grandeur de Dieu et le mystère de sa grandeur se situent tout entiers du côté de la générosité, on comprend immédiatement, comme Jésus le montre au lavement des pieds, qu’il n’a d’autre ressource que d’aller jusqu’au bout de son amour, c’est-à-dire jusqu’à la mort de la croix. C’est tout ce qu’il peut faire et c’est pourquoi notre Dieu, le Dieu qui se révèle dans l’Évangile, est un Dieu fragile. C’est une des découvertes les plus bouleversantes que l’on puisse faire, que font d’ailleurs tous les savants qui se trouvent en face de vérité, tous les artistes qui se trouvent en face de la beauté, tous ceux qui aiment en face de l’amour : cette découverte de la fragilité du bien suprême.

Le mur de refus à l’offrande d’amour

Et l’Apôtre saint Jean, dans ce Prologue de son Évangile, nous donne justement la plus belle symphonie de cette fragilité divine lorsqu’il nous dit que  » la lumière luit dans les ténèbres  » – la lumière, c’est Dieu –  » la lumière luit dans les ténèbres  » – les ténèbres, c’est nous – et cette lumière ne cesse de luire ; mais les ténèbres ne la saisissent pas, les ténèbres opposent le mur de leur refus à cette offrande d’amour.

Et quand je parle aux enfants, je leur dit :  » Voyez, c’est comme une maison, une maison fermée, une maison dont les volets sont fermés. Le soleil luit. Si la maison est dans la nuit, ce n’est pas la faute du soleil : le soleil offre sa lumière. La maison résiste en opposant ses volets fermés. Si elle est dans la nuit, ce n’est pas la faute du soleil ! C’est ainsi que Dieu ne cesse de luire en nous, et si nous ne sommes pas dans la lumière, c’est parce que nous opposons à l’offrande de son amour, le refus du nôtre.  »

Et saint Jean continue :  » La lumière est dans le monde et le monde a été créé par elle et le monde ne la connaît pas. Elle vient chez les siens et les siens ne l’ont point connue et les siens ne la reçoivent pas !  »

Il y a une sorte de tragédie… Dieu vient toujours à nous…, nous pouvons lui opposer le mur de notre indifférence, et il ne peut rien faire d’autre que de continuer à nous aimer.

Il y a donc une sorte de tragédie infinie qui est le secret le plus tragique de l’histoire, c’est que justement Dieu est toujours là, Dieu vient toujours à nous, Dieu luit toujours dans nos ténèbres, et il peut être vaincu, il peut être défait, il peut être exilé, il peut être méconnu, il peut être ignoré, nous pouvons lui opposer toujours le mur de notre indifférence, et il ne peut rien faire d’autre que de continuer à nous aimer.

Un amour comme celui d’une mère

Une mère ne pourra jamais cesser d’aimer son enfant. Si sa mère cesser de l’aimer, me disait une femme dont on emmenait le fils en prison :  » Si sa mère cessait de l’aimer, qui donc l’aimerait encore ?  »

Elle voulait dire : il est impossible que sa mère cesse de l’aimer car si sa mère cessait de l’aimer, il n’aurait plus aucun lien avec l’existence. Ce qui le retient dans la vie, ce qui est pour lui encore une promesse de salut, ce qui le rattache à un ordre de valeurs quelconque, c’est justement l’amour, l’amour de sa mère.

Dieu nous tiendra toujours dans l’existence par son amour, quoi que nous fassions. Même si, éternellement, nous refusons de l’aimer, éternellement, il s’acharnera à nous aimer.

Mais c’est justement parce qu’il est ce qu’il est, parce qu’il est l’amour, parce qu’il ne peut qu’aimer, qu’il est un Dieu fragile et c’est pourquoi la manifestation suprême de Dieu dans l’histoire humaine, c’est la croix de notre Seigneur, la croix où l’amour affirme jusqu’au bout sa générosité et se laisse juger par nous, comme il le fera éternellement.

Dieu est jugé par l’homme

C’est ça le jugement : ce n’est pas Dieu qui juge les hommes et qui les condamne, ce sont les hommes qui jugent Dieu et qui le crucifient.

Vous vous rappelez que, aux portails des grandes cathédrales, le jugement dernier est représenté par ce geste du Christ qui montre ses plaies. C’est ça le jugement dernier : le jugement dernier, c’est Dieu qui est jugé par l’homme, comme il l’est dès le commencement.

Il est jugé dans le paradis terrestre par le refus d’aimer que lui oppose le premier couple. Il est jugé au centre de l’histoire par le jugement que lui impose son peuple en le crucifiant. Il sera jugé à la fin des temps par le refus – s’il y en a qui sont capables d’aller jusque-là – par le refus de ceux qui s’obstineront à lui refuser leur amour.

Mais toujours il étendra ses bras, toujours il montrera ses plaies, ses plaies comme le sceau et comme le témoignage de son amour. C’est pourquoi saint Jean, qui nous montre dans le premier chapitre, ce drame de la lumière aux prises avec les ténèbres, nous dit dans le troisième chapitre :  » Le jugement, c’est que la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière.  »

C’est ça le jugement. Ce n’est pas Dieu qui juge les hommes et qui les condamne, ce sont les hommes qui jugent Dieu et qui le crucifient. C’est ce secret essentiel que Jésus nous a révélé. C’est ce secret que refuse l’apôtre saint Pierre au lavement des pieds, c’est ce secret qu’il refuse lorsqu’il veut détourner Jésus de la croix, c’est ce secret que le tentateur cherche à ensevelir sous ses faux prestiges en détournant Jésus de ce messianisme douloureux auquel il est promis.

Notre Seigneur a renversé toutes les perspectives

Ce sera justement toute l’équivoque de l’histoire évangélique : que notre Seigneur vient révéler un Dieu défait, un Dieu vaincu, un Dieu qui meurt, tandis que les hommes attendent le salut de la toute-puissance d’un Dieu qui déploie ses miracles et qui fait tomber, avec des mots magiques, tous les obstacles qui se dressent sur leur route.

Et c’est justement pourquoi notre Seigneur – qui nous a introduits dans l’intimité de Dieu, qui nous a fait connaître l’éternelle pauvreté de l’éternel amour – c’est pourquoi notre Seigneur a renversé toutes les perspectives. Jusqu’à lui, c’étaient les hommes qui se tournaient vers Dieu pour boucher les trous de toutes leurs impuissances et de toutes leurs ignorances. Ce qu’ils ne savaient pas faire, ils demandaient à Dieu de l’accomplir, ce qu’ils ne pouvaient connaître, ils demandaient à Dieu de l’expliquer à leur place. Depuis Jésus, la situation est renversée, parce que justement [c’est] Dieu qui se remet entre les mains de l’homme.

Cela ne peut pas nous étonner si nous pensons que la vérité, en effet, nous est confiée et que si souvent les hommes sont distraits devant la vérité, si souvent ils se détournent d’elle, si souvent font comme si elle n’existait pas.

Que font ces milliards d’hommes doués d’intelligence ? Quel souci ont-ils de la vérité ? Ils se nourrissent de slogans passionnels, ils se remplissent du bruit de leur radio, de leurs journaux ! Ils sont si peu sensibles à l’appel de la vérité qui ne s’impose jamais en se proposant toujours, et il suffit d’être distrait pour passer à côté d’elle.

Car que font ces millions d’hommes, ces milliards d’hommes doués d’intelligence ? Quel souci ont-ils de la vérité ? Ils se nourrissent de slogans passionnels, ils se remplissent du bruit de leur radio, de leurs journaux, de leurs journaux ! Ils sont si peu sensibles à l’appel de la vérité ; et, comme Pilate, ils haussent les épaules :  » Qu’est-ce que la vérité ?  »

En effet, la vérité ne s’impose jamais en se proposant toujours, et il suffit d’être distrait pour passer à côté d’elle.

Jésus donc, dans le drame même de sa vie, à travers un visage humain, dans une histoire d’homme, Jésus nous apprend en effet que la vérité peut être vaincue, que l’amour peut être crucifié et que le vrai Dieu qui est précisément cet amour crucifié, est tout entier remis entre nos mains. Chacun de nous peut le tuer, chacun de nous peut le reconduire au jardin de l’agonie. Mais chacun de nous, heureusement aussi – comme saint François l’a compris d’une manière unique – chacun de nous peut le détacher de la croix et faire de lui, en lui-même, un Dieu vivant et ressuscité.

Délivrés du souci de nous-mêmes

Cela a d’immenses conséquences parce que cela nous détourne de nous occuper de nous-même, cela nous détourne de penser à notre propre salut, car notre salut, finalement, c’est précisément d’être délivrés de la pensée et du souci de nous-mêmes. Et Jésus nous offre ce salut d’une manière incomparable, puisqu’il remet sa vie entre nos mains.

Devant la Croix, devant le lavement des pieds, devant la défaite de Dieu, dans le jardin de l’agonie, quand Jésus lui-même réclame l’amitié de ses amis et qu’il les trouve endormis, comment pourrions-nous penser que Dieu pourrait être une menace pour nous ? Si Dieu est ce Dieu-là – et il n’y en a pas d’autre – si Dieu est ce Dieu-là que pourrions-nous craindre de sa part ? Il ne pourra jamais qu’être pour nous ce père de la parabole de l’enfant prodigue qui attend au sommet de la route le retour de son enfant, dont il ne cesse de pleurer l’absence, et qui lui ouvrira les bras et qui pleurera sur son épaule dès que il l’aura aperçu.

Que peut faire une mère quand son enfant indigne revient à elle, que de l’aimer, comme elle n’a jamais cessé de le faire ? Dieu ne pourra jamais être une menace… À chaque instant nous pouvons éteindre Dieu.

Que peut faire une mère quand son enfant indigne revient à elle, que de l’aimer, comme elle n’a jamais cessé de le faire ? Dieu ne pourra jamais être une menace pour nous, mais bien nous pour lui puisqu’à chaque instant nous pouvons, comme dit saint Paul aux Thessaloniciens,  » nous pouvons éteindre l’Esprit « . A chaque instant nous pouvons éteindre Dieu, à chaque instant nous pouvons voiler ce soleil qui est, au-dedans de nous, le trésor caché du Royaume des cieux. Il suffit que notre visage soit fermé pour en cacher la vue aux autres, pour les empêcher de s’approcher de cette lumière et de faire la découverte de cet amour.

Tous ceux qui se sont inquiétés de leur prédestination, qui se sont demandés comment Dieu pouvait connaître notre fin dernière sans que notre liberté en soit atteinte, ont posé un faux problème, parce que dans l’Évangile et dans la lumière de la croix, il ne s’agit plus de nous, il ne s’agit plus de nous mais de lui ! Qu’est-ce que nous allons en faire ? Quelle place allons-nous lui donner ? Quelle transparence allons-nous offrir à sa lumière ? Quel silence présenterons-nous à sa musique ?

Claudel, un des plus grands convertis de notre temps, Claudel ce poète immense, Claudel s’est converti en un instant, a été foudroyé précisément par cette fragilité de Dieu lorsque, le jour de Noël 1886, il entre à Notre-Dame [de Paris], cherchant des émotions poétiques, lui qui s’ennuyait à mourir et qui ne croyait à rien ; et c’est en entendant chanter les antiennes de Noël aux secondes vêpres de la fête, qu’il découvre soudain l’enfance éternelle et l’innocence déchirante de Dieu. C’est sous cet aspect justement que Dieu, qui avait été, pour lui jusqu’ici, une idée qui lui avait paru absurde. C’est par là que Dieu, tout d’un coup, envahit son âme, envahit tout son être, au point qu’il ne peut plus s’en débarrasser à jamais et qu’en sortant de Notre-Dame, il est croyant dans toutes les fibres de son être, parce que justement il a rencontré Dieu comme une enfance éternelle et une innocence déchirante.

La loi était menace, à l’inverse Dieu fragile est victime

Tant que nous nous plaçons devant Dieu comme devant une loi, devant un commandement, devant une force et une puissance qui va nous écraser, devant une menace, devant un jugement à redouter, nous ne pouvons pas décoller de nous-même, puisque cette menace nous concerne, que nous sommes bien obligés de nous demander quel sera notre destin, ce qui nous arrivera ici-bas ou après la mort.

Mais quand nous rencontrons la fragilité de Dieu, nous ne pouvons plus penser qu’à une seule chose : c’est à la défendre, à la protéger, à veiller sur elle, à empêcher qu’elle ne soit en nous victime de notre égoïsme et de celui des autres.

Graham Greene l’a illustré magnifiquement dans ce roman qui s’appelle La Puissance et la Gloire où il nous montre deux prêtres, deux prêtres mexicains confrontés avec la persécution qui éclata au Mexique quelques années après la révolution soviétique et où la police mexicaine, avec la plus perfide intelligence, s’attacha à détacher les fidèles de leur clergé en proposant aux prêtres de se marier, de choisir entre le mariage, l’exil, la prison ou la mort.

S’ils se mariaient, on les pensionnait grassement, parce qu’on savait que, mariés, ayant trahi leur vœu, ils perdraient la confiance de leurs fidèles et que ce serait la meilleure manière de vider les églises.

Beaucoup de prêtres s’exilèrent, beaucoup d’évêques prirent leur chemin de l’étranger, les prêtres devinrent de plus en plus rares. Et justement dans le roman de Graham Greene, un des deux prêtres dont il fait le portrait se marie et trahit ses vœux, tandis que l’autre, l’autre qui n’était pas meilleur, qui n’avait pas plus de vocation que le premier, qui s’était fait prêtre uniquement pour les avantages de la situation, qui avait joui abondamment de l’aisance et de tous les plaisirs, tout d’un coup découvre – précisément en face de la persécution – il découvre qu’il est prêtre. Il comprend que, tandis que le navire est en perdition, le capitaine a le devoir de rester jusqu’au bout, et pour la première fois de sa vie, il se sent responsable de ce troupeau sans pasteur.

Alors, il reste. Il décide de rester, quel que soit l’état de sa conscience, puisqu’il se sent en état de péché mortel. Mais justement, il ne pense plus à lui-même. Il ne pense plus à son salut. Il n’est préoccupé que du salut de ce troupeau qui, sur des millions de kilomètres, est privé de toute aide sacramentelle. Alors il va rester, et pour rester, il faut se déguiser, il faut passer d’un village à l’autre, il faut renoncer à dormir, puisque ce n’est que pendant la nuit qu’il peut exercer son ministère. Il faut très souvent renoncer à manger. Il faut, naturellement, renoncer à toute espèce de satisfaction sensuelle. Et il entre, sans y penser, dans une vie de sacrifices, dans un ascétisme rigoureux. Mais justement il n’y pense pas, parce que il n’est préoccupé que d’une seule chose : ces centaines de milliers d’âmes qui attendent le secours de Dieu à travers la médiation du prêtre. Et plus il demeure, plus il se dépouille, plus il se purifie, plus il court de dangers, plus il est près de la mort et moins il y pense.

Et lorsque sa tête est mise à prix, il n’en a aucun souci, parce que mourir, pour lui, n’est rien, précisément parce que il est entièrement décollé de lui-même.

Enfin, il faudra bien quitter le pays, non pas parce que il craint quoi que ce soit pour lui-même, mais parce que, quand on sait qu’un prêtre est resté dans le pays, on sait qu’il exerce son ministère, qu’on ne peut pas le saisir malgré la récompense promise, on prend des otages, on arrête des jeunes gens qu’on soupçonne d’avoir recouru à son ministère.

Alors, devant la souffrance des autres, devant le danger qu’ils courent, il pense que le signe de Dieu, il faut qu’il les abandonne à sa providence. Il s’en ira aux États-Unis, il y trouvera la sécurité, il pourra se confesser, mais il aura rendu aux autres la seule paix qu’il est capable encore de leur donner.

Et justement il va passer la frontière quand un espion qu’il a constamment vu sur sa route, qui n’a jamais pu le prendre sur le fait, l’arrête en lui disant :  » Mon Père, il y a un mourant qui vous appelle.  » Il sent que c’est un piège, mais quoi, si un mourant l’appelle, il est prêtre pour répondre à cette détresse et il se trahit immédiatement en acceptant de suivre l’espion qui le conduit dans une redoute, dans un nid d’aigle où il trouve un mourant qui, d’ailleurs, ne l’a pas appelé, qui refuse absolument son ministère, bien qu’il le supplie de n’être pas venu en vain puisqu’il expose sa vie pour lui donner la grâce de Dieu.

Aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre nous-même… non pas se sauver soi-même, mais le sauver, lui, de nous.

Il refuse, et tandis que le prêtre l’adjure, la police ouvre la porte, le saisit, et il sait que, le lendemain, il sera fusillé. Mais à travers tout ce martyre où il s’est purifié entièrement, parce que il s’est entièrement quitté lui-même, il a fait la découverte essentielle : il a compris que aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre nous-même.

Sauver Dieu de nous-mêmes

Et que cette parole ne soit pas excessive :  » Aimer Dieu, c’est vouloir le protéger contre nous-même « . Notre Seigneur nous en donne la suprême garantie, puisqu’il a dit ce mot, ce mot incroyable, ce mot que nous lisons sans y faire attention, ce mot qui est peut-être le cœur du cœur de l’Évangile, celui qui dit tout parce que justement c’est celui qui remet de la manière la plus saisissante la vie de Dieu entre nos mains :  » Celui qui fait la volonté de mon Père est mon frère, et ma sœur, et ma mère.  » Comment résister à ce mot s’il faut le prendre à la lettre ? Et comment douter qu’il faille le prendre à la lettre ? Est-ce donc bien vrai ?

C’est cela que notre Seigneur nous donne, c’est cela qu’il nous révèle, c’est cela vraiment tout le Nouveau Testament : non pas se sauver soi-même, comme si Dieu était une menace pour nous. Mais non ! Mais le sauver, lui, le sauver lui de nous. Le sauver de nos limites, le sauver de nos ténèbres, le sauver de nos refus, le sauver de notre absence, le sauver de notre égoïsme et prendre soin de lui comme Marie quand elle l’arrachait à la poursuite d’Hérode, prendre soin de lui comme sa Mère, puisque c’est cela qu’il nous demande de devenir :  » Celui qui fait la volonté de mon Père qui est dans le Ciel, est mon frère, et ma sœur, et ma mère…  »

(*) « Je parlerai à ton coeur »

Retraite à des franciscaines au Liban en 1959

Publié par Anne Sigier, Sillery, septembre 2001, 327 pages

ISBN : 2-89129-147-6