Incarnation et Rédemption

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data_padding_left= »3″ data_padding_right= »3″ data_top_style= »default » data_bot_style= »default » data_color= »default » data_bg_position= »top center » data_bg_repeat= »no-repeat » data_bg_attachment= »scroll » data_bg_size= »cover0.5″ data_padding_top= »0″ data_padding_bottom= »10[ » title= »Conférence de Maurice Zundel à l’abbaye de Bellefontaine (région de Nantes) le 20 janvier 1972. Les titres sont ajoutés..h5″ box_icon_type= »icon » box_icon= »cmsmasters-icon-info-1″ box_icon_size= »30″ box_icon_space= »30″ box_icon_border_width= »0″ box_icon_border_radius= »50% » box_border_width= »0″ animation_delay= »0Résumé : La grâce d’union accordée à Jésus était d’assumer toute l’humanité et tout l’univers dans l’état de péché. Dans sa personnalité divine, Jésus avait conscience infiniment de sa divinité. Dans sa science humaine il avait une connaissance béatifique et une connaissance prophétique. Il y avait enfin dans l’âme de notre Seigneur une connaissance expérimentale. Jésus, l’innocence infinie fait péché est mort d’un déchirement intérieur, de la dissociation de ces plans de conscience.


Enregistrement de la conférence


Toute grâce est une mission qui comporte le rayonnement de cette grâce sur toute l’humanité et sur tout l’univers, grâce d’union accordée à l’humanité de notre Seigneur, qui est une grâce infinie, comporte donc une mission infinie qui se consommera dans le mystère de la Rédemption. Jésus est libérateur. Il est le révélateur, il est le libérateur et il est le réparateur, car assumer toute l’humanité et tout l’univers, c’était, pour lui, l’assumer dans l’état où il se trouvait, dans l’état de déchéance et de décréation qui est l’œuvre du péché. Car le péché décrée, tandis que l’amour crée.

Ce que cela peut représenter est évidemment totalement inexprimable, et tous les mots craquent lorsque on essaie d’imaginer ce que pouvait signifier pour une seule humanité qui est celle de Jésus, de faire contrepoids – par le don de lui-même, par ses souffrances – de faire contrepoids à tous les refus d’amour qui se sont jamais produits dans notre univers depuis le commencement et jusqu’à la fin.

D’ailleurs, ce qui nous émeut le plus profondément, c’est que cette passion de Jésus-Christ, elle inscrit dans l’histoire l’immensité inexprimable de l’amour de Dieu. En fait, en lui, c’est Dieu qui meurt, en lui, c’est Dieu qui affirme l’éternité de son amour, en dépit de toutes les fautes. Il ne cessera jamais d’aimer et il ne peut opposer au refus d’amour que la persévérance et l’abondance de son amour jusqu’à la mort de la croix.

Le père Mac Nabb et la conscience divine de Notre Seigneur

Cette mort unique, cette mort intérieure, cette mort du dedans, cette mort d’identification avec nous, nous allons essayer de l’aborder à travers une méditation du père Mac Nabb.

Le père Mac Nabb était un dominicain irlandais, qui était connu à Londres comme un homme de Dieu, et qui suivait de très près tout ce qui se passait dans l’Anglicanisme. Il suivait tout cela avec une charité extrême de l’esprit et du cœur. Et il eut l’occasion, en effet, d’entrer en lice à propos d’une question que s’étaient posée les anglicans modernistes, « the modern churchmen », et ils s’étaient posé, ces « moderns churchmen » la question de savoir si Jésus-Christ avait conscience de sa divinité. « Did Jesus-Christ have the consciousness of his Divinity ? » Et, après une longue enquête, ils avaient conclu au nom de leur exégèse, qu’il n’était pas sûr que notre Seigneur eût conscience de sa divinité.

Le Père Mac Nabb reprit le problème avec un immense respect et il dit : mais nos amis anglicans, en réalité, en se posant ce problème, ont posé quatre questions car, en effet, on peut distinguer en notre Seigneur une science et une connaissance divine et une connaissance humaine.

S’il s’agit de la connaissance divine, à savoir la connaissance que la personne du Verbe en Jésus avait d’elle-même, il n’y a aucun doute que, au regard de la personnalité du Christ, de la personnalité divine de Jésus, Jésus avait conscience infiniment de sa divinité. Si nous considérons maintenant la science humaine de Jésus, nous devons distinguer dans cette science humaine, celle qui enrichit son esprit et son coeur, nous devons distinguer une connaissance béatifique.

Notre Seigneur, en effet, selon la Tradition constante, était à la fois « viator et omprehensor », il était sur le chemin, il était engagé dans l’histoire, et en même temps il était au terme, car il contemplait face à face le visage du Père. Dans cette vision béatifique, où tout est connu pour l’âme de notre Seigneur de ce qui peut l’être concernant tout ce qui est, nul doute que notre Seigneur, à cet égard, eut connaissance de ce mystère ineffable qui est le mystère de sa propre Incarnation et qu’il eut conscience de sa divinité.

La connaissance prophétique

Mais, à côté, à côté de la vision béatifique, il y a en Jésus, une connaissance prophétique car Jésus, comme docteur de l’humanité, avait en particulier à faire connaître à l’humanité que Dieu a tellement aimé le monde, qu’il lui a donné son Fils unique afin que quiconque croit en lui ait la vie éternelle.

La vision béatifique, en effet, ne peut pas se monnayer dans un langage humain. Dans l’unicité de son expression, elle n’est pas proportionnée au déroulement dans le temps, donc à la dispersion du langage. La connaissance prophétique rendait notre Seigneur capable de monnayer, dans le langage humain, le mystère de l’Incarnation, l’immensité du don fait par Dieu, à travers sa personne, dans des termes accessibles à l’humanité.

La connaissance expérimentale

Il y avait enfin dans l’âme de notre Seigneur une connaissance expérimentale et cette connaissance était une connaissance naturelle. Elle était acquise, comme est la nôtre, avec évidemment des instruments infiniment plus subtils, plus profonds et plus délicats, elle était acquise, cette connaissance expérimentale, par le spectacle du monde, par les rencontres avec les hommes, par les émotions que suscitait la splendeur des choses ou la beauté des visages ou, au contraire, par la compassion que lui inspirait leur laideur et leur culpabilité.

Or, cette connaissance expérimentale de source naturelle n’était pas de soi proportionnée aux mystères surnaturels. Sans doute, ces mystères surnaturels devaient normalement rejaillir sur elle, imprégner toute sa sensibilité, mais il se pourrait, qu’à certaines heures, cette science naturelle ne fut pas adéquate, ne fut pas au niveau des événements surnaturels, qu’il y ait eu une sorte de coupure, en quelque manière, entre ces différentes zones de conscience en notre Seigneur, comme cela se passe chez nous.

Le pas de l’abstrait vers la réalité

En effet, nous savons nous-même, de science certaine, que nous mourrons, mais nous le savons d’une manière intemporelle, d’une manière abstraite. Le jour de notre mort, à l’heure de notre mort, si nous avons le privilège d’en être conscient, ce sera toute autre chose, car l’événement nous atteindra par sa pointe et ce sera maintenant un événement qu’il nous faudra vivre dans toute sa réalité.

De même, nous avons la connaissance absolument certaine de la mortalité des êtres qui nous sont chers mais, quand nous arrive la nouvelle de leur décès, c’est un tout autre événement. Ce n’est plus dans l’abstrait que nous les savons mortels, c’est dans la douleur qu’éveille en nous leur départ.

De même encore si vous le voulez, un scrupuleux peut – dans l’abstrait si on l’amène à se prononcer par un serment –, un scrupuleux peut être certain de son innocence, mais dans sa sensibilité, il a le sentiment d’une culpabilité qui le déchire.

Les plans de conscience

Il y a donc différents plans de conscience qui peuvent, d’une certaine manière, se dissocier, se séparer, et une lumière qui, dans l’absolu et dans l’intemporel, est indéfectible, peut s’accompagner – au niveau de cette connaissance expérimentale qui s’accomplit dans le temps – cette connaissance intemporelle peut s’accompagner d’ombres et de ténèbres qui en constituent comme la mise en question ou la négation.

Il se pourrait donc que notre Seigneur, à certains moments, ait vécu cette sorte de dissociation et que, en dépit de toutes les certitudes, y compris la certitude béatifique, son âme sur le plan de la connaissance expérimentale, ait été plongée dans les ténèbres et dans la nuit la plus désolée.

C’est sans doute ce rappel, d’ailleurs tout à fait traditionnel, qui permettait au Père Mac Nabb de conclure avec une charité éminente : eh bien, si l’on se place au point de vue de la science expérimentale, on peut rejoindre la conclusion de nos amis anglicans et on peut dire que, à certains moments, tout au moins, il n’est pas sûr que notre Seigneur ait eu conscience de sa divinité, en sous-entendant, bien entendu, que, sur tous les autres plans, il en avait la certitude ou l’évidence, comme nous sous-entendons, conclut-il, quand nous disons que Marie est la mère de Dieu, nous sous-entendons « selon la nature humaine ». Nous n’avons pas besoin de le dire : cela va de soi.

Il rejoignait ainsi – après ces distinctions si profondes et si éclairantes – il rejoignait ainsi la position anglicane en la dépassant infiniment et en l’éclairant fraternellement.

Celui qui ne connaissait pas le péché, Dieu l’a fait péché pour nous afin que nous devenions en lui justice de Dieu.

Il semble que nous puissions nous laisser guider par cet admirable exposé en reprenant le mot de saint Paul, le seul qui rassemble en une ligne tout ce que l’on peut dire – sans profaner le langage et sans profaner le mystère – tout ce que l’on peut dire de la passion de Jésus : « Celui qui ne connaissait pas le péché, Il l’a fait, Dieu, il l’a fait péché pour nous afin que nous devenions en lui justice de Dieu. » (2 Cor 5:21) Je crois que, il n’y a pas de parole qui puisse nous saisir plus profondément et avec une discrétion plus miraculeuse que celle-là : « Celui qui était sans péché, Dieu l’a fait péché, afin que nous devenions justice de Dieu en Lui. »

En effet, si nous méditons sur les Évangiles synoptiques, sur l’agonie de notre Seigneur, elle représente quelque chose de tellement indicible (Mat.29:3) soit dans la prière de l’agonie : « Père, si c’est possible que ce calice s’éloigne de moi », soit dans le dernier mot que lui attribuent Matthieu (Mat. 27:46) et Marc : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », il y a dans cette détresse de notre Seigneur qui appelle ses amis au secours, qui leur demande d’être avec lui, de veiller, dans ces ténèbres indicibles, il y a quelque chose que les mots sont totalement incapables d’expliciter.

Mort de déchirement intérieur

Seul, le mot de saint Paul nous amène au centre de cette nuit : Jésus a été fait péché. Il a donc pu éprouver dans cette zone de sa connaissance expérimentale, il a dû éprouver une sorte de culpabilité infinie, il a dû se sentir identifié avec le mal commis par tous les hommes – et donc par nous aussi. Il a dû se sentir coupable de toutes ces fautes comme si il en était le responsable à travers toute l’histoire et tout l’univers, alors que au sommet de sa conscience, il avait la certitude et la vision intemporelle de son innocence et c’est sans doute cette coexistence d’une innocence absolue avec une culpabilité infinie assumée par amour qui a déterminé la mort de notre Seigneur.

Il est mort de notre mort. Il n’est pas mort de ses blessures physiques d’abord. Il est mort de ce déchirement intérieur, de cette coexistence en lui entre une innocence infinie et la culpabilité totale. Tout cela était insoutenable et a provoqué ce déchirement qui donne à sa mort un caractère unique car Jésus, le prince de vie, comme dira admirablement saint Pierre, Jésus le prince de vie ne devait pas mourir de sa mort : il n’y avait rien en lui qui pût être un germe de mort. Il était totalement présent à la source de vie. Si il est mort, c’est de notre mort qu’il est mort : il est mort d’une mort d’identification avec nous. Il est mort d’une mort intérieure.

Renaît l’humanité enracinée dans le verbe de Dieu

Il est mort d’une mort d’amour et c’est pourquoi sa Résurrection ne sera pas la réanimation d’un cadavre comme celle du Lazare ou du fils de la femme de Naïm ou de la fille du maître de la synagogue. Sa Résurrection sera la reprise d’une exigence fondamentale de son être qui est d’être le grand vivant, l’humanité enracinée dans le Verbe de Dieu et qui est, du même coup, identifiée avec la source de vie.

Il y a donc, dans le mot de saint Paul, il y a ce qui peut nous introduire le plus profondément dans les mystères de la passion de Jésus en nous donnant la possibilité d’entrevoir ce que signifie la mort de Dieu. Car, sur le plan de l’histoire, dans le langage du temps, c’est ainsi que l’éternelle charité de Dieu se manifeste parce que le dépouillement infini de la Trinité sainte se révèle : Dieu est pur don, il a tout donné et il ne peut répondre au refus d’amour que par un don identique toujours infini qui, dans l’humanité de notre Seigneur, prendra ce visage de ténèbres, de solitude et de désespérance.

Il est totalement impossible de dire plus profondément que saint Paul tout ce que le Christ nous apporte dans sa mort, tout ce que la croix nous donne qui est notre unique espérance, puisque précisément elle nous révèle à quel point la vie de Dieu nous est confiée ; à quel point elle est remise entre nos mains, à quel point nous avons à l’entourer une sollicitude constante ; à quel point nous sommes appelés à décrucifier Dieu pour que il soit en nous un Dieu ressuscité.

Mais, nous allons simplement écouter maintenant, avec le secours de la Mère des Douleurs, nous allons écouter ces paroles de saint Paul, cet Évangile de la passion et nous allons essayer d’entrer dans le mystère de cette mort qui est la source de notre vie.

Nous allons essayer d’être présents à cette agonie qui dure jusqu’à la fin du monde selon Pascal et nous allons nous cacher dans ces plaies du Sauveur qui sont la source de notre Rédemption en demandant justement à la très Sainte Vierge qui se tenait debout au pied de la Croix d’imprimer en nous ces plaies du Seigneur. « Sancta Mater, istud agas, crucifíxi fige plagas cordi meo válide. » – « Sainte Mère, accomplissez ceci : imprimez fermement dans mon cœur les plaies du crucifié. » Amen.


Note webmaster. Dans Notre Dame de la Sagesse Zundel évoque l’étude de Mc Nabb sur la nature de la souffrance et de l’obscurité où était plongé Jésus. « Je n’ai jamais rien lu qui apporte autant de lumière à l’étude d’un épisode qu’on évoque qu’en tremblant » écrivait-il.

Note du père Paul Debains sur « les développements complexes » du Père Mac Nabb : Je n’arrive pas à m’intéresser tout à fait aux développements du Père Mac Nabb. Je suis toujours tenté de penser que tout ce qu’il y a d’« extraordinaire » dans l’humanité du Christ, y compris la vision béatifique nécessairement « proportionnée » à cette humanité, (pouvant toutefois être pensée comme déjà apte à la vision béatifique et donc à l’égalité avec Dieu dès sa conception en Marie, par un effet d’anticipation de ses mérites lors du passage au Père, – semblablement à ce qui se passe en l’Immaculée Conception – et qui pourtant ne le sera qu’à cause de ce passage au Père et quand il aura été effectué), je pense que tout ce qu’il y a d’ « extraordinaire » en Jésus-Christ, entre autres ses miracles, durant son passage parmi nous est dû à la perfection absolue de son humanité et non pas à sa divinité, qui d’ailleurs est anéantie en Lui au moment de l’incarnation rédemptrice.

Et alors Jésus dans son humanité pourrait n’avoir aucune conscience de sa divinité avant ce passage (*) sinon comme nous (mais lui, d’une façon parfaite), dans et par la foi. Je crois que cette opinion a l’avantage de ne « magiciser » aucunement cette humanité. Jésus d’ailleurs ne fait pas son apanage du fait de faire des miracles puisque les siens en feront, nous a-t-il dit, même de plus grands, et quand il dit cela il ne précise pas que c’est lui qui fera ces miracles par eux.

(*). Et pourtant il en a conscience s’il est apte dès sa conception en Marie à cette vision béatifique, par anticipation des mérites du passage. Car il faut lier la conscience d’être Dieu à cette vision béatifique.

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01/04/2018 avril 2018