1971 – Pour Dieu, l’homme égale Dieu

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Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

Jésus permet de réaliser l’égalité de l’homme avec Dieu

L’avènement de Jésus-Christ, sa naissance et son histoire

Nous ne pouvons pas écrire une date aujourd’hui, sans nous référer à la naissance de Jésus-Christ. Nous y sommes tellement habitués que nous n’y prêtons aucune attention. Et pourtant quelle chose colossale que d’ordonner toute l’histoire du monde, toute l’histoire de l’humanité à la naissance de Jésus-Christ, en affirmant par-là même que l’événement central de l’histoire et sa plus haute signification, c’est précisément la naissance de Jésus-Christ.

Qu’est-ce qui, en première approximation, nous permet de considérer l’avènement de Jésus-Christ, sa naissance et son histoire comme l’essentiel de toute l’évolution du monde et de l’humanité ? Je crois que nous pouvons, en première approximation, poser cette équation : ce que le Christ apporte, ce qu’il nous permet de réaliser, c’est l’égalité de l’homme et de Dieu.

Au fond, la vie de Jésus-Christ, la mort de Jésus-Christ, c’est cette équation : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu puisque Dieu donne sa vie pour l’homme. Puisqu’il ne peut le récupérer qu’à ce prix, c’est que, aux yeux de Dieu, l’homme vaut Dieu.

Entre la relation de dépendance et la relation d’amour

Cela paraît absurde et pourtant c’est la réalisation d’un vieux rêve qui repose au plus profond de nous-mêmes, ce rêve que Nietzsche exprime dans ce mouvement de révolte lorsqu’il dit : « S’il y avait des dieux, comment supporterais-je de n’être pas dieu ? » Et, en effet, on conçoit à peine la possibilité, pour un être qui serait esprit, pour un Dieu qui serait la perfection de la sainteté, on conçoit très difficilement une création qui nous serait imposée et au sein de laquelle nous n’aurions que la possibilité de prendre conscience de notre dépendance. Il y aurait quelque chose de sadique en quelque manière à créer des êtres capables de conscience jusqu’au point seulement où ils constatent qu’ils sont rigoureusement soumis et qu’ils ne peuvent pas échapper à la puissance divine.

Il y a un texte de sainte Catherine de Sienne – Dieu sait que je la vénère et que je l’admire – mais qui me paraît assez ambigu : « Sache, ma fille, que nul ne peut s’échapper de mes plans car je suis celui qui suis et vous n’êtes pas par vous-même, vous n’êtes qu’autant que vous êtes faits par moi. Je suis le créateur de toutes les choses qui participent de l’être, mais non du péché qui n’est pas et, par conséquent, n’a pas été fait par moi et, parce que il n’est pas en moi, il n’est pas digne d’être aimé. La créature ne m’offense que parce que elle aime ce qu’elle ne doit pas aimer, c’est-à-dire le péché, en me haïssant, moi qu’elle est obligée et tenue d’aimer parce que je suis souverainement bon et que je lui ai donné l’être avec un si ardent amour. Mais il est impossible aux hommes de sortir de moi, car ils demeurent en moi sous l’étreinte de ma justice qui punit leur faute ou ils demeurent en moi gardés par ma miséricorde. Alors ouvrons l’œil de l’esprit pour obéir au Père très grand. » Dans cette main divine, elle voyait enfermé l’univers tout entier et Dieu disait : « Ma fille, vois maintenant et sache que nul ne peut m’échapper. »

Il me semble qu’il y a là une expression ambiguë qui ne dépare pas, bien entendu, la très haute sainteté de Catherine, mais qu’il y a là encore la trace d’un mélange de deux conceptions : celle d’une dépendance absolue à l’égard de Dieu et celle d’une relation d’amour avec lui.

Enracinés au cœur de la Trinité

Parce que nous sommes enracinés au cœur de la Trinité,… que nous ne pouvons voir Dieu-Esprit et en tant que tel dans la communion d’amour qui s’accomplit au plus intime de lui-même, nous voyons la création comme le don de la liberté. Il s’agit… de communiquer ce qu’il y a de plus intime : l’essence de la liberté dans cette disponibilité totale où l’être devient une pure offrande d’amour.

Justement, parce que nous sommes enracinés au cœur de la Trinité, justement parce que nous sommes introduits dans cet immense secret d’amour, parce que nous ne pouvons voir Dieu-Esprit et en tant que tel dans la communion d’amour qui s’accomplit au plus intime de lui-même, nous voyons la création comme le don de la liberté. Il ne s’agit pas de jeter dans l’être en les tirant du néant des créatures qui seront soumises, mais de communiquer ce qu’il y a de plus intime ; mais de communiquer précisément ce qui fait l’essence de la liberté dans cette disponibilité totale où l’être devient une pure offrande d’amour.

Si vous le voulez, et je crois que vous êtes sensibles comme moi-même, vous êtes sensibles à ce mouvement de révolte de l’être qui refuse de prendre conscience de lui-même sous la forme d’une dépendance et d’une soumission. A quoi cela servirait-il qu’il y ait une création serve, esclave ? Elle n’aurait aucune espèce de sens au regard de l’esprit.

Le visage de Dieu sous un jour nouveau

Et, au fond, le Christ, dans cette équation : « aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu », dans cette équation le Christ résout précisément cette crise la plus profonde, l’interrogation qui nous jette dans la révolte ou dans une soumission servile parce que le visage de Dieu se révèle justement à travers lui sous son jour absolument nouveau.

Et, au fond, le Christ, dans cette équation : « aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu », le Christ résout cette crise la plus profonde, l’interrogation qui nous jette dans la révolte ou dans une soumission servile parce que le visage de Dieu se révèle à travers lui sous son jour absolument nouveau.

Au fond, Nietzsche voyait, il voyait dans ses moments de révolte, il voyait dans ce désir d’être le seul arbitre de lui-même, le créateur de toutes les valeurs. Il voyait la seule manière de se poser dans l’existence sans être esclave. Et Dieu lui apparaissait congénitalement comme un faiseur d’esclaves. Admettre Dieu, c’était admettre la soumission, la dépendance, la servitude et il ne pouvait concevoir en effet la grandeur humaine que dans cette ligne pyramidale où l’on grimpe par-dessus sa tête, où on émerge au-dessus des autres et on les écrase de sa propre grandeur.

Le Christ dénoue ce nœud tragique parce que il nous révèle de Dieu un visage totalement nouveau, un visage de démission, de dépouillement et de pauvreté.

Un autre aspect de la grandeur

Si Dieu est Dieu précisément parce qu’il ne possède rien, parce qu’il est tout don, parce qu’il n’est pas accroché à soi, parce que il n’est pas rivé à son existence, parce qu’il ne fait que la donner, alors nous entrevoyons une autre manière, plutôt un autre aspect de la grandeur : une grandeur qui est unie intimement à la plus profonde humilité, parce que c’est une grandeur de don, une grandeur d’amour, une grandeur où l’on s’évacue de soi, où l’on devient un espace illimité pour accueillir l’autre.

Et c’est ce qui me paraît justement, infiniment considérable parce que cela va jusqu’à la racine de nos aspirations, de nos ambitions. Nous voulons une grandeur infinie, nous ne voulons jamais nous arrêter dans nos aspirations et nous butons toujours finalement contre un faux infini, celui que l’on construit en s’exaltant dans un délire paranoïaque où l’homme se met sur le pavois et veut absolument pour témoins de sa grandeur les êtres qu’il a réduits en esclavage.

Toutes les grandeurs humaines, toutes les grandeurs de chair, comme dit Pascal, sont construites justement selon cette ligne pyramidale où, au sommet, trône un être qui regarde les autres de haut en bas et qui les écrase de son mépris. C’est le contraire dans cette grandeur divine. (1)

[Repère enregistrement audio : 10’ 16’’]

Le Christ nous appelle à la suprême grandeur dans la suprême humilité

La grandeur à la manière de Dieu

C’est du fond du dépouillement, c’est du fond de la désappropriation radicale que Dieu suscite notre liberté.

C’est du fond du dépouillement, c’est du fond de la désappropriation radicale que Dieu suscite notre liberté en en fondant l’inviolabilité précisément par le dépouillement infini qu’il est, en sorte que nous pouvons maintenant, aspirer en effet à une grandeur divine. C’est à cela que nous sommes appelés : «  Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait », en réalisant cette grandeur à la manière de Dieu dans le dépouillement et la désappropriation totale.

L’égalité de l’homme avec Dieu,… révèle le sens même du geste créateur qui est de communiquer ce qui constitue en Dieu sa liberté essentielle, à savoir qu’il ne peut s’atteindre lui-même qu’en se communiquant.

Il est, je crois, souverainement important d’envisager au départ cette équation bouleversante de l’égalité devant Dieu, de l’égalité de l’homme avec Dieu, car cela révèle, comme je tentais de le dire hier, cela révèle le sens même du geste créateur qui est de communiquer ce qui constitue en Dieu sa liberté essentielle, à savoir justement que il ne peut s’atteindre lui-même qu’en se communiquant. Il est donc absolument certain que la vision du geste créateur se renouvelle radicalement dans cette révélation du secret du cœur de Dieu qui est justement la relation du Père au Fils et du Fils au Père dans l’étreinte du Saint-Esprit.

L’humilité est au cœur de Dieu

1971 (année de cette conférence), c’est donc nous référer à ce don colossal que le Christ nous fait en nous appelant à la suprême grandeur dans la suprême humilité parce que l’humilité est au cœur de Dieu simplement l’envers, si l’on peut dire, de son amour ou, finalement, l’expression même de son amour (2) puisque on ne peut se donner à un autre précisément que dans une sorte de vénération envers lui.

Le Christ touche donc aux racines de notre être parce que il touche aux racines de l’être divin et ce que je viens de dire, justement, nous introduit au secret même de la personne de Jésus-Christ car, si Jésus-Christ veut nous faire cette révélation, s’il veut rendre ce témoignage aux profondeurs de Dieu, s’il peut nous délivrer de Dieu en tant que Dieu était vu comme une limite à l’homme et le fondement d’une dépendance insurmontable, si Jésus-Christ peut cela, si il établit entre l’univers et Dieu une relation nuptiale, si il nous appelle à une liberté qui va jusqu’à la racine de l’être, c’est que il est lui-même totalement libéré. Libéré de lui-même et que son humanité constitue simplement le sacrement diaphane de la Présence divine.

Dans la conception paulinienne, d’ailleurs admirable, Jésus-Christ est vu comme le second Adam, comme le commencement virginal d’un monde entièrement nouveau. Le monde fait un nouveau départ. La création retrouve sa véritable origine au-delà de la chair : précisément dans cette naissance virginale où l’humanité est introduite dans le monde dans un état de totale désappropriation.

Dieu va nous communiquer son propre dépouillement qui est la condition de notre libération.

Car c’est cela justement : si l’équation doit se réaliser, si la distance entre la créature et le créateur doit être surmontée, cela n’est possible que parce que Dieu justement va nous communiquer son propre dépouillement qui est la condition de notre libération puisque pour le redire pour la millionième fois il est évident que tout être qui parvient à l’existence ne peut pas se donner cette première existence. Sa naissance est nécessairement le fruit d’un concours auquel il est étranger.

Il ne peut parvenir à son autonomie que s’il peut se récupérer de cette première naissance par une seconde naissance qui est totalement libre. Dieu est éternellement vierge parce qu’éternellement justement, il ne s’atteint lui-même que dans cette suprême communication.

[Repère enregistrement audio : 15’ 56’’]

Dans la personne de Jésus-Christ nous rencontrons le dépouillement divin qui doit s’accomplir à l’intérieur de nous-mêmes pour que nous devenions universels

Océan de dépouillement subsistance du Verbe au cœur de la Trinité

Donc le Christ entre dans le monde. Il apparaît dans l’histoire comme le second Adam où toute la création fait un nouveau départ dans une humanité qui ne se possède d’aucune manière, qui est une pure référence à Dieu, qui a son moi en Dieu et à laquelle Dieu communique cette pauvreté sur-essentielle, cette puissance d’évacuation infinie qui fera que cette humanité qui en elle-même est finie, – je parle de l’humanité de Jésus-Christ qui n’est qu’une coquille de noix sur l’immense océan de l’être – cette humanité elle va devenir universelle.

Elle va pouvoir porter toute la création dans sa signification spirituelle. Elle va pouvoir nous rassembler, elle va pouvoir être présente à toutes les générations et les rendre contemporaines parce que, coquille de noix comme elle est, elle est jetée en Dieu par cet océan de dépouillement qui est la subsistance du Verbe au cœur de la Trinité.

Car ce qui constitue le Verbe, c’est justement cette puissance d’évacuation [du Fils de Dieu] qui jette le Fils dans le sein du Père. Et c’est cette puissance d’évacuation qui saisit cette coquille de noix qu’est l’humanité de Jésus-Christ, et qui la jette en Dieu avec cet élan infini qui est la personnalité même du Verbe.

C’est dans une puissance de dépouillement indépassable qu’il s’agit de contempler l’humanité de Jésus-Christ.

C’est donc dans une puissance de dépouillement indépassable qu’il s’agit de contempler l’humanité de Jésus-Christ. Il n’y a en lui aucune appropriation possible parce que son humanité ne peut que témoigner de Dieu dans tout ce qu’elle dit, dans tout ce qu’elle fait, dans tout ce qu’elle est. Et, si nous pouvons nous approprier l’Evangile de Jésus-Christ justement comme la Parole de Dieu, comme la Parole définitive, c’est en tant que précisément dans sa personne, nous rencontrons le dépouillement divin lui-même. Et que tout cet Evangile qui est l’Evangile de notre libération porte précisément sur un dépouillement divin qui doit s’accomplir à l’intérieur de nous-même pour que nous-même nous devenions universels, sans frontières, dans une désappropriation qui nous ouvre à toute l’histoire et à tout l’univers. En nous ouvrant, bien sûr, d’abord à ce Dieu qui nous attend au plus intime de nous-même.

La divinisation de l’homme devient la seule solution de son destin

1971, c’est donc toujours cette référence à cet événement colossal où la vocation de l’homme, la divinisation de l’homme devient en effet ce qui lui est proposé comme la seule solution de son destin. C’est là qu’il échappe au destin, qu’il échappe aux nécessités, qu’il échappe à la pesanteur, par ce que tout son être désormais s’oriente vers l’amour ou du moins est appelé à s’orienter vers l’amour.

C’est en creusant en nous cet immense espace de dépouillement,… que nous avons à réaliser cette divinisation où… nous est communiqué le pouvoir qu’il a éternellement de ne pas se subir Lui-même, mais de faire de Son existence un don éternellement communiqué.

C’est en creusant en nous, par conséquent, cet immense espace de dépouillement, c’est en nous mettant dans la mouvance de Jésus-Christ, dans le rayonnement de sa Présence et de sa personne que nous avons à réaliser cette divinisation où ce qu’il y a de plus divin en Dieu, si l’on peut dire, nous est communiqué. Et justement, le pouvoir qu’il a éternellement de ne pas se subir lui-même, mais de faire de son existence un don éternellement communiqué.

À genoux au lavement des pieds

Si nous sentons en nous la révolte, nous sommes des hommes comme les autres et il est évident que nous n’avons pas davantage que tous les contestataires le goût de la soumission, nous sentons la dignité de l’Esprit comme quelque chose d’inviolable et rien ne peut nous émouvoir davantage que précisément l’équation qui resplendit dans la naissance de Jésus-Christ et dans toute sa carrière : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu.

Il est donc tout à fait exclu que nous soyons devant Dieu en état de rivalité et, quand notre Seigneur est à genoux au lavement des pieds, il manifeste d’une manière suprême et incontestable cette équation. Voilà, voilà ce que c’est que Dieu : devant ce sanctuaire de l’homme qui est le sens même de la création, devant cette possibilité d’une vie spirituelle qui jaillit dans une entière liberté, Dieu ne peut être qu’à genoux, c’est-à-dire attendre, se donner, faire contrepoids, accepter cette mort intérieure que l’homme lui inflige en refusant de l’accueillir quoi qu’il demeure toujours en nous une attente infinie. Voilà ce que c’est que Dieu.

Et si vous voulez justement que l’équation signifiée par la naissance de Jésus prenne une forme immédiatement assimilable, il s’agit justement de nous reporter à cette scène du lavement des pieds qui la traduit en action et où il est impossible d’hésiter sur le sens même de l’intervention divine.

Dieu ne peut créer que des libertés. Et le monde phénoménal rivé à ses nécessités est un monde qui appelle sa libération comme nous-même. Le monde phénoménal ne peut être finalement qu’un monde appelé à faire de lui-même, comme toute réalité, une offrande d’amour. Et c’est ce que le miracle si vous le voulez signifie sporadiquement, le miracle signifie tout d’un coup : la libération d’un phénomène qui est ordonné aux fins de l’esprit et qui manifeste les intentions de l’amour. C’est comme une réalisation fugitive, ainsi qu’un grâce actuelle, une réalisation fugitive de cette vocation de toute réalité, de chanter Dieu, c’est-à-dire de chanter l’amour, de devenir une note de joie dans le Cantique du Soleil.

[Repère enregistrement audio : 24’ 00’’]

Il s’agit de créer partout des libertés

Racines de l’homme et de l’univers

Toute créature est appelée à se réaliser finalement et exulte [?] dans cette direction. Et cet immense univers, c’est notre corps, finalement, puisque nous sommes dedans par nos racines physiques et il est en nous par ses racines spirituelles.

Il est donc certain que, dans la mesure où un homme réalise sa libération totale, cette libération concerne toute l’humanité, tout l’univers. Elle est dans la suite de cette histoire qui commence virginalement en Jésus-Christ et en sa très Sainte Mère, cette histoire incomparable où l’homme est le porteur de Dieu, le sacrement de Jésus-Christ, le sacrement inséparable de son avènement dans l’histoire.

Cette équation [pour Dieu l’homme égale Dieu] nous introduit donc finalement au cœur de la Trinité divine, au cœur du dépouillement infini, au cœur de notre propre vocation en nous appelant à nous réaliser infiniment dans une humilité infinie.

Le plus grand, c’est celui qui se donne le plus et qui crée le plus de liberté en soi et dans les autres.

Car c’est le paradoxe du lavement des pieds précisément que la transmutation des valeurs s’y accomplit totalement. Et que il ne s’agit pas, pour être grand, de regarder les autres de haut en bas, de les dominer, d’avoir des esclaves, des admirateurs, des courtisans, c’est-à-dire des êtres finalement qui sont des objets dans les mains du grand homme ou de la vedette. Il s’agit de créer partout des libertés en devenant un ferment de libération en tous et en tout par sa propre libération. Le plus grand, c’est celui qui se donne le plus et qui crée le plus de liberté en soi et dans les autres.

Le sens de l’œcuménisme

L’œcuménisme est inscrit au cœur même de la personne de Jésus-Christ dans le dépouillement suprême, infini que lui communique sa subsistance dans le Verbe.

Et cela nous permet d’envisager le sens de l’œcuménisme qui justement est à l’ordre du jour dans cette semaine de l’unité où nous entrons. Rien n’est plus difficile que de concevoir un œcuménisme bien équilibré, entièrement sincère, qui ne consiste pas dans l’effacement des distinctions, qui n’est pas une sorte de dénominateur commun qui abolit toutes les frontières, mais en dissolvant aussi toute existence.

L’œcuménisme est inscrit au cœur même de la personne de Jésus-Christ comme je l’ai éprouvé à Byblos lorsque je me demandais quel était le rapport entre un squelette qui était là depuis 5500 ans et moi-même. Quel rapport entre lui et moi ? Est-ce que il n’a pas d’autre signification que d’être la carcasse d’un animal comme moi-même, comme serait la carcasse d’un lion d’alors pour un lion d’aujourd’hui ? Est-ce que nous ne sommes reliés que par une chaîne matérielle qui n’implique aucune espèce de signification ou bien y a-t-il un lien entre lui et moi ? Sommes-nous contemporains ? Cette histoire humaine a-t-elle un sens ? Est-ce qu’elle a un aboutissement ? Est-ce que un dessein s’y imprime et s’y réalise ?

Est-ce que les générations peuvent se rassembler aujourd’hui et puis-je devenir le contemporain de ce squelette inconnu qui était le support d’une vie comme la mienne, qui se croyait moderne comme moi-même, qui regardait le même paysage en pensant le posséder pour toujours et qui est là, anonyme parmi tant d’autres, sans avoir inscrit son nom dans l’histoire ?

C’est alors que Jésus-Christ m’est apparu justement comme le grand rassembleur, comme celui qui peut ressusciter les morts, comme celui qui a la table même de l’Eucharistie, comme celui qui appelle tous ceux que nous croyons défunts, tous ceux qui viendront et qui ne sont pas encore, autant que nous-mêmes, qui les appelle tous à former un seul corps, une seule vie, j’allais dire une seule personne, une seule présence dans la sienne.

L’œcuménisme est inscrit au cœur même de la personne de Jésus-Christ et précisément dans le dépouillement suprême, infini que lui communique sa subsistance dans le Verbe.

[Repère enregistrement audio : 30’ 11’’]

Comment construire un œcuménisme totalement vrai ?

Qu’est-ce que vous venez faire chez nous ?

C’est là, évidemment, quelque chose d’infiniment délicat. Les missions trouvent aujourd’hui d’immenses difficultés à s’accomplir. Les pays récemment émancipés et parvenus à l’indépendance nationale sont extrêmement jaloux de cette indépendance. Ils tiennent à affirmer leurs traditions, la valeur de ces traditions. Ils suspectent ceux qui veulent les faire entrer dans d’autres traditions et qui sont tentés de voir simplement comme les traditions d’une race, d’un continent, qui est peut être bon pour lui, mais qui ne doit pas être exporté.

Il y a longtemps que se manifeste, en Inde, en particulier, et même dans la personne de Gandhi, cette aversion contre l’activité missionnaire. Qu’est-ce que vous venez faire chez nous ? Mais nous avons tout ce qu’il nous faut ! Nous avons une spiritualité qui vaut certainement la vôtre. Gardez la vôtre pour vous, mais ne prétendez pas changer les structures de notre esprit. Ce serait une espèce d’insulte à la valeur de nos traditions et comme une main-mise sur l’autonomie de notre esprit.

Et on sait très bien que tous ceux qui ont été blessés par la colonisation ont un désir bien compréhensible d’en effacer les traces, d’affirmer que ils se suffisent et qu’ils ont dans leur culture tout ce qu’il faut pour accomplir la vocation de l’homme.

Et c’est d’une certaine manière analogue que les différentes confessions chrétiennes sont affrontées, chacune ressentant ou éprouvant la légitimité de sa position fondamentale, voulant bien se rapprocher, sans abandonner cependant une expérience qui lui parait valable et qu’il serait sans doute criminel de rejeter.

Comment Jésus-Christ est-il le rassembleur ?

Comment construire un œcuménisme qui soit totalement vrai, sinon justement en partant de la structure même, si l’on peut dire, de la personne de Jésus-Christ ? Comment Jésus-Christ est-il le rassembleur ? Comment fait-il tomber les frontières ?

Précisément parce que il est à genoux au lavement des pieds, précisément parce que pour lui la valeur essentielle se réalise au coeur de chacun comme une Présence infinie qui le libère radicalement de soi. Et que finalement, c’est de cela qu’il s’agit.

Le chrétien porte en lui cette équation : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu. Il doit la mettre en œuvre dans tous ses comportements… Ce dont il a à témoigner, c’est de cette puissance d’évacuation qui est au cœur de Dieu l’éternelle naissance de la liberté et, en nous, le rejaillissement même de la liberté divine.

Le chrétien qui est enté, greffé sur la personne de Jésus-Christ, il n’a pas à veiller à un système, à proposer une certaine Weltanschauung, une certaine vision du monde qu’il faudrait mettre à la place de celle qui existe. Le chrétien porte en lui cette équation : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu. Et il a à la mettre en œuvre dans tous ses comportements, dans toutes ses relations avec lui-même et avec les autres. Et ce dont il a à témoigner, c’est de cette puissance d’évacuation qui est au cœur de Dieu l’éternelle naissance de la liberté, et qui est en nous, le rejaillissement même de la liberté divine.

Il est clair que, si le témoignage chrétien réside essentiellement dans une démission, dans un espace illimité de lumière et d’amour où l’autre se sente accueilli, il n’y a pas de menace pour lui, il ne se sent pas en péril d’être colonisé par une doctrine qui prétend être supérieure à la sienne. Il n’a pas à faire cet acte humiliant de renier son passé pour prendre une forme qui n’est pas autochtone, qui ne jaillit pas d’une tradition de sa race. Il est invité à s’enraciner dans ce qui constitue précisément l’humanité dans toute son authenticité ; de s’enraciner dans cette Présence qui est symbolisée, qui est rendue sacramentellement réelle par un chrétien authentique qui est spirituellement dans l’agenouillement du lavement des pieds.

Et c’est justement pourquoi l’œcuménisme ne peut être qu’à base de silence et de contemplation parce que, dans l’œcuménisme, comme partout ailleurs, on retrouve toutes les ambiguïtés. De quel homme parlons-nous, et de quel Dieu ?

Il s’en faut de beaucoup que les chrétiens soient d’accord… sur la libération infinie qui résulte de la rencontre en Jésus-Christ avec les trois personnes divines… ce qui est le plus urgent, c’est notre démission personnelle. C’est de créer ce courant de désappropriation où l’humanité se réalise dans sa plénitude et où Dieu transparaît enfin comme l’Esprit dont Jésus parle à la Samaritaine.

Il s’en faut de beaucoup que les chrétiens soient d’accord sur la signification de Jésus-Christ, sur le sens de la Révélation, sur la libération infinie qui résulte de la rencontre en Jésus-Christ avec les trois personnes divines. Et parce que nous ne sommes pas d’accord, parce que les mots n’ont pas le même sens, parce que ils sont emprisonnés dans les théologies diverses, ce qui est le plus urgent, c’est notre démission personnelle. C’est de créer ce courant de désappropriation où l’humanité se réalise dans sa plénitude et où Dieu transparaît enfin comme l’Esprit dont Jésus parle à la Samaritaine qui est au-dedans de nous une source qui jaillit en vie éternelle.

[Repère enregistrement audio : 37’ 15’’]

Nous sommes appelés avec Jésus à créer ce monde

Le sens de la mission

L’équation : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu, est donc chargée d’une immense lumière. Elle résout, du moins, elle nous donne la possibilité de résoudre ce problème, de réaliser à la fois nos ambitions suprêmes dans une totale pureté parce que nous avons appris par Jésus-Christ que la grandeur était dans l’absolu dépouillement.

C’est au contact de l’humilité de Dieu que la nôtre peut jaillir. Si Dieu justement nous apparaissait comme cette limite inexorable, comme celui auquel on ne peut pas échapper parce qu’il est nécessairement le plus fort, notre dignité consisterait justement à refuser, à refuser cette soumission, quitte à être écrasé.

Jésus-Christ nous introduit au cœur de l’éternel amour. Il nous amène à notre propre intimité, à ce sanctuaire, à cette cathédrale que nous sommes : là où le Dieu vivant ne cesse pas de nous attendre.

Mais justement Jésus-Christ dissipe cette fausse vision de Dieu. Jésus-Christ nous introduit au cœur de l’éternel amour. Et il nous amène à notre propre intimité, à ce sanctuaire, à cette cathédrale que nous sommes : où le Dieu vivant ne cesse pas de nous attendre.

Alors la mission consiste, non pas à faire changer de formule mais à faire naître de nouveau, à enfanter dans le don total de soi-même, à s’effacer dans le respect de l’inviolabilité de toute conscience. C’est là que les hommes pourront se joindre, au-delà de tout discours. C’est là qu’ils se joignent et c’est seulement là qu’ils se joignent ; quand chacun a atteint à la racine de son être parce que, au cœur du silence, il a rejoint sa source qui est la Présence divine confiée à son amour, parce qu’on respire ensemble celui qui est la vie de notre vie.

L’esprit de l’œcuménisme

L’œcuménisme est un retour à la source divine, un retour à la Trinité où tout l’univers a son origine… pour qu’il y ait partout une libre réponse d’amour.

C’est donc dans cet esprit que nous avons à envisager l’œcuménisme : non pas comme un ensemble de concessions plus ou moins diplomatiques, mais comme un retour à la source divine, comme un retour à la Trinité où tout l’univers a son origine ; non pas pour être serf et esclave, mais justement pour que il y ait partout, partout une libre réponse d’amour.

De temps en temps, les poètes, les artistes ont l’intuition de cette liberté et l’univers se met à chanter au fond de leur cœur et au sein de leurs œuvres. L’univers se met à chanter, il rayonne finalement d’une Présence, comme d’ailleurs c’est le cas aussi de tous les savants quand, au-delà d’une découverte qui sera dépassée demain, au-delà de ce cheminement sur la circonférence qui n’a pas de fin, ils se sentent reliés à un centre intérieur à eux-mêmes, et dans l’émerveillement, ils voient sourdre la lumière dans l’univers qui n’est plus un objet, mais qui est Quelqu’un.

De toutes manières, si Jésus est le second Adam, s’il est au commencement d’une nouvelle création, nous sommes appelés avec lui à créer ce monde et nous ne pouvons le faire que à sa manière : à la manière de Dieu qui est de s’évacuer de soi, et qui se concrétise au lavement des pieds.

Que se propage cette vague de lumière et d’amour

Il s’agit d’être l’affirmation en tous et en chacun d’une aventure infinie qui seule peut combler la vie… Alors vraiment notre vie à chaque instant peut se renouveler. A chaque instant notre vie peut triompher de ses limites.

Bien sûr que il ne s’agit pas d’aplatissement passif, il ne s’agit pas de livrer l’univers au désordre de ceux qui voudraient le détruire. Mais il s’agit d’être l’affirmation en tous et en chacun d’une aventure infinie qui seule peut combler la vie parce que en effet elle n’a pas de frontières.

Si nous sommes les porteurs de Dieu, les porteurs d’un trésor infini, si nous pouvons être pour chacun un espace où il découvre sa liberté, si nous n’avons pas autre chose à faire, si tous nos contacts avec nous-même et avec les autres n’ont pas d’autre but que de tracer ce chemin de la Présence divine, alors vraiment notre vie à chaque instant peut se renouveler, et à chaque instant peut triompher de ses limites. Et c’est en effet la seule manière d’en triompher.

Comme dit Patmore, si Dieu est celui qui tient l’homme dans sa main, l’homme est celui qui tient Dieu dans sa main. C’est ce que nous voulons réaliser tout à l’heure lorsque vous recevrez le Saint Sacrement dans votre main : vous pourrez prolonger cette image. En effet, l’homme est celui qui tient Dieu dans sa main.

Nous n’avons rien d’autre à faire que de laisser se propager cette vague de lumière et d’amour qui atteint le fond de l’être et qui… donne à l’homme enfin ses véritables dimensions.

Nous n’avons rien d’autre à faire, sans en parler, sans en parler. Si nous demeurons dans ces fondations du silence, nous n’avons rien d’autre à faire que laisser se propager cette vague de lumière et d’amour qui atteint le fond de l’être et qui, dans une respiration entièrement libre, donne à l’homme enfin ses véritables dimensions.

Vous voyez le sens de l’équation et pourquoi nous sommes, en 1971 dans cette référence à Jésus-Christ, le second Adam, le Dieu qui révèle son humilité, son éternelle pauvreté, le Dieu qui nous appelle à être ce qu’il est en affirmant que justement : aux yeux de Dieu, l’homme égale Dieu.


Commentaires :

(1) Le véritable amour ne peut pas supporter que lui demeure inférieur celui qu’il aime. Dieu, parce qu’infiniment aimant de l’homme, veut donc qu’il devienne son égal, cette égalité s’opère quand l’homme devient membre de l’Église. Chaque membre de l’Église est l’Église toute entière.

(2) Dieu n’a de prise sur son être qu’en le communiquant. Le Père n’a de prise sur son être qu’en engendrant, portant et faisant naître le Fils dans la parfaite désappropriation de Lui-même. Il n’y a pas de Père préexistant au Fils pour lui donner naissance. Il n’est autrement et éternellement que Père.

C’est dans l’acte même du dépouillement parfait et éternel de chaque personne divine que surgit et jaillit la création, c’est le vide créateur. Humilité de Dieu, dépouillement et désappropriation entraînent qu’on ne peut ressembler à Dieu que dans l’humilité, le dépouillement et la désappropriation de soi… En Dieu on ne se regarde pas ! On est tenté de penser qu’alors on n’existe pas, c’est le contraire qui est vrai. On ne commence à exister humainement qu’en étant désapproprié de soi.

ffn 71 0206

23-28/10/2016 octobre 2016