15-21/08/2014 – Conférence – Eucharistie et assomption

Conférence
de Maurice Zundel au Caire le 29 mai 1961. Non édité.

Nous vous proposons ici une nouvelle version par retranscription de l’enregistrement audio, à la place du texte reposant sur des notes prises en sténo et non revues par Maurice Zundel.

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ». Le tout début de la conférence n’a pas été enregistré, il est retranscrit à partir de notes en sténo (voir indication dans le texte).

 

On a résumé toute l’expérience spirituelle dans cette petite phrase mal bâtie :  » Dieu, c’est quand ce n’est pas moi en moi.  »

Un ami de Chopin lui disait : « Quand je vous écoute, je me crois toujours seul avec vous et toujours avec mieux que vous encore. » Au fond, instinctivement, nous cherchons dans l’homme plus que l’homme et nous ne sommes à l’aise que quand l’homme est devenu un espace dans lequel nous rencontrons la Présence infinie.

C’est ce que j’entends dans le mot pauvreté, quand on est devenu libre de soi-même. Si on n’est pas libre de soi, on ne peut atteindre à la dignité humaine, mais pour atteindre à cette pauvreté nécessaire, à cette liberté pour devenir cet espace, pour offrir à Dieu cette transparence, pour se réaliser authentiquement soi-même, l’humanité [ici début de l’enregistrement audio] de Jésus-Christ constitue un relais admirable et merveilleux car la plupart du temps justement nous ne sommes pas libres de nous-mêmes, la plupart du temps nous collons à nous-mêmes, nous sommes captifs de nous-mêmes, et nous restons prisonniers de ce moi biologique qui fait de nous un morceau de l’univers : c’est à dire que la plupart du temps, la plupart du temps nous existons comme des choses, et non pas comme des personnes.

L’humanité de Jésus-Christ offre un relais incomparable parce que l’humanité de Jésus-Christ est un état d’absolue pauvreté. Nous avons reconnu cet adorable mystère, l’humanité de Jésus-Christ est incapable de toute possession, elle ne peut rien s’approprier, elle ne peut dire ni je ni moi, parce que c’est une humanité sacrement. Une humanité qui ne témoigne jamais de soi ni pour soi, mais qui témoigne toujours de Dieu et pour Dieu. C’est à travers l’humanité de Jésus-Christ, nous sommes en contact immédiat et personnelle avec Dieu, un Dieu qui est toujours déjà-là et qui est d’ailleurs en nous autant qu’il est en Jésus-Christ, mais c’est nous qui ne sommes pas en lui comme est l’humanité unique de Jésus-Christ.

Cette humanité de Jésus-Christ c’est une humanité sacrement, c’est une humanité diaphane, c’est une humanité incapable de toute possession, c’est une humanité qui témoigne toujours personnellement de Dieu, qui ne peut jamais nous attirer à soi mais toujours à Dieu, cette humanité est aussi toujours déjà là. Comme Dieu est en nous un soleil caché au plus intime de nous, l’humanité de Jésus-Christ est toujours parmi nous. Si Jésus a quitté le pensible de l’histoire, il n’en est pas moins demeuré au cœur de l’histoire, et nous l’avons vu le mystère de l’Eglise, c’est précisément cette Présence permanente de Jésus-Christ. Si Jésus nous avait quittés, nous en serions réduits pour l’atteindre à des souvenirs humains, à des mots humains, et nous serions immédiatement jetés dans les discussions stériles où des textes s’opposent aux textes, et où des sectes rivales naissent précisément de l’interprétation des textes. Jésus-Christ est donc toujours là, toujours avec nous, comme dit l’évangile de st Matthieu jusqu’à la consommation des siècles, mais derechef et de nouveau c’est nous qui ne sommes pas là. Jésus pourrait dire à chacun de nous ce qu’il dit à Saul aux portes de Damas : « Je suis Jésus que tu persécutes » Jésus est toujours déjà-là, et encore un coup, c’est cela même qui constitue tous les mystères de l’Eglise.

L’Eglise, c’est Jésus toujours présent dans un organisme sacramentel où la foi seule peut le joindre et le découvrir. Etant posé et affirmé que Jésus est toujours déjà-là, et que c’est cela qui constitue les mystères de l’Eglise, je viens de dire que c’est nous qui ne sommes pas là, et toute la question est précisément de joindre Jésus, de l’atteindre réellement, d’être en prise authentique sur lui. Et c’est là que se situe précisément le mystère de l’Eucharistie, l’Eucharistie dont tous les chrétiens font l’expérience, l’Eucharistie qui donne lieu à ces fêtes si émouvantes de la Première Communion, l’Eucharistie qui émeut à la fois les parents et les enfants, l’Eucharistie qui est au centre du culte chrétien, et qui, si elle vécue parfois très intensément par un petit nombre d’âmes, est inconnue, est inconnue du plus grand nombre.

On dit couramment : « l’Eucharistie, c’est recevoir Jésus-Christ» Et Jésus-Christ est dans l’Eucharistie, il suffit donc de s’approcher de la Table Sainte, d’avancer ses lèvres, et on reçoit Jésus-Christ. Ce n’est pas si simple, il y a justement dans l’Eucharistie une formidable exigence qu’il est essentiel de souligner.

Il est très facile de tourner l’Eucharistie en magie, et de voir précisément dans ce sacrement l’objection capitale contre la spiritualité chrétienne. Donc qu’est-ce que ça veut dire : « Tenir Dieu dans sa main, mettre Dieu dans sa bouche », qu’est-ce ça que veut dire : « enfermer Dieu dans un calice ou dans un ciboire, ou dans un tabernacle ou une église ? », qu’est-ce que cela veut dire de transporter, qu’est-ce que cela veut dire : « Porter le Bon Dieu ? » Tout cela semble terriblement idolâtrique ! Et cela semble idolâtrique dans la mesure précisément où l’on a oublié une chose capitale, c’est que l’Eucharistie est le sacrement – il faut prendre la définition la plus littérale – le sacrement du Corps de Jésus-Christ. On oublie régulièrement qu’il y a là un sacrement, et que ce sacrement a une réalité, que ce sacrement a une valeur, qu’on atteint à Jésus-Christ qu’à travers ce sacrement, qu’il importe justement de situer, et dont il importe plus encore de comprendre toutes les exigences.

Si le Christ était solitaire, si il n’a fait aucun disciple avant sa mort, si il reconnait qu’il fallait qu’il s’en alla pour que l’Esprit Saint descendit sur ses apôtres, « Il est bon que je m’en aille, car si je ne m’en vais pas l’Esprit-Saint ne viendra pas à vous. », on n’imagine pas Jésus inventant un nouveau piège alors que son humanité – posée devant ses disciples, cette humanité entrée dans notre histoire et qui en est devenue le centre – alors que son humanité était un piège pour ses apôtres précisément parce que leur regard n’était pas suffisamment clair et transparent pour en saisir la nature sacramentelle. Ils ne percevaient pas dans cette humanité la Présence divine au sens spirituel. Ils s’accrochaient à cette humanité avec toutes leurs ambitions humaines, ils voulaient absolument qu’elle les conduisît à la gloire, à la victoire et au triomphe. C’est-à-dire que, ils faisaient entrer Jésus dans un rôle, qui répugnait essentiellement, essentiellement à sa mission. Ce rôle qui était si contraire à lui-même, que il n’a pas pu s’empêcher de dire à Pierre, qui voulait le détourner de la Croix pour l’engager dans des voies faciles : « Arrière de moi, Satan ! »

On n’imagine pas Jésus – qui connaissait ses disciples, qui savait où ils en étaient, combien ils étaient loin de sa pensée, étrangers à ses desseins, incapables d’entrer dans la pauvreté divine, incapables de croire que c’est par la défaite de la Croix (où Dieu est apparemment vaincu), que la vie allait jaillir et se communiquer au monde – on n’imagine pas Jésus reconstruisant un piège encore plus dangereux et mettant dans la main de ses disciples sa Présence comme une réalité tangible pour que ils soient induits à croire qu’il suffisait d’avoir avec soi ce pain consacré, de l’avoir dans sa maison, de l’avoir dans son Eglise, de l’avoir dans sa bouche pour être sauvé. C’est absolument impossible car être sauvé, c’est justement être dévêtu de ce moi biologique, de ce moi asphyxiant, de ce moi propriétaire, de ce moi possessif, de ce moi diviseur qui nous sépare les uns des autres, qui crée entre nous toutes ces frontières, […?] incommunicantes, que ce soient les frontières d’individus ou les frontières des peuples. Puisque Dieu c’est : « quand ce n’est pas moi en moi », il est clair que la seule intention de Jésus-Christ, c’était de dégrafer l’humanité de ses apôtres de ces limites, c’était de leur communiquer – et de nous communiquer – sa pauvreté absolue, de nous permettre justement d’accéder au moi divin qui peut seul nous [?] sauver et faire de nous un seul corps, une seule personne dans sa Personne.

Et l’Eucharistie signifie précisément cette distance rigoureuse établie entre lui et nous, non pas une proximité facile, magique, sur laquelle on pourra mettre la main, au contraire une impossibilité radicale de mettre la main et toute emprise matérielle sur lui. Mais une distance immense, infinie, qui est la distance même de l’humanité : « Vous ne pouvez venir à moi qu’en forme d’humanité, vous ne pouvez venir à moi qu’en forme d’Eglise, vous ne pouvez venir à moi qu’ensemble, en assumant toute l’humanité, tout l’univers, toute l’Histoire ; vous ne pouvez venir à moi qu’en constituant ce Corps Mystique où tous les hommes sont compris et dont personne ne peut être exclu. Et c’est quand vous aurez justement réalisé cette unité et cette universalité que vous serez fondé à m’appeler et que vous me trouverez effectivement ».

Jésus encore une fois est toujours déjà là. C’est nous qui ne sommes pas là. Et pour être là, pour être vraiment en sa Présence, pour être en prise authentique sur lui, il faut ce rassemblement, il faut cette constitution du Corps Mystique, il faut cette universalité, il faut cette prise en charge de toute l’Histoire, de toute l’humanité et de tout l’univers.

L’Eucharistie, c’est Jésus dans une Présence communautaire, et chaque consécration allume justement un foyer de Présence communautaire où le Christ n’est accessible qu’à une humanité en forme d’Eglise, et à une humanité qui est devenue universelle, qui a renoncé à ses frontières, et qui vit – parce qu’elle est aimantée par lui – qui vit ou qui est en marche vers le moi, le moi divin, le moi universel, le moi altruiste, le moi où « je est un autre », enfin le moi de la divine Pauvreté, le moi où toute la vie divine se personnifie dans une éternelle et totale et absolue communication. C’est donc le contraire d’une facilité, le contraire d’une magie, le contraire d’une prise aisée et immédiate. C’est toute la distance de l’humanité établie entre lui et nous et cela se comprend immédiatement lorsqu’on songe que l’humanité de Jésus est une humanité universelle, une humanité entièrement dépouillée, une humanité translucide, une humanité sacrement, une humanité parfaitement universelle.

Si Jésus peut vivre à l’intérieur de chacun de nous, s’il est chez lui – comme on l’a dit magnifiquement – à l’intérieur des autres, c’est précisément parce que il est entièrement dépossédé, que son humanité est incapable de mettre la main sur quoi que ce soit, qu’elle est un don prodigieux, magnifique, illimité, inépuisable, comme la divinité elle-même en qui elle subsiste.

Le Christ, il ne lui servirait absolument de rien de nous attirer la nuit d’une manière idolâtrique. De renouer avec nous cette solitude effroyable qui était sa constante agonie, quand cette équivoque qui subsistait précisément toujours entre lui et ses disciples, à quoi cela servirait-il ? Comment pourrait-il sauver au sens profond, c’est-à-dire délivrer l’homme de soi, comment pourrait-il être un relai de lumière sur le chemin de notre libération s’il nous induisait et nous entraînait dans un piège en nous donnant une apparente facilité, une sainteté automatique, où il s’agit simplement d’ouvrir la bouche pour recevoir Jésus ? Mais non, on ne peut recevoir Jésus qu’en assumant toutes les dimensions de Jésus. En acceptant de devenir avec lui fils de l’homme, et devenir une présence totale à toute l’humanité. Il s’agit de réaliser chacun le mystère de l’Eglise, de devenir chacun l’Eglise, de réaliser chacun et tous ensemble ce Corps Mystique qui seul a prise sur son chef, sur sa tête qui est Jésus.

Et déjà nous pouvons illustrer ce mot en reprenant cette sentence si admirable de Kierkegaard : « La proximité absolue est dans la distance infinie », C’est cela que Jésus a voulu établir, une distance infinie entre lui et nous, je veux dire toute l’humanité, toute l’Histoire et tout l’univers pour que nous soyons vraiment en prise sur lui dans une proximité authentique et absolue.

Le Corps du Christ, c’est d’une certaine manière le corps de l’humanité, et nous avons à constituer ce corps de l’humanité dans lequel doit circuler la vie divine.

C’est dans cette lumière je crois qu’il faut envisager la consécration. Je voudrais en dire quelques mots, très timidement d’ailleurs car c’est une expression très personnelle que vous accepterez si vous le voulez. Une des formules les plus courantes et les plus banales, et les moins comprises d’ailleurs, c’est celle de Présence réelle. Jésus est réellement présent au Saint Sacrement, et cette présence réelle s’accomplit au cours de la liturgie, et très particulièrement au cours de la consécration. […]

Voilà des mots qui sont courants mais qui constituent des nids d’équivoques, alors qu’est-ce qu’on entend par une présence, une présence réelle ? Vous savez qu’il y a toute une échelle de présences. Une présence réelle c’est la nôtre par exemple ici : la présence des corps, des corps dans un lieu. Une autre présence qui se réalise en ce moment même, c’est la présence en vous de la pensée ; la pensée vous est présente, ma pensée si vous le voulez se communique à vous, et il est bien clair que la présence de la pensée en vous ce n’est pas la présence de l’eau dans la fontaine, ou la présence de vos corps dans ce lieu. Et la parole qui vous communique la pensée, c’est bien une présence réelle, réellement la parole transmet la pensée, pourtant la pensée n’est pas dans la parole, comme de l’eau dans une carafe, ou comme une montre dans un écrin. Et si nous disons que notre esprit est présent à notre corps, il nous est impossible de localiser notre esprit. Notre vie humaine dans son humanité se répand partout et elle est aussi présente à la racine de nos cheveux qu’au bout des ongles ou de l’ongle de notre petit doigt.

Si vous attendez une lettre d’un être aimé, cette lettre sur laquelle vous comptez, cette lettre qui doit déterminer entre lui et vous une proximité indispensable, vous compter les jours, vous comptez les heures, vous guettez l’arrivée du facteur ; et cette lettre, c’est lui, c’est lui, c’est sa pensée, c’est sa tendresse. Mais cette lettre, vous pouvez la mettre dans votre poche, mais non pas ni la pensée, ni la tendresse. Vous mettrez la lettre dans votre poche, mais non pas la pensée et l’amour. La lettre est le sacrement d’une présence, une présence très réelle et la pensée est très réellement présente dans la lettre mais pas comme de l’eau dans la fontaine, mais pas comme une montre dans un écrin.

Il y a donc toute une hiérarchie, toute une échelle de présences réelles, très diverses. Il s’agit de savoir à quelle échelle se situe la présence réelle en l’Eucharistie. Et ici Saint Thomas à magnifiquement développé le temps, ou plutôt dévié le temps, lorsqu’il nie absolument que la présence eucharistique soit une présence locale. La présence eucharistique n’est pas une présence locale, on ne peut ni la toucher, ni la diviser, ni la manger, ni la digérer, ni la transporter, ni l’atteindre, ni la profaner. On peut avoir des intentions profanatrices mais elles n’aboutissent à rien, car justement toute prise physique au Saint-Sacrement est radicalement impossible. Et c’est pourquoi Saint Thomas nie formellement que le Christ puisse apparaître, être vu dans l’Eucharistie. Il ne peut pas y avoir une vision du Christ dans l’Eucharistie dit saint Thomas, il peut y avoir une vision accompagnant l’Eucharistie, confirmant la foi dans l’Eucharistie, comme le miracle de Bolsena, si miracle il y a, où on prétend que le sang du calice se soit répandu sur le Corporal, pour détacher de son doute un prêtre hésitant, et qui a vu sur le Corporal, ce qu’il appelait le sang de Jésus. Saint Thomas nie formellement que le sang de Jésus puisse se répandre en l’Eucharistie. Il peut y avoir un signe donné à une foi fragile, pour l’induire à une foi plus profonde, mais d’aucune manière, le Christ eucharistique ne saurait être vu, ni apparent.

Parce que nous sommes justement dans une trans-physique, ou toutes les relations locales, toutes les prises matérielles sont radicalement impossibles. Il est donc essentiel de se souvenir qu’on n’enferme pas le Christ, qu’on ne porte pas le Christ, qu’on ne divise pas le Christ, qu’on ne mange pas le Christ, qu’on ne digère pas le Christ – je m’excuse de ces précisions –on digère le sacrement, on transporte le sacrement, on divise le sacrement, on voit le sacrement. C’est pourquoi il est essentiel de retenir qu’il y a là le sacrement du Corps de Jésus-Christ. Il y a une réalité sacramentelle, et il y a toute la réalité de Jésus-Christ bien entendu, mais qui n’est pas accessible par des voies physiques et qui échappe absolument à toute prise matérielle même miraculeuse.

Et il importe ici d’éviter le court-circuit d’un langage trop matériel, car finalement à force de parler du Bon Dieu, du Bon Dieu qui est là, que l’on touche, que l’on prend, que l’on reçoit, on finit par fabriquer une magie épouvantable qui éloigne les esprits délicats, et qui rend d’ailleurs absolument impossibles les débats sur la présence réelle. Il suffit de relire les fameuses discussions du 16ème siècle, qui durent encore hélas, pour savoir le degré de matérialisation du langage, et l’impossibilité d’arriver à aucune conclusion parce que chacun, partant d’équivoques qui n’ont jamais été éclaircies, est absolument incapable de comprendre ce que l’autre veut dire, qui d’ailleurs la plupart du temps ne se comprend pas lui-même.

Comment donc concevoir la Consécration ? La Consécration, qu’est-ce qui se passe, si vous le voulez, au moment de la Consécration ? C’est là quelque chose d’infiniment délicat, et ce que je vais vous dire, je le dis sous ma responsabilité personnelle, et sans du tout engager votre foi. Il faut se rappeler que Jésus – au jour que l’on appelle le jour de l’Ascension, ou disons dans le mystère de l’Ascension – a rompu ses derniers liens avec le monde visible. Nous sommes accrochés au monde visible par le boire et le manger, par la respiration, enfin par toutes ces influences qui nous rivent à l’univers matériel exactement comme les plantes et les animaux. La spiritualité consiste – ou la spiritualisation – consiste à décoller peu à peu de ces servitudes, à les rendre toujours plus légères, à les réduire à leurs strict minimum, pour préparer justement le lancement de la fusée où l’être s’éternise, où consomme son éternisation.

Et justement la mort, la mort quand elle est un acte libre, quand elle n’est pas subie, comme dans le cas de saint François, la mort est la suprême libération où enfin les derniers liens de dépendance à l’égard de l’univers matériel sont tranchés. Alors c’est tout l’être libéré, qui se construit par le dedans, qui est né vraiment à lui-même, en naissant au moi divin. Le Christ, justement, dont l’humanité est absolument dépouillée, le Christ qui est la liberté absolue, une humanité incapable de rien posséder, le Christ quitte naturellement sans aucun effort le plan matériel, et cependant il demeure parmi nous. Il demeure parmi nous, il demeure avec nous, il demeure au-dedans de nous, sans être prisonnier de ces catégories locales.

Nous connaissons d’ailleurs très mal puisque l’espace et le temps sont choses relatives, que nous avons une connaissance extrêmement primitive de ce que nous croyons être le plus clair comme la matière, qui n’est probablement que un concert de vibrations, des vibrations avec des vides immenses, des vides immenses, l’univers étant une vague pelure autour d’un vide […?]. Nous connaissons très mal tout cela, mais nous savons que il y a un décollement possible, que dans la mesure où nous sommes en progrès nous sommes moins rivés à nos dépendances cosmiques, nous concevons que Jésus-Christ tout en étant parmi nous, avec nous, au-dedans de nous, puisse donc intervenir dans notre vie, et nous savons par expérience qu’il intervient effectivement, mais il n’a pas besoin, il n’a pas besoin de passer justement par les joints, les joints cosmiques. Il entre en nous par le dedans, et d’ailleurs comme le fait toujours la vérité, la vérité, comme le fait l’amour. Comme le fait l’amour. Vous savez bien que la vérité, vous savez bien que la musique, vous savez bien que l’amour entrent en nous du dedans, du dedans, du dedans sans passer par la porte, du dedans. Du dedans comme le fait Jésus d’une certaine manière dans les apparitions à ses disciples après la résurrection. Donc Jésus va agir sur nous d’une manière trans-physique, d’une manière trans-physique. Et il va justement introduire dans le pain et le vin, qui sont les sacrements ou les symboles de ce Corps mystique que nous avons à former, qui sont la nourriture symbolique de ce banquet autour duquel nous nous rassemblons ou plutôt par lequel nous nous rassemblons autour de la table du Seigneur, le Christ va introduire quoi : une relation. Une relation métaphysique : car il ne se passe rien de physique au Saint-Sacrement, enfin toutes les analyses chimiques ne donneront jamais que du pain et du vin.

S’il y a donc une réalité colossale, et il y en a une, c’est une réalité trans-physique, métaphysique, si vous le voulez, c’est une relation, une relation qui rattache ces éléments à un ordre nouveau, à cet ordre de liberté, de libération, à cet ordre universel, tellement que ces éléments demeurent un foyer de Présence communautaire.

Ici, je vais vous donner une image, une image que vous allez immédiatement saisir, qui n’est qu’une image : si on élève un cœur de poulet, on a prélevé un cœur de poulet sur un poulet vivant, et on le cultive in vitro, on le cultive dans un bocal, on le cultive en lui fournissant les éléments nécessaires pour qu’il continue à battre. Ce cœur bat, ce cœur de poulet bat en dehors du corps et de l’organisme du poulet lequel est mort de sa belle mort. Je suppose que l’on puisse greffer ce cœur qui bat et qui a été cultivé in vitro en bocal, que l’on puisse le greffer sur un poulet vivant dont le cœur est fragile, dont le cœur est malade et que ce cœur justement rentrant dans l’organisme, il joue de nouveau la fonction d’un cœur normal. Si vous voulez, pour rendre la chose encore plus hypothétique, supposons qu’un cœur humain ait été prélevé sur un moribond, et gardé dans sa puissance, sa puissance dynamique, et que comme on greffe des yeux maintenant pour rendre la vue, on greffe un cœur, qu’on restitue à un organisme qui en aurait besoin, un cœur qui n’aurait jamais cessé de battre artificiellement in vitro, en bocal et que l’on infuserait de nouveau à un organisme où il continuerait à battre, mais cette fois dans la synthèse de l’organisme, et bénéficie de ce tout mystérieux que constitue justement la vie d’un organisme. Quel changement y aurait-il entre le cœur in vitro et le cœur dans l’organisme, le cœur dans le bocal et le cœur redevenant un des organes essentiels de la vie ? Aucun changement si vous le voulez. C’est toujours un muscle qui est animé d’un certain battement. Mais vous sentez l’immense différence du fait que le cœur qui d’ailleurs était dans le bocal et vivait si on peut dire artificiellement, retrouve – parce qu’il a été replacé dans le contexte des relations organiques – retrouve une vie, une vie organique et participe à tout cet ensemble merveilleux qui est une vie individuelle, qui est la vie d’un poulet ou la vie d’un être humain.

Et bien je pense que la consécration détermine dans les éléments une relation trans-physique, encore une fois trans-physique, métaphysique, absolument invérifiable par aucun procédé d’analyse physico-chimique mais avec une relation qui fait entrer justement ces éléments dans un contexte, dans un concert de relations au centre duquel se trouve précisément Jésus Christ. Et que ces éléments ainsi consacrés, ainsi revêtus de relations entièrement nouvelles, introduits par elles dans un monde entièrement nouveau, devenus par elles le foyer d’une présence communautaire, sont aptes précisément à palier [?] si je puis dire la présence du Christ, c’est-à-dire à la transmettre à condition que nous soyons nous-mêmes en état d’ouverture et d’universalisme.

Ceci vous l’entendrez mieux, vous le saisirez mieux si vous vous rappelez ce que j’énonçais il y a un instant, à savoir que la Présence réelle, infiniment réelle du Christ n’est pas une présence locale, défie absolument toute approximation, toute expérience matérielle, ne peut jamais être perçue physiquement, et échappe absolument à toute vérification sensible. Présence réelle ne veut pas dire présence locale. Il s’agit de tout autre chose. Et puisque il y a un changement radical, que ce changement est d’ailleurs invérifiable physiquement, il faut donc le situer dans le trans-physique, dans le métaphysique, et il n’y a aucune difficulté à admettre, comme la parole se charge de pensée, comme la lettre véhicule la tendresse et la présence, ces éléments d’une certaine manière, très réels encore une fois nous communiquent la Présence totale de Jésus-Christ. Cette présence d’ailleurs qui n’a éclot au sein des espèces que par l’appel de l’Eglise, par l’appel du Corps mystique, par l’appel d’une humanité qui a accepté justement la distance infinie que Jésus établit entre lui et nous, cette distance d’amour qui nous charge de toute l’humanité.

Tout cela pour écarter toutes les imaginations charnelles, tous les phantasmes qui pourraient à la fois et diminuer le sens de la distance infinie qui est la condition de la proximité absolue, et en même temps nous rendre la transsubstantiation absolument inconcevable. Ne cherchons pas dans le physique ce qui ne se situe pas dans le physique, concevons que le physique est une limite, que la spiritualisation à laquelle nous sommes conduits nous délivre peu à peu de toutes ces dépendances et d’ailleurs transfigure le physique lui-même, l’allège de sa pesanteur, et fait de l’univers de plus en plus une musique silencieuse. Concevons tout cela, concevons que, on peut échapper à ces dépendances cosmiques, que c’est là notre vocation, que au lieu d’être porté par la biologie on peut la porter, que c’est justement ce que nous avons à faire, comme nous allons le voir dans un instant, et que Jésus, tout en étant au milieu de nous, au-dedans de nous et toujours avec nous, présent parce qu’il a échappé à ses dépendances physiques, peut agir du dedans sans passer par la porte des sens, peut agir du dedans et précisément exercer sur les éléments symboliques du banquet de la fraternité divine issu de la paternité divine, peut exercer sur ces éléments. Cette action les transforme, les transfigure, les transsubstantie, enfin leur donne une résonnance essentiellement nouvelle, parce que il les revêt d’une relation essentiellement nouvelle, une relation ecclésiale, qui fait justement des éléments consacrés un foyer de présence communautaire, pour la communauté, dans la communauté, qui n’est accessible qu’à la communauté et pour elle.

C’est pourquoi il est impossible de séparer le Saint-Sacrement du mystère de l’Eglise. Il en est le foyer, il en est le centre. Et il est impossible de faire de la Communion un sucre d’orge mystique que l’on prend pour soi, pour sa propre consolation. Il y a toujours, essentiellement dans l’Eucharistie, une exigence ecclésiale infinie, universelle qui fait que il est impossible d’atteindre le Saint Sacrement sans vivre le mystère de l’Eglise, sans devenir présent au monde entier, et à toute l’Histoire, enfin sans devenir soi-même l’Eglise.

C’est dans cette lumière que nous concevons que l’Assomption a des liens très étroits avec l’Eucharistie. Si nous avons à devenir le Corps mystique de Jésus-Christ, à devenir le corps universel, si nous avons à nous alléger de notre pesanteur, si nous avons à nous délivrer de nos limites biologiques, si nous avons à fraterniser au-delà de toutes les races et au-delà de toutes les divisions nationales et confessionnelles, si nous avons à reconnaître l’humain dans l’homme, à être pour chacun un espace où il rencontre sa patrie et son foyer, il est impossible de ne pas savoir [?] que nous avons à transfigurer notre corps, que nous avons à le créer, que nous avons à en faire un corps humain, un corps mystique, un corps sacrement, un corps qui est source, origine et création.

Et je crois dans les choses les plus simples, si le corps s’oppose à la spiritualité, si le corps est rivé au cosmos, c’est par le boire et le manger, d’une part, et par le sexe de l’autre. Le corps est sexué, et c’est par-là justement qu’il est rivé à l’espèce. Presque toujours l’envoûtement sexuel, c’est l’envoûtement de l’espèce. Quelque soit la façon dont on le conçoive, finalement il s’agit de conjuguer ces deux germes : l’ovule et les spermatozoïdes, les conjuguer de manière à obtenir la fécondation c’est du moins cela qui explique cette mise en branle, de cet émoi, de cette curiosité, toute cette peur et toute cette joie, tout cet ensemble mystérieux qui porte la vie depuis le commencement du monde. Tout cela suppose que l’homme est rivé à l’espèce, et qu’à certains moments il est simplement une cellule germinative qui porte la vie de l’espèce. […?] Mais cela aboutit aussi à des tragédies rappelez-vous le mot terrible de Gide : « famille, famille je vous hais, je vous hais ». Pourquoi « famille, je vous hais ? » Pourquoi le mot de Sartre : « L’enfer, c’est les autres » qui a exactement la même résonnance ? « L’enfer, c’est les autres » justement parce que l’humanité veut dire deux choses, l’humanité veut dire humanité biologique, humanité animale.

On peut concevoir l’humanité-comme l’ensemble des hommes qui constituent l’espèce zoologique, homo sapiens, mais l’humanité cela peut être aussi l’humanité qualité, l’humanité valeur, et c’est tout autre chose. L’humanité biologique est damnée, l’humanité animale est donnée, elle est préfabriquée, nous la portons en nous, nous sommes rivés à elle, et le sexe est précisément ce qui nous rive le plus étroitement à elle. Mais il y a une autre humanité, l’humanité-valeur, humanité qualité, humanité liberté, qui n’est pas donnée mais qu’il s’agit de devenir. Et c’est là justement la grande affaire, devenir cette humanité valeur, devenir cette humanité libre, devenir cette humanité universelle, de manière à réaliser en soi un bien commun. S’il faut défendre les droits de l’homme, de tout homme, si les droits de l’homme sont sacrés er inviolables, c’est dans la mesure où chacun peut être un bien commun, un bien universel, où chacun peut trouver en lui sont accomplissement, sa fin, sa réalisation, où chacun peut trouver en lui un ferment de grandeur et de liberté.

Et comment l’homme pourrait-il être un bien commun s’il est enfermé dans sa biologie de classe, de nation, de race ? Ou de religion ? Toute limite biologique me ferme à un groupe. Celui justement qui appartient à un autre groupe. Pour que je sois vraiment un bien commun, il faut que j’exprime en moi l’humain dans toute sa pureté, l’humain sans frontières, l’humain sans limites, l’humain où chacun puisse se reconnaître, et où chacun trouve justement le ferment de sa propre humanisation. Mais cette évacuation, cette dépossession, ce dépouillement […?] c’est quelque chose à la fois d’énorme et qui doit s’inscrire dans l’être tout entier. Sinon je ne puis pas être. Humain dans ce sens si je suis sensuel, si je suis encore esclave de mes glandes, si je n’ai pas dominé cet envoutement de l’espèce.

Et c’est là que nous retrouvons justement le mot de Gide : « famille, je vous hais » dans la mesure où la famille est une société biologique, où les parents ont obéi simplement à l’instinct ancestral, comme leurs parents et leurs grands-parents et tant d’autres et cela jusqu’au commencement et peut-être hélas jusqu’à la fin. Cette famille biologique ne peut pas constituer par elle-même le milieu humain, humain où l’humain va s’épanouir, où l’humain va se découvrir, où l’humain va être révélé à lui-même. Et c’est pourquoi la famille est presque toujours, pour ce qui la compose, un masque, une obligation pour chacun de se dissimuler, de se retrancher, de se camoufler. Et finalement, les familles mettent en commun la matière de la soupe, les vêtements, les soucis matériels, et presque jamais la vraie vie et la vie de l’esprit. Cela, c’est tellement sacré, c’est tellement délicat que l’on préfère aller faire des jokes, un jour, ou bien réserver ça aux moments solennels, où ensemble à l’église là il est admis que, ensemble on fait des gestes qui probablement ont chacun une signification intérieure, et puis, ces moments rares étant dépassées, on retombe dans cette espèce de comédie, et mon Dieu pour la plupart des gens ne signifie pas grand-chose, ça ne les atteint pas dans leur profondeur, mais il se trouve qu’il y a des génies, il se trouve qu’il y a des hommes spécialement doués qui sont asphyxiés et qui peuvent dire comme Gide « famille, je vous hais ». Parce que la famille le limite, parce que elle est biologique, parce qu’elle n’est pas universelle, parce que elle enracine dans l’enfant tous ces préjugés, parce que au lieu de le garder vierge dans son esprit, elle lui impose déjà tout un ensemble de déterminations, […?] d’options, de pré-jugements et le fermant définitivement la plupart du temps à une ouverture universelle, et qui feront de très bonne fois de lui un dictateur ou un apprenti dictateur, un tyran domestique ou national, un fanatique, enfin, de ses opinions philosophiques ou religieuses.

« L’enfer, c’est les autres » qui nous volent notre monde comme dit Sartre, qui nous collent au milieu de leur champ visuel comme un objet. Qui nous voient comme l’autre parmi les objets, tandis que nous, nous essayons de les figer par notre regard dans un monde d’objets, en voyant les gens passer dans la rue comme des fantômes, comme s’ils n’avaient pas d’intériorité. Comme s’ils ne portaient pas en eux le même mystère, la même angoisse, la même dignité, la même espérance que nous. Nous nous promenons dans un monde de fantômes, tandis que les seuls effets [?] sont ceux qui nous touchent passionnellement, qui sont nécessaires à notre bonheur, et que la plupart du temps d’ailleurs nous n’avons jamais rencontrés réellement, comme nous n’avons jamais vu, parce que, voulant les posséder, nous sommes incapables de les découvrir.

« L’enfer, c’est les autres », et sous une forme moins dure, le grand poète Rilke disait dans ses lettres à un jeune poète : « les jeunes gens, oui bien sûr les jeunes gens, ils ne savent pas que l’amour est la plus grande épreuve de la vie. » Ils ne savent pas que c’est la grande épreuve, ils se précipitent les uns sur les autres, ou plutôt vers les autres, ils se confondent, ils se mêlent [?], ils n’ont rien à se donner. Ils croient échanger, mais qu’échangeraient-ils puis qu’ils ne sont pas devenus [?]

Il y a dans tout une mêlée biologique, il n’est rien, il ne ressemble à rien, il ne crée aucune unité, qui ne révèlent pas le mystère, qui laisse tous les masques subsister, et qui empêche le vrai visage de se révéler dans une libre respiration où il apparaîtrait enfin lui-même dans toute sa beauté.

Et c’est là justement que le concept joue un rôle regrettable la plupart du temps, parce que il rive l’homme et la femme à l’espèce, il les rive à l’espèce, à la biologie, aux éléments primitifs, à ce courant océanique, obscure, magnifique, mais obscure… qui devrait justement se décanter et devenir un, une œuvre d’art dans les rêves d’un petit enfant

Et la source de ce monde, justement c’est, de transformer tout ce vieux pan océanique, de pénaliser ces forces, de les dépouiller, de les décanter, de les rassembler, et d’en faire de la musique, de la musique, de la musique, c’est un symbole magnifique, parce que la musique, ce sont bien des vibrations, des vibrations de l’atmosphère, on peut les mesurer, on peut les compter, on peut les enregistrer. Mais ce n’est pas ainsi que nous entendons la musique ! La musique entre en nous du dedans, du dedans. C’est ça qui fait la grandeur de la musique : c’est qu’étant un corps de vibrations matériellement enregistrable, nous ne l’apercevons plus sous cette forme mais intérieurement dans un espace, un espace où nous rejoignons notre plus intime liberté.

Et on sent bien que la musique est une des équations les plus privilégiées, les plus magnifiques, de la vie intérieure, et non seulement des expressions, mais des indictions [ ?], un des ferments les plus puissants de la vie intérieure, justement parce que, elle nous met dans une résonnance intime, elle fait de nous-mêmes une musique vivante, elle nous met en état de silence, et nous écoutons toutes ces voix du silence. Pour l’anxieux qui peut douter, il peut devenir visage des pieds à la tête, il peut devenir sacrement.

Et il mentira de croire qu’on peut tenir le Corps dans ses mains ; et en épouser par ses mains le mystère, on le perd à coup sûr, on le perd quand on ne le saisit pas dans ses dimensions trans-physiques, quand on ne le saisit pas dans son secret humain, quand on ne le saisit pas dans son élan vers l’immortalité, quand on ne le saisit pas comme le sacrement de Dieu.

Il y a justement toute une création du corps, et de commencer par répandre l’homme, entre le corps et l’esprit ça ne veut rien dire, c’est tout l’homme qui est une puissance de dépassement, c’est tout l’homme qui est un appel à la liberté, c’est tout l’homme qui doit décoller, c’est tout l’homme qui doit se transfigurer, c’est tout l’homme qui doit devenir un fils, c’est tout l’homme qui doit être invité dans le moi divin.

Et le corps de l’hostie à sa « trinine » radicalisation divine, et le corps de l’hostie doit devenir l’expression et le sacrement et l’ostensoir et l’évangile de cette Présence unique. C’est-à-dire tous les mots, tous les livres ne signifient rien, ne signifieraient littéralement rien ! Tous les mots, tous les livres, toutes les formules, tous les rites ne signifieraient rien s’il n’y avait pas un visage, un visage d’homme ou de femme, un visage qui finalement donne à cela sa signification vivante, et communique sa Présence divine comme une Présence personnelle, de ce rayonnement, dans ce rayonnement où s’attache évidemment, incontestablement le dépouillement créateur, par lequel l’homme accède au moi divin.

…Il y a donc une assomption du corps qui nous permet d’entendre l’assomption de Marie comme l’ascension de Jésus. Il s’agit d’un décollement, d’un décollement de ses conditions physico-chimiques qui nous rivent à l’univers et qui sont d’ailleurs indispensable pour y vivre. Pour y vivre d’une manière visible, mais bien sûr ce n’est pas la seule manière, ce n’est pas la seule manière. Et nous allons encore une fois vers une vie, vers une vie trans-physique, trans-biologique, vers une vie libérée, vers une vie dont nous avons une immense nostalgie. A quoi nous servirait finalement d’atteindre les mystères des autres, et leurs tripes, si nous n’atteignons pas leur visage intérieur, si nous n’atteignons pas le jaillissement de leur générosité, si à travers eux nous n’étions pas en contact avec la Présence adorable.

Oui, c’est ça la grande nostalgie, nous cherchons derrière les visages, une Présence infinie. C’est cela que nous cherchons, c’est cela seul qui nous intéresse et nous passionne. Nous sommes en effet, en somme, une possibilité de révélation infinie. Il y a dans tout homme une source cachée. S’il y a dans tout homme un soleil invisible, s’il y a dans tout homme un message qui l’attend et qui nous attend ! Et quand par hasard un visage, quand par grâce un visage s’ouvre, se décontracte, et qu’enfin, lui-même, cesse de se camoufler, parce que il a confiance, parce qu’il fait crédit, c’est le grand émerveillement. C’est le grand émerveillement parce que à travers ce visage, c’est vraiment l’infini qui transparaît, et c’est la création dans sa source qui vient à nous comme nous venons à elle.

L’univers du Christ, c’est un univers en perpétuelle naissance, en perpétuelle nouveauté, en perpétuelle création ! Et c’est pourquoi c’est un univers dans lequel on ne cesse jamais de s’émerveiller, et d’être frappé de respect. Un univers dans lequel la distance infinie est toujours la condition d’une proximité absolue. La distance ne veut pas dire vivre à l’écart des autres, ne veut pas dire se retrancher des autres, mais veut dire les aborder avec un tel respect que jamais on ne veuille rien leur imposer, que jamais on ne les accuse d’aucune limite, que jamais on n’exerce à leur égard aucune contrainte, mais que l’on fasse toujours appel en eux, en eux, à ces forces souvent inemployées, à ces forces souvent de l’Inconnu, à ces énergies divines qui peuvent sourdre, et qui ne peuvent sourdre d’ailleurs, que sous l’empire d’un amour agenouillé comme celui du Christ au lavement des pieds, et qui font de l’humanité tout d’un coup, la plus belle chose du monde.

[Vers autre langue] Ô combien belle est l’humanité, comme elle est belle, elle est belle quand elle se réalise et qu’elle s’accomplit dans un corps transfiguré qui est devenu tout entier le visage de la Présence adorable, tout entier le sanctuaire de l’Esprit, tout entier le sacrement du Corps du Christ.

La messe, la messe bien sûr, comment, comment pourrais-je ne pas dire ce qu’elle est pour moi ? La messe, c’est aller, c’est aller vers lui. C’est aller vers lui, c’est s’enfoncer dans ce silence, c’est aller vers ce sommet, ce sommet qui est au cœur du silence. Où il apparait dans ce qu’on est soi-même tout entier, silence, mais où il apparait qu’à condition qu’aller vers lui signifie aller vers tous.

Juste avant cette montée silencieuse vers lui, il y a toujours la présence de l’histoire, il y a toujours la présence de la misère, il y a toujours la présence de la souffrance, il y a toujours la présence des captifs, il y a toujours la présence des morts qui se sont dissous dans la poussière. Il y a toujours les guerres : le sang coule ; il y a toujours les fous qui sont privés de contact avec la vie. Ils sont tous là, tous, tous ! Tous, « ceci est mon Corps », c’est le viatique, le viatique, le viatique de toute l’humanité. Et il n’y a pas un accident, il n’y a pas une catastrophe qui ne soit illuminée et qui ne reçoive justement dans cette Présence universelle sa lumière. Ministère de résurrection

Et comment ne pas éprouver dans cette montée vers lui qui est une montée vers tous, comment ne pas éprouver cette paternité universelle qui est la vraie paternité ? Quelle merveille d’être prêtre ! Quelle merveille. Quelle merveille d’être le père de tous ! Quelle merveille de connaître un miracle : ni classe, ni sexe, ni âge, ni fortune, ni infortune, puisque chacun a le droit, a le droit d’être père, chacun à le droit d’être enfanté, chacun a le droit de naître précisément dans cette unité immense où chacun est membre de Jésus-Christ, où chacun devient le Corps mystique de Jésus-Christ, où chacun s’universalise, où chacun accède à ce moi divin qui s’exprime par nos lèvres : « Ceci est Mon Corps, Ceci est Mon Sang. »

Et c’est pourquoi il me semble que tout cet entretien, nous pouvons le résumer dans ce mot qui revient si souvent dans les messes de la Vierge. Jésus en croix désigne Jean et dit à Marie : « Voilà, voilà ton fils. » Voilà ton fils. Il me semble que c’est ça l’Eucharistie. Si vous retenez ce « ça », ce « cela », vous aurez retenu l’essentiel. Au fond l’Eucharistie c’est cela. Par l’Eucharistie, avec tout ce qu’il implique de prise en charge, par l’Eucharistie, Jésus dit à chacun de nous : « Voilà ton fils », voilà ton fils, ton fils, toute l’humanité, tous les hommes, toutes les misères, toutes les douleurs, toutes les attentes, tous les espoirs : Voilà ton Fils ! Et c’est le sens de la Communion. Il ne s’agit pas d’aller communier pour nous, Il ne s’agit pas d’aller communier pour nous dispenser d’être, de servir, de nous libérer et d’atteindre à notre grandeur et à notre puissance de créateur ! Ce serait monstrueux. Il s’agit d’aller communier, justement pour répondre au grand désir que Jésus-Christ a de nous recevoir, et de nous offrir pour membres, en lesquels il soit vivant pour son Père. Il suffit de répondre justement à cet appel, de répondre à cet appel afin de vivre cette mission qu’il nous a confiée à tous, et qu’il ne cesse de nous re-confier en chaque liturgie, en nous mettant devant tout le genre humain et devant toute l’histoire, et en nous ouvrant à une paternité et une maternité universelles, en disant à tous et à chacun : « voilà ton fils ! »

P.S. Chers Internautes, les transcriptions sont souvent difficiles, des erreurs subsistent. Si vous le souhaitez, le pouvez, aidez-nous à les finaliser en nous adressant vos corrections ! Soyez en vivement remerciés… gC

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