01-02/05/2014 – Homélie – Saint Joseph et sa présence silencieuse

Homélie
de Maurice Zundel à Beyrouth le 1er mai 1972, messe de la récollection, inédit.

 

Avec la voix de Maurice Zundel qui nous permet d’entrer plus profondément dans le texte. Pour l’écoute, affichez immédiatement le texte complet en cliquant sur « lire la suite ».

 

Nous n’avons pas gardé de Saint Joseph une seule parole : c’est le géant du silence et sa grandeur incommensurable est justement son silence. Ce silence nous est proposé, dans l’Evangile, dans une occasion unique à propos de ce grand drame d’amour, le plus grand drame d’amour de l’histoire, qui est cette confrontation de Joseph avec la maternité de Marie dont il ignore la source et l’origine.

 

Saint Matthieu nous a résumé cette situation dans quelques lignes qui sont un pur chef d’œuvre. Un chef d’œuvre de discrétion, de pudeur, d’humanité et d’amour. Je me suis souvent demandé quel Shakespeare serait assez grand pour illustrer cette tragédie.

 

Car enfin, cet homme a des droits sur cette femme. La fiancée, selon le droit hébreu, doit à son fiancé une fidélité rigoureuse. Elle est passible de lapidation en cas de transgression. Et voilà le fait, elle est sur le point de devenir mère. Et Joseph n’en sait rien et n’y est pour rien. Il ne va pas ouvrir la bouche. Il ne va pas poser une question. Il la connaît assez pour savoir sa parfaite innocence, mais un autre pourrait être coupable, un autre aurait pu porter atteinte à ce trésor.

Comment interroger cette femme sans la blesser de quelque manière ? Il est résolu à ne pas la blesser : il n’ouvrira pas la bouche, il ne posera pas une question. Il la renverra simplement en secret pour la mettre à l’abri de toute contestation et de toute sanction. Et, de son côté, elle sait, elle comprend, elle vit ce drame. Elle n’ouvrira pas la bouche parce que sa maternité n’est pas de l’homme, sa maternité est divine, sa maternité est le secret de Dieu. Puisque Dieu l’a engagée dans cette voie humainement impossible, c’est à lui de trouver l’issue.

 

Et c’est cela justement, du point de vue de notre humanité, qui est le drame suprême. C’est cela qui donne à ces deux époux, qui leur donne toute leur dimension humaine et divine : ce silence de part et d’autre, ce silence de respect total, ce silence de confiance absolue, ce silence scellé par la Présence même de Dieu dans le sein de Marie.

 

Et c’est alors que Joseph, s’étant endormi sur sa résolution et sur sa douleur, car enfin, cette femme, il l’aime comme jamais homme n’a aimé femme, et cette femme l’aime comme jamais femme n’avait aimé un homme. Il s’endort sur cette résolution et sur sa douleur, sur sa douleur de la quitter, sur sa douleur de la livrer à son destin au moment où elle aurait le plus besoin de sa présence et de sa protection. Et, de son côté, elle veille. Elle veille devant cette croix qu’elle lui impose sans le vouloir, et qu’elle vit plus profondément que lui.

 

Alors, le dénouement est donné par l’avertissement que reçoit Joseph dans ces termes si pleins de tendresse, de respect et d’humanité :

 

« Joseph, ne crains pas de prendre Marie pour ton épouse,

car ce qui est né en elle est du Saint-Esprit. »

 

Ce chef-d’oeuvre d’humanité est la plus belle manifestation de la grâce divine qui transforme l’homme et qui lui confère cette beauté unique. Comme l’amour humain grandit, comme il est sanctifié, comme il est révélé à lui-même par ce duo silencieux et comme nous-mêmes nous sommes invités à entrer dans cette voie du silence qui est la seule voie de la grandeur, qui est la seule possibilité de rencontrer le Verbe de Dieu qui ne parle que dans le silence.

 

On serait tenté de donner à cette fête (du 1er Mai) un caractère ouvrier, un caractère de classe : Joseph serait un artisan, patron des artisans. Mais non  Il y a infiniment plus parce que ce qui est révélé ici, c’est la dignité de l’homme, qui ne tient pas à une classe ni à une situation, et ce qui fait la grandeur du travail, ce n’est pas qu’il soit manuel ou intellectuel. Ce qui fait la grandeur du travail, c’est qu’il soit créateur de l’homme. Et comment peut-il être créateur de l’homme sans se fonder sur le silence qui nous permet de retrouver nos racines en Dieu ?

 

C’est là que justement notre vénération de saint Joseph, le plus grand des saints après Marie, c’est là que notre vénération de saint Joseph doit se situer. Il ne s’agit pas d’en faire le père temporel de nos besoins matériels. C’est un immense contemplatif, le plus grand des contemplatifs après Marie, celui qui, dans le silence de son amour, a perçu le mystère de Dieu sans vouloir l’enfermer dans des mots.

 

Que lui demander sinon justement qu’il nous obtienne cette grâce de la contemplation, cette grâce du silence intérieur, qu’il nous en donne la passion, que nous ayons cette volonté obstinée de retrouver le silence intérieur, de le garder, de l’enrichir et de communier à travers lui avec la Présence de Dieu en nous et dans les autres. Alors nous aurons mis saint Joseph à sa véritable place, qui est la seconde après Marie, et il nous apprendra à entendre la Parole, non pas comme un mot mais comme une Présence, mais comme une Personne, mais comme le Verbe de Dieu qui respire l’amour.

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